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Elections françaises: pourquoi tant de femmes roulent pour l’extrême droite ? (analyse)

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

La présence de femmes dans l’extrême droite intrigue. Des militantes qui se revendiquent progressistes, féministes même, tout en validant les discours ouvertement sexistes des mouvements identitaires qu’elles soutiennent.

Il a surgi sur Twitter en avril 2021, avant même que le polémiste annonce officiellement sa candidature à la présidentielle française. Fondé par une jeune conseillère municipale d’Elbeuf, en Normandie, élue sous la bannière Debout la France, le collectif Les femmes avec Zemmour fait tourner les photos de ses meetings, apporte son soutien à une jeune femme « violée par deux clandestins à Aix » et exhorte à la « bataille » pour que « la France reste la France ». Certaines de ses affiliées sont proches d’autres collectifs du même acabit, comme Génération Z, qui entend mobiliser la jeunesse autour du candidat Zemmour, ou Némésis, groupuscule féminin d’extrême droite. Des fans lancées dans la campagne et qui apportent leur indéfectible soutien à celui qu’elles rêvent de voir à l’Elysée.

En Europe, la droite radicale a été longtemps en difficulté dans le vote féminin, limitant considérablement sa base sociale.

Les femmes sont pourtant le talon d’Achille de l’essayiste, qui a toujours multiplié les déclarations dénigrantes à leur égard. Des prises de position ouvertement sexistes, servies sans filtre sur les plateaux télé, dont la conséquence devrait être un rejet massif du candidat par l’électorat féminin – qui compte pour moitié, tout de même.

Des pépites que la presse ne se lasse pas d’exhumer depuis qu’il a annoncé qu’il briguait un mandat présidentiel. Morceaux choisis: « Un garçon ça va, ça vient ; un garçon, ça entreprend, ça assaille et ça conquiert, ça couche sans aimer, pour le plaisir et pas pour la vie. Ça prend et ça jette, un garçon, ça goûte sans s’engager, […] Casanova plutôt que la princesse de Clèves », écrivait-il dans Le Premier Sexe, un pamphlet publié en 2006 ; « [les femmes] n’expriment pas le pouvoir, elles n’incarnent pas le pouvoir, c’est comme ça. Le pouvoir s’évapore dès qu’elles arrivent. Attention, il y a des exceptions. Je parle de domination, c’est-à-dire du féminin et du masculin. Le masculin est lié au pouvoir. Il peut y avoir des femmes qui exercent le pouvoir parce qu’elles ont des valeurs masculines. Les valeurs féminines sont incompatibles avec l’incarnation du pouvoir », osait-il sur BFMTV – Angela Merkel, Kamala Harris et Sophie Wilmès apprécieront… Dans le monde d’Eric Zemmour, « les grands génies sont hommes » et il est doux de se remémorer ce temps béni, d' »avant le féminisme », où « un jeune chauffeur de bus » pouvait « glisser une main concupiscente sur un charmant fessier féminin » sans que « la jeune femme porte plainte pour harcèlement sexuel ».

Marion Maréchal fait partie de ces femmes indépendantes et féministes validant, dans le même temps, une vision rétrograde du rôle de la femme.
Marion Maréchal fait partie de ces femmes indépendantes et féministes validant, dans le même temps, une vision rétrograde du rôle de la femme.© belga image

Une enquête menée en octobre 2021 par la Fondation Jean Jaurès confirme que, si les femmes n’échappent pas à une certaine extrême droitisation, les intentions de vote en faveur d’Eric Zemmour restent plutôt masculines, avec un écart de six points, et même de treize points entre les femmes de moins de 35 ans (8%) et les hommes de plus de 60 ans (21%). « En Europe, écrivent les auteurs du rapport, les forces politiques de la droite radicale ont été pendant longtemps en difficulté dans le vote féminin, limitant considérablement leur base sociale. Mais là où Marine Le Pen avait réussi à réduire considérablement le gender gap – la différence de vote entre genres – lors de la dernière élection présidentielle, en 2017, les accents masculinistes et le conservatisme social d’Eric Zemmour semblent, au contraire, le mettre à distance des femmes. »

Dirigeantes ou influenceuses

Le polémiste est-il un ovni politique, ou le mépris à l’égard des femmes et le refus de tendre vers l’égalité sont-ils des marqueurs communs aux partis d’extrême droite? En Europe, on assiste à une mise à l’avant-plan des femmes dans certaines de ces formations. A côté de Marine Le Pen, on pense à la néofasciste Giorgia Meloni, à la tête de Fratelli d’Italia, ou à Pia Merete Kjærsgaard, qui a dirigé le Parti populaire danois.

D’autres figures de la droite radicale française interpellent. Notamment Marion Maréchal, la nièce de la candidate du Rassemblement national, Thaïs d’Escufon, la porte-parole de Génération identitaire, un mouvement d’extrême droite aujourd’hui dissous, ou Estelle Redpill, également une ex-Génération identitaire, et influenceuse. Elles affichent une parfaite maîtrise des codes de la pop culture et des réseaux sociaux sur lesquels elles se présentent comme modernes, indépendantes et féministes… tout en validant une vision passéiste et rétrograde du rôle de la femme.

Dénoncer le machisme et la misogynie, parler des migrants violeurs ou du voile, c’est une façon d’instrumentaliser la question du genre pour dire que l’islam n’a pas sa place.

« Ces femmes sont peu nombreuses mais très présentes, analyse Christèle Lagier, maître de conférences en science politique à l’université d’Avignon. On note une réappropriation des valeurs familiales fortes exprimées dans un discours très conservateur, voire réactionnaire. Pourtant, ce sont des femmes de leur temps. Elles ne sont pas forcément mariées. Elles sont mères mais ne renoncent pas à leur carrière. Elles défendent des valeurs conservatrices mais en donnant une image moderne. La plupart de ces figures sont jeunes, ce qui permet de mieux toucher le public de cette génération. Elles veulent être assimilées aux élites de la politique tout en se montrant proches des gens en s’adressant directement aux citoyens par le biais des réseaux sociaux. » Dans des styles parfois très personnels: quand Marine Le Pen se met en scène avec ses chatons, sa nièce mise sur des contenus plus pros, plus sérieux, qui s’inscrivent dans une stratégie méta- politique qui serait le ciment de son école de sciences politiques et de management.

L'influenceuse Estelle Redpill, ex-Génération identitaire.
L’influenceuse Estelle Redpill, ex-Génération identitaire.© DR

En Belgique, on compte assez peu de femmes dans les hautes sphères de l’extrême droite. A l’exception de Nancy Van Den Eede, coprésidente de Nation – parti quasi insignifiant dans le paysage politique – et de la cheffe de groupe Vlaams Belang (VB) à la Chambre, Barbara Pas, elles sont pour ainsi dire inexistantes. Le Vlaams Belang reste par ailleurs le groupe qui, proportionnellement, compte le moins de femmes. En 2019, deux femmes, élues aux parlements flamand et européen, ont immédiatement cédé leur place à des hommes du VB.

Conservatisme progressif?

Ces jeunes femmes qui se revendiquent en faveur de l’égalité des genres incarnent-elles réellement des valeurs progressistes? Peut-on être féministe et d’extrême droite? « Etre femme ne veut pas forcément dire être féministe, rappelle Sylvie Lausberg, historienne et présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB). Certaines se retrouvent dans des assignations comme la maternité, le foyer, les valeurs traditionnelles telles que décri-tes dans les programmes d’extrême droite. Elles utilisent le même vocabulaire que les féministes mais pour défendre l’inverse du féminisme. Pour elles, la société actuelle maltraite les femmes à qui on demande aujourd’hui de tout assumer. Elles seraient donc mieux »protégées » si elles ne devaient s’occuper que de la maison. »

Némésis, un groupuscule féminin d'extrême droite français, défend les valeurs identitaires de la France et... du candidat Zemmour.
Némésis, un groupuscule féminin d’extrême droite français, défend les valeurs identitaires de la France et… du candidat Zemmour.© DR

Benjamin Biart, politologue au Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp), partage cette analyse: « Avec ce renouvellement générationnel, l’attention est portée sur les enjeux liés au genre mais les positions restent conservatrices et contribuent à maintenir une idéologie selon laquelle les rôles de l’homme et de la femme sont bien distincts. Ce conservatisme a néanmoins pu évoluer dans le chef de certaines personnes: Tom Van Grieken (NDLR: président du Vlaams Belang), par exemple, considère qu’il faut soutenir les familles qui font le choix du maintien à la maison d’un des deux parents pour éduquer les enfants, que ce soit le père ou la mère. C’est un conservatisme qui s’adapte aux évolutions de la société. On n’est pas progressiste sur la question du genre mais plus respectueux du genre dans la société. »

La néofasciste Giorgia Meloni est à la tête de Fratelli d'Italia.
La néofasciste Giorgia Meloni est à la tête de Fratelli d’Italia.© getty images

Féminiser les listes permet aussi aux partis radicaux d’élargir leur base électorale. Encore faut-il que les électrices soient plus enclines à voter pour une autre femme, que ce soit par conviction ou par sororité. Or, souligne Sylvie Lausberg, certaines se sentent portées par les discours autoritaires et rassurées par les hommes à poigne. « Depuis l’accès de Marine Le Pen à la présidence du Rassemblement national, en 2011, on observe une proportion plus importante de votes féminins. Mais c’est aussi parce qu’elle affiche une sensibilité différente de son père et aborde des thèmes comme la place de la femme dans la société, le travail et les questions éthiques. Elle insiste d’ailleurs sur le machisme de Zemmour. » Face au racisme et au sexisme de ce dernier, Marine Le Pen fait en effet figure de modérée, voire de progressiste. Si bien, illustre Benjamin Biart, que les catholiques d’extrême droite ne se retrouvent plus dans son discours, estimant qu’elle fait trop de concessions à la gauche. « Elle se pose en défenseure de l’égalité des genres, tout comme d’autres leaders d’extrême droite qui sont même parfois les premiers à réagir aux agressions homophobes. En réalité, dénoncer le machisme et la misogynie, parler des migrants violeurs, des mutilations génitales ou du voile, c’est une façon pour eux d’instrumentaliser la question du genre pour dire que l’islam n’a pas sa place. »

Instrumentalisation

Indépendamment de leur adhésion aux valeurs traditionnelles et familiales qu’affirme défendre la droite radicale, nombre de femmes se montrent fortement réceptives aux thématiques chères à la droite. « C’est ce qu’on appelle les trois I: immigration, insécurité, islam« , développe Benjamin Biart. On dira alors que les trois se nourrissent les uns les autres et ce discours attirera les électeurs. » Dans un rapport du bureau d’études de Vie féminine, Vanessa D’Hooghe, docteure en histoire contemporaine à l’ULB, décrit cette instrumentalisation des droits des femmes par les partis conservateurs, tout en soulignant que seul le Vlaams Belang utilise la femme voilée comme symbole de la menace étrangère: « Ils visent à faire croire que les inégalités subies par les femmes sont importées dans « nos » pays avec l’immigration et que « chez nous », l’égalité est déjà réalisée. Alors que nous savons que les discriminations et les violences liées au genre ont une origine bien différente, le système patriarcal, et qu’appliquer un programme raciste ne les gommera pas. »

On note une réappropriation des valeurs familiales fortes exprimées dans un discours très conservateur. Pourtant, ce sont des femmes de leur temps.

Annelies Pauwels est chercheuse au Vlaams Vredesinstituut, organe attaché au parlement flamand et actif dans la promotion de la paix et de la prévention de la violence et spécialisée dans les phénomènes de radicalisation. Elle a suivi de près l’affaire Jürgen Conings, ce militaire d’extrême droite qui entendait s’en prendre aux politiques et aux scientifiques. Elle s’est notamment intéressée aux interactions en ligne des membres des groupes d’extrême droite et a noté que les femmes jouaient un rôle non négligeable dans la diffusion des idées radicales. « Dans les groupes identitaires qui cachent leur extrémisme, les femmes sont utilisées pour faire passer un message mainstream. Elles sont souvent jolies, affichent un profil ordinaire et écrivent des textes sur des sujets tout aussi ordinaires, comme la cuisine ou la mode. Mais ces messages servent en réalité à rediriger le lecteur vers d’autres groupes extrémistes. Cela permet aussi de toucher un public plus modéré, moins directement sensible aux idées néonazies. »

Thaïs d'Escufon, ex-porte-parole de Génération identitaire, aujourd'hui dissous, est l'une des figures de la droite radicale française.
Thaïs d’Escufon, ex-porte-parole de Génération identitaire, aujourd’hui dissous, est l’une des figures de la droite radicale française.© belga image

Une nouvelle facette de l’extrême droite que relève aussi Esther Lehnert, professeure à l’université Alice Salomon, à Berlin, dans un article publié par le Goethe-Institut. « Comme d’autres secteurs de notre société, écrit-elle, la droite a été témoin d’une pluralisation du rôle de la femme. De l’influenceuse identitaire sexy apparaissant en première ligne lors des manifestations d’extrême droite aux responsables politiques d’extrême droite […], en passant par la pionnière nationaliste, la femme d’affaires, l’activiste ou la sympathisante, la féminité se décline en une multitude de formes. » Mais qu’on ne s’y trompe pas, nuance la chercheuse, malgré cette modernisation, l’image traditionnelle de la mère continue à jouer un rôle prépondérant.

Barbara Pas, cheffe de groupe Vlaams Belang à la Chambre, est l'une des rares femmes dans les hautes sphères de l'extrême droite en Belgique.
Barbara Pas, cheffe de groupe Vlaams Belang à la Chambre, est l’une des rares femmes dans les hautes sphères de l’extrême droite en Belgique.© photo news

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