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Chantage migratoire biélorusse aux portes de l’Europe : les efforts s’essoufflent

Stagiaire Le Vif

Cela fait plusieurs semaines que la Biélorussie est accusée d’amener des migrants à sa frontière avec la Pologne pour faire pression sur l’Europe suite aux diverses mesures prises à son encontre. Mais depuis quelques jours, le gouvernement renvoie les migrants dans leur pays d’origine.

Le contexte

Depuis plus d’un mois, la Biélorussie s’est lancée dans un chantage migratoire avec l’Europe. Le pays est accusé d’avoir ramené plusieurs milliers de migrants de divers pays (comme l’Irak ou encore la Syrie) par avion sur son territoire et de les avoir acheminés jusqu’à la frontière polonaise. Le but ? Mettre la pression sur les pays européens pour qu’ils reviennent sur les diverses sanctions économiques prises à l’encontre de la Biélorussie.

Cela fait quelque temps que les Biélorusses sont accusés d’avoir volontairement acheminé un afflux de migrants vers la frontière polonaise. En cause ? Diverses sanctions ont été prises à leur encontre, notamment économiques. En plus de l’extrême répression dans le pays, le président biélorusse Alexandre Loukachenko s’est lancé dans une guerre de muscles avec l’Europe, pour la faire chanter. Elle a refusé de s’y plier. Et, il avait d’ailleurs reçu un appel de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, dont les médias avaient beaucoup parlé, comme le souligne Ekaterina Pierson-Lyzhina, Docteure en sciences politiques et sciences sociales, collaboratrice scientifique au Cevipol (ULB) et spécialiste de la politique biélorusse « Pour Loukachenko, c’était très important d’avoir un appel de Merkel et d’autres afin de sauver sa face. Il veut se positionner comme un homme fort, qui ne cède pas aux sanctions européennes. Il a interprété cet appel en se disant: on reparle de nouveau avec moi, je suis de nouveau légitime. Les médias d’État ont également interprété cet appel comme étant favorable pour Loukachenko. Mais en réalité, ce n’était pas du tout ça ! Car Merkel a appelé de sa propre initiative, elle ne représentait pas l’Union Européenne. Et ensuite, nous avons appris que c’était un appel plus court que ce qu’il prétendait et uniquement sur l’angle humanitaire. Ils n’ont pas négocié l’abandon de sanctions contre l’acheminement illégal de migrants etc. »

Le plan a échoué ? Presque

Tous les migrants à la frontière n’ont pas pu se rendre en Pologne où un comité d’accueil plus que musclé les attendait. Le gouvernement biélorusse a donc dû rapatrier des migrants chez eux « Nous estimons que le régime de Loukachenko a rapatrié quelque 3.000 migrants vers l’Irak et la Syrie mais qu’un nombre beaucoup plus important, soit 7.000, se trouvent toujours sur le territoire du Bélarus.« , expliquait Stanis?aw ?aryn, porte-parole du ministre coordinateur des services spéciaux, à l’agence de presse PAP. Mais pour le régime biélorusse, la nécessité de renvoyer des migrants dans leur pays d’origine n’est pas seulement due à la pression internationale comme l’explique Ekaterina Pierson-Lyzhina « C’est aussi une réponse au mécontentement de la population biélorusse. Car c’est vrai qu’ ici, nous n’avons pas obtenu beaucoup d’échos sur comment ils ont réagi […]. Mais ce n’était pas une mesure très populaire au sein de la population car ils ne sont pas habitués, notamment, à avoir des migrants chez eux. Cela n’a pas été reçu favorablement par les populations internes. […] Cette crise est le prolongement de la crise politique interne dans le pays qui ne se stabilise pas et il peut y avoir des implications internationales de cette crise.« 

Il y a donc aussi une contestation dans le pays, qui aurait poussé les autorités à rapatrier des migrants chez eux, en plus de la difficulté de passage calibrée par le gouvernement polonais. Mais Ekaterina Pierson-Lyzhina rappelle que cette crise n’est pas terminée « Pour lui [Loukachenko], c’est un échec. […]Actuellement, beaucoup de migrants ont déjà été rapatriés mais il en reste quelques milliers sur place. Par ailleurs, il faut voir si les autorités vont poursuivre cette pratique de rapatriement ou si elles vont quand même garder des groupuscules de migrants, les utiliser pour infiltrer la frontière de manière illégale et organiser des provocations à la frontière. La crise n’est donc pas encore finie. Chaque nuit, il y a encore des passages de migrants« .

Pas de bon coeur

Les réseaux sociaux ont joué un rôle important dans cette crise, étant donné que de nombreuses vidéos ont circulé notamment sur l’implication de la Biélorussie dans l’afflux de migrants. Mais ceux-ci ont également été prévenus du chemin à parcourir « Il y a des échos sur les réseaux sociaux qui disent que cette route est quand même difficile à traverser et que les gardes-frontières polonais sont intransigeants. Donc, les migrants sont avertis de la difficulté de la route. »

Cela fait plus de deux semaines que des retours sont petit à petit organisés, mais certains refusent de rentrer chez eux et sont toujours en Biélorussie. Et il ne faut pas croire qu’Alexandre Loukachenko a seulement pris cette mesure de bon coeur pour les migrants, qu’il a jusqu’ici instrumentalisés. Les raisons sont multifactorielles « Il y a également un facteur très important: l’hiver arrive et les températures négatives pendant la nuit aussi. Loukachenko veut éviter cette catastrophe humanitaire de voir des centaines de migrants gelés à la frontière et ensuite d’être accusé de ces faits, même s’ il y a déjà eu des morts. Je pense qu’il ne voulait pas prendre ce risque« , analyse Ekaterina Pierson-Lyzhina.

Selon la Pologne, la Russie aux manettes

Les liens entre la Russie et la Biélorussie sont indéniables et le polonais Stanis?aw ?aryn, a publié sur son compte Facebook un message qui ne laisse pas place au doute: « L’opération de déstabilisation de la Pologne et de tout le flanc oriental de l’OTAN utilise la voie migratoire. […] Le mouvement des migrants n’est qu’un moyen de mettre en oeuvre la stratégie développée au Kremlin. […] Bien que l’opération contre la Pologne soit menée par le régime de Loukachenko, nous avons affaire à des actions qui sont sous le contrôle de la Russie. » Il ajoute également: « L’opération du régime à Minsk est un élément du plan russe, dont l’objectif est de diviser les sociétés et les États d’Europe centrale, mais surtout de briser l’unité sur le forum de l’OTAN et de l’Union européenne. » Car des liens forts unissent la Biélorussie et la Russie, qui sont alliés. Mais pour Ekaterina Pierson-Lyzhina, ce lien n’est pas prouvé : « Du fait qu’on n’ait pas de preuves, ce sont des spéculations. Il ne faut pas nier que Loukachenko peut agir seul : les migrants avaient des visas biélorusses et utilisaient des agences de voyage de ce même pays. Je pense que les autorités polonaises disent ça car ça joue un peu en faveur de la Russie, dans le sens où elle soutient la position de la Biélorussie et on pourrait imaginer que ça pourrait être un test pour déstabiliser l’Europe. Mais ce ne sont que des spéculations de leur part. Il n’y a pas encore eu de preuve de lien logistique à ce stade. »

Le chantage migratoire, future arme de guerre ?

Le plan n’a pas vraiment fonctionné pour les Biélorusses. La Pologne a maintenu avec hargne ses frontières, mais cela lui a valu beaucoup de critiques au niveau international, notamment pour le traitement réservé aux migrants essayant de passer la frontière. Des vidéos ont circulé montrant les Biélorusses ramener des migrants en taxi à la frontière polonaise et certains soldats les guidant à des points de passage possibles. Mais cela a été un échec grâce notamment à la réaction européenne comme l’explique l’analyse Ekaterina Pierson-Lyzhina « Je pense que c’est un échec qui est dû au fait que leur stratégie n’a pas fonctionné, ils ne sont pas arrivés à désunir les pays européens. Il y avait quelques voix sur la façon … de traiter les migrants à la frontière mais, de manière générale, tout le monde était d’accord pour dire que Loukachenko avait créé cette crise et qu’il fallait rester unis afin d’éviter qu’une situation similaire survienne de la part d’un autre autocrate, dans l’avenir.« 

Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un pays utilise l’immigration pour montrer son mécontentement à d’autres États. C’était par exemple le cas de la Turquie au début de cette année, qui avait menacé de laisser les frontières de l’Europe totalement ouvertes aux migrants. Même s’il faut préciser que, dans ce cas, les migrants n’étaient pas volontairement amenés dans le pays. Pour l’instant, le retour des migrants se fait petit à petit à partir de Minsk. Mardi, un vol Minsk-Irak a ramené des migrants chez eux, mercredi, c’était vers la Syrie.

Ariane Kandilaptis

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