Le refus de la France et de l'Allemagne de leur fournir des masques au début de l'épidémie a heurté les Italiens. © MARCO PASSARO/PHOTONEWS

« On peut comprendre que l’euroscepticisme soit désormais très puissant en Italie »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour le spécialiste de l’Italie Marc Lazar (1), le retour de la confiance des Italiens à l’égard de l’Union européenne prendra du temps. La vigueur de sa réponse au défi économique pourrait y aider.

Les critiques formulées en Italie sur le manque de solidarité de l’Europe étaient-elles fondées ?

Si on s’inscrit dans une perspective historique de moyenne durée, on peut comprendre que l’euroscepticisme soit désormais très puissant en Italie. La première déception à l’égard de l’Union européenne remonte à l’entrée dans la zone euro. Les Italiens ont pensé qu’après avoir consenti autant de sacrifices pour y accéder, ils allaient en retirer beaucoup d’avantages et que le pays vivrait un deuxième miracle italien après celui des années 1950. Ils ont dû déchanter. La deuxième grande désillusion a été la crise financière et économique de 2008 qui a profondément marqué l’Italie, avec le chômage, les inégalités, la pauvreté (on recensait cinq millions de pauvres avant l’épidémie de coronavirus). Et puis, la gestion de l’afflux de migrants entre 2014 et 2016 a provoqué une nouvelle déception. La crise sanitaire est donc la quatrième étape de cet éloignement des Italiens à l’égard de l’Europe. Quand la pandémie a commencé à frapper le pays, les Italiens ont très mal perçu d’une part le refus de l’Allemagne et de la France d’envoyer des masques, d’autre part, la première déclaration de Christine Lagarde, sa présidente, expliquant que la Banque centrale européenne ne pourrait rien faire face à cette crise. Le sentiment d’être encore une fois abandonnés par les Européens s’est donc accentué. Maintenant, nous ne disposons pas encore d’enquête pour juger de l’évolution de ce sentiment depuis que l’Union européenne a pris une série de mesures à caractère économique.

Une action énergique sur le plan économique pourrait-elle sauver l’image de l’Union en Italie ?

Cela va dépendre de l’ampleur de la crise économique et sociale. On parle d’une baisse de 8 % du Produit intérieur brut, d’un accroissement du chômage et des inégalités, etc. C’est en fonction de cette réalité-là que les Italiens pourront ou non changer leur attitude à l’égard de l’UE. Je pense néanmoins que reconstituer une confiance proeuropéenne sera long. Même certains Italiens proeuropéens ont commencé à douter de l’Union. Cependant, toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’une majorité d’Italiens ne veulent pas quitter l’Union et encore moins la zone euro. Ils vivent plutôt une sorte d’amour déçu, une immense déception par rapport à un grand amour.

La défiance grandissante envers l’Europe, les remises en cause de la mondialisation et la prise de conscience de la dépendance industrielle à l’égard de la Chine peuvent-elles servir les populistes et l’extrême droite ?

Tout dépendra de la sortie de crise. Si jamais la situation économique se détériore beaucoup, si de nombreuses entreprises font faillite, si le chômage croît, cela donnera incontestablement un espace plus important à Matteo Salvini (Ligue) et à Giorgia Meloni (Frères d’Italie). D’autant qu’ils pourront se présenter comme les sauveurs. Mais Matteo Salvini sera tout de même confronté à deux problèmes. D’une part le bilan de la gestion de la crise du coronavirus en Lombardie. Il a défendu tout ce que le président de la région Attilio Fontana, un de ses proches au sein de la Ligue, a réalisé. Or, il ne fait pas de doute qu’on lui demandera des comptes. D’autre part, Matteo Salvini ne peut pas aller trop loin dans son discours anti- globalisation parce qu’il sait qu’une partie de son électorat, propriétaires de petites et moyennes entreprises, ne vit que grâce au commerce international.

(1) Dernier ouvrage : Peuplecratie, par Ilvo Diamanti et Marc Lazar, Gallimard, 2019, 192 p.

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