"J'avoue", "En même temps", "A la rigueur",... chaque jour nous employons des tics de langage comme des signes inconscients de de notre personnalité. © Istock

Les tics de langage, ces miroirs de notre personnalité

Stagiaire Le Vif

 » Bref « ,  » faut voir « ,  » c’est clair « ,  » voilà « ,… De tout temps, les tics de langage ont jalonné la langue française. Involontaires ou non, utiles ou vides de sens, ces expressions façonnent toujours autant nos conversations, suscitant à la fois irritation et amusement.

 » Non peut-être ? « 

Ils sont présents mais on les oublierait presque. Qui ça ? Nos tics de langage, pardi ! A la fois outils de construction sémantique et symboles d’appartenance sociale, ils sont nombreux à façonner (ou polluer) nos conversations du quotidien, le plus souvent sans qu’on s’en rende compte. Certains les considèrent comme agaçants par leur récurrence abusive. D’autres louent leur richesse et leur diversité, propres à une génération baignée dans les nouveaux médias et qui ne cesse de triturer nos manières de communiquer.

Ces tics sont aussi le reflet du fossé générationnel qui existe entre le langage d’aujourd’hui et celui de nos aînés. Sans doute la raison pour laquelle tant de parents contemplent désabusés leur progéniture débiter des mots dont le sens leur échappe plus souvent qu’à leur tour.

Si ses formes sont multiples, le psychanalyste Saverio Tomasella, auteur du livre « L’inconscient, qui suis-je sur l’autre scène ? », distingue pour Femme Actuelle deux grandes familles de tics langagiers ; « ceux que l’on s’approprie par mimétisme, conscient ou non, d’abord dans la sphère familiale, puis à l’école, dans le milieu professionnel et dans l’environnement social, précise-t-il. Puis ceux, plus subjectifs et personnels, qui sont le signe d’une préoccupation profonde, d’un conflit intérieur, ou tout simplement, l’expression d’un trait de caractère marquant. »

Un manque d’assurance

De manière consciente ou non, les tics peuvent agir comme de véritables miroirs de notre personnalité et parfois trahir des ressentis qu’on aurait préféré garder pour soi. Il n’est pas rare ainsi d’utiliser pour conclure ses phrases des expressions du genre « tu vois ce que je veux dire ? » ou « tu comprends ? », de manière à nous assurer de la bonne compréhension de notre interlocuteur, alors qu’en réalité ils attestent d’un manque d’assurance et de clarté dans nos propos. Dans le même ordre, l’horripilant « je dis ça je dis rien » sert plus à se dédouaner d’une affirmation précédente que l’on a du mal à assumer, par manque de confiance en soi ou par crainte d’être dans le faux.

Un besoin d’appartenance

Peu l’avoueront mais l’utilisation d’une tournure bien connue est un bon moyen de se situer socialement, de marquer son appartenance à un groupe. Les « grave », « cool » et autre « stylé » sont par exemple appréciés de la jeune génération, là où le « c’est énorme » ou « en mode » sont signes d’une certaine attitude « branchée ». Là encore, les barrières restent floues et les emprunts nombreux, quelle que soit la classe sociale ou le milieu d’où l’on vient.

L’angoisse du silence

La situation est connue de tous : une conversation va bon train, les sujets défilent sans ralentir le rythme quand soudain, un blanc s’installe entre les convives ! Certains n’hésitent pas alors à combler ce silence inattendu par certaines expressions comme « c’est clair », « voilà, voilà », « tout à fait », etc. Un réflexe qui nous accompagne depuis toujours. « Ils rappellent le pré-langage de la petite enfance, lorsque le bébé commence à prononcer des bouts de mots, dans un jeu rythmique et mélodique, commente Saverio Tomasella. Certaines personnes ont gardé ce côté musical. » Mais cette manie de vouloir combler la moindre pause trahit aussi une certaine anxiété. « Le silence a tendance à nous mettre en miroir avec nous-mêmes, et donc face à l’idée que les autres se font de nous, souligne M. Tomasella. Or, quand on n’est pas tranquille avec cette question, l’émission permanente de mots permet de l’éviter. »

Tous timides

Exprimer un ressenti ou des sentiments est rarement chose aisée. On préfèrera plutôt utiliser certains mots de circonstance comme « bref », « voilà » ou « en fait » pour botter en touche sur un sujet plus sensible. « Dans certaines circonstances, le ‘bref’ est une façon de dire à son interlocuteur ‘attention, terrain glissant’, ‘ça va trop loin pour moi’, ‘je n’ai pas envie de me lancer dans de telles confidences’, selon Tomasella.

La clé de la rhétorique

En terme d’interaction, les tics de langage comme « j’imagine », « certainement » ou « je comprends » sont couramment utilisés pour manifester l’approbation, mais gare aux doubles-sens ! Rétorquer « je comprends » à son interlocuteur peut en effet se traduire de deux manières différentes : « je t’écoute attentivement » ou « cause toujours, mon argument reste le meilleur au final ». La tentation de manipuler l’autre, même d’un simple mot, n’est jamais loin dans la construction rhétorique.

Irritants ou non, inspirés ou inutiles, les tics de langage, que l’écrivain Pierre Merle, spécialiste de la langue française, qualifie de « grands indispensables inutiles », gardent la vie dure au point de trouver un bel écho sur internet et les réseaux sociaux. Smiley fou de joie ou smiley triste, clin d’oeil ou pouce en l’air : insérer ces petites icônes dans nos messages est devenu monnaie courante. « Ils permettent de compléter le langage verbal rationnel par la couleur émotionnelle de la personne qui l’écrit, estime à ce sujet Saverio Tomasella. « Ce qui est gênant c’est d’employer les émoticônes en remplacement du message à proprement parler, poursuit-il. Plutôt que de faire l’effort d’élaborer une pensée, on choisit la facilité en optant pour une image. Dans ce cas, on appauvrit la communication. »

Compagnons du quotidien, les tics langagiers finissent par perdre un peu de leur sens initial à force de voyager dans les méandres de notre vocabulaire. Petite remise à niveau pour cinq d’entre eux.

1) En meme temps

Illogisme sémantique qui ne contient en réalité aucune allusion au temps. Dans le langage courant, il est utilisé comme un modérateur de la phrase qui précède.

Exemple : « J’ai réussi mon examen de maths ! En meme temps, c’était pas difficile. »

Peut etre remplacé par « mais », « cela dit », « en revanche ».

2) Enorme

Adjectif de grandeur qui contien la notion d’excès. Il est souvent accompagné de « trop », qui entraine une redondance, ou « juste » qui peut rendre l’énormité étriquée.

Exemple : « J’ai pu réserver mes tickets pour Tomorrowland, c’est (juste, trop) énorme ! »

Peut etre remplace par « impressionnant » ou « invraisemblable ».

3) En mode

Lié au développement des réseaux sociaux et à la multiplication des statuts, l’expression « effet de mode » ne désigne plus le mode automatique, vibreur ou veille d’un appareil, mais l’activité d’une personne.

Exemple : « Je suis en mode concentré là, pas le temps de faire une pause. »

Peut etre remplacé par « je suis en train d’étudier ».

4) Carrément

De l’idée première d’angle droit, l’expression a laissé place à une image de netteté, sans détours ni hésitation.

Exemple : « Tu sors ce soir ? Oui, carrément ! »

Peut etre remplacé par « absolument », « bien sur ».

5) J’avoue

S’utilise très souvent en guise d’approbation, sans complément, en donnant l’impression d’avoir résisté aux questionnements avant d’admettre.

Exemple : « Tu as vu cette fille là-bas ? Elle est jolie non ? Oui, j’avoue. »

Peut etre remplacé par « oui », « en effet ».

Source : Le Soir

Guillaume Alvarez

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