L'épidémie de Covid connaît un rebond spectaculaire en Russie qui a enregistré un record de décès (1 075) le 23 octobre. © GETTY IMAGES

Covid: « Même les talibans comptent leurs morts et leurs cas »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Jean-Philippe Derenne, ancien chef de service de pneumologie à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, l’épidémie de Covid a réuni l’humanité en « un seul monde » et produit une solidarité inédite qui gagnerait beaucoup à trouver une incarnation.

Depuis le 25 janvier 2020, Jean-Philippe Derenne, ancien chef du service de pneumologie et de réanimation à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris, a recensé jour après jour tous les chiffres de l’épidémie de Covid. Il en a tiré une somme instructive, Covid-19: un seul monde (1), et des enseignements encourageants, malgré le lourd bilan, provisoire, de la tragédie.

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En quoi la Covid-19 a-t-elle réuni l’humanité en « un seul monde »?

Par plusieurs facteurs. Première-ment, tous les pays, hormis le Turkménistan et la Corée du Nord, recensent chaque jour les cas de contamination et les morts. Même les talibans comptent. Cela n’a l’air de rien. Mais c’est énorme. Savez-vous que la mortalité de la grippe espagnole, de 1918 à 1921, n’a pu être établie que quatre-vingts ans plus tard? Deuxièmement, tous les articles scientifiques sur la Covid sont en accès libre et gratuit. Troisièmement, il existe plus de deux cents vaccins à l’essai dans le monde. Qui aurait pensé qu’en Egypte ou au Kazakhstan, on puisse avoir l’idée de produire un vaccin? Quatrièmement, le projet Covax (NDLR: Covid-19 Vaccines Global Access, avec le soutien de l’ONU) a distribué trois milliards de doses aux pays les plus défavorisés. Ce n’est pas anodin. Jamais on n’avait vu une telle initiative. Et je rajouterais un dernier élément: depuis deux ans, sauver la vie des gens est devenu le centre de préoccupation de la planète. Là aussi, c’est du jamais-vu.

Depuis deux ans, sauver la vie des gens est devenu le centre de préoccupation de la planète. C’est inédit. »

Jean-Phlippe Derenne, ancien chef du service de pneumologie à la Salpêtrière, à Paris.

Cela se traduit-il par une solidarité inédite?

Il y a une solidarité de fait, très importante. Elle est transpolitique, transidéologique… Il est dommage que personne ne l’incarne sur le mode « nous sommes l’humanité ».

La crise sanitaire a parfois donné une piètre image des médecins. N’a-t-elle tout de même pas permis une vulgarisation de la science?

La science doit être cohérente et raisonnable. Le problème des chaînes d’information en continu est la nécessité de faire du buzz. Michel Serres (NDLR: philosophe et historien des sciences français, décédé en 2019) a très bien expliqué cela: « Monsieur A. est totalement compétent, monsieur B. totalement incompétent. On les oppose. Résultat: la compétence de monsieur A. apparaît comme une opinion et l’opinion de monsieur B. apparaît comme une compétence. » De surcroît, qui a-t-on entendu en France? Des virologues, des infectiologues, des épidémiologistes… Or, la Covid-19 est une maladie qui n’a pas de traitement. Autrement dit, tous les médecins ont la même compétence ; le plus titré des infectiologues en sait autant, c’est-à-dire rien du tout, que le médecin généraliste. Les seuls qui servent à quelque chose, ce sont les pneumologues, et les réanimateurs quand cela va très mal. Quels sont les seuls médecins que l’on a vu à l’avant-plan? Les pneumologues…

Jean-Phlippe Derenne
Jean-Phlippe Derenne© DR

En cas d’épidémie, vous prônez la mise en place d’une stratégie sécuritaire, sous l’égide du ministère de la Défense. Pourquoi?

Une pandémie est une attaque venue de l’étranger. Qui a l’idéologie et la culture pour se défendre d’une attaque extérieure? Les militaires. Ils ne font que cela. Ils apprennent à défendre le pays contre les cyberattaques. Le ministère de l’Intérieur n’a pas cette culture. Même chose à l’échelon européen. En cas d’attaque épidémique de ce type, si les chefs d’Etat et de gouvernement ne sont pas capables de se réunir pour voir ce qu’ils peuvent faire en commun pour se défendre, c’est qu’il n’y a pas d’Europe…

Vous parlez de « décadence de l’Occident »…

Que l’Europe, qui est quand même la mère du monde actuel, soit incapable de se mettre d’accord sur des mesures élémentaires est lamentable. Cela aurait même dû être réalisé à l’échelle de toute l’Europe, pas seulement à celle de l’Union européenne.

Tout le monde n’est pas égal devant le Sars-CoV-2. Le système Covax est-il un bon outil?

Une étude parue il y a quelques semaines m’a beaucoup intéressé. Elle portait sur 8 400 virus collectés dans trente-trois pays africains, plus La Réunion et Mayotte, territoires français. Résultats: 61% des virus venaient d’Europe ; 41% des virus sont allés en Europe. Donc, il n’y a pas l’Europe et l’Afrique ; il y a l’Eurafrique. Des variants importants du Sars-CoV-2 viennent d’Afrique du Sud, du Nigeria, d’Ouganda et d’Angola. Or, tant que l’on n’aura pas un traitement, le virus sera là. Donc, Covax est un outil indispensable.

Quel Etat, selon vous, a le mieux géré cette épidémie?

Les Chinois l’ont gérée de façon très intelligente. Ils avaient l’expérience du Sras qui leur avait fait très peur. Le 7 janvier 2020, Xi Jinping a dit « c’est moi qui dirige tout ». Le 20, Zhong Nanshan, le pneumologue de Canton qui avait dirigé la lutte contre le Sras, a expliqué devant le comité central du Parti communiste ce qu’il fallait faire. Les Chinois avaient une structure préexistante, ils ont mis en place un réseau sentinelle très interven-tionniste, et ont eu l’aide des 91,5 millions de membres du PCC. Xi Jinping a été conseillé par un pneumologue, pas par des spécialistes du sida, comme en France. Les Chinois ont-ils menti sur le nombre de victimes? C’est possible. Mais aujourd’hui, la vie a retrouvé son cours normal en Chine.

L’industrie pharmaceutique a- t-elle adopté un comportement correct dans cette crise?

Jusqu’ici, je ne vois pas de critique particulière à lui faire. J’ai lu que Pfizer avait gagné un milliard d’euros. Un milliard pour sauver des millions de vie, ce n’est pas un scandale. D’autant que la rapidité avec laquelle les vaccins ont été mis au point est formidable et que les vaccins à ARN messager, en particulier, ouvrent des perspectives dans de multiples domaines.

Pourquoi êtes-vous opposé à la suspension du droit de propriété intellectuelle?

Parce que cela entraînera la production de faux médicaments. C’est l’Inde qui, au premier chef, veut cette suspension. Or, qui fabrique des faux médicaments? La Chine et l’Inde. Et à qui seront-ils vendus? Aux Africains.

(1)Covid-19: un seul monde, par Jean-Philippe Derenne, Odile Jacob, 528 p.

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