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Non, les personnes non vaccinées ne sont pas les « nouveaux Juifs »

Rien Emmery Journaliste Knack

Le pass sanitaire et les autres mesures prises dans le pays et à l’étranger conduisent à une polarisation des opinions sur le sort des citoyens non vaccinés. Ces divisions sont encore alimentées par des rapports trompeurs et des malentendus banals.

Les opposants aux pass sanitaires et les militants anti-vaccin aiment comparer la situation des citoyens non vaccinés à des exemples historiques de discrimination légale : l’apartheid en Afrique du Sud, la ségrégation raciale aux États-Unis et, le plus souvent, la persécution des Juifs. Les personnes non vaccinées sont « les nouveaux Juifs », a déclaré ce mois-ci Thierry Baudet, chef du parti néerlandais de droite radicale Forum voor Democratie (FvD). Lorsque des Néerlandais se sont présentés à une manifestation affublés d’étoiles jaunes portant la mention « non vacciné », le coordinateur national de la lutte contre l’antisémitisme (NCAB) a qualifié cette manifestation de « blessante et absurde » et de banalisation de l’Holocauste.

S’il est vrai que dans plusieurs pays, on fait une distinction nette entre les citoyens vaccinés et non vaccinés – pensez à l’Autriche -, de nombreuses informations trompeuses circulent également sur certaines mesures dans d’autres pays. Par exemple, un article publié sur le site web du groupe d’action Corona Factor V, affirme qu’en Australie on met « les personnes non vaccinées dans des camps ». Il n’en est rien. Il s’agit probablement d’une confusion avec les installations de quarantaine où doivent séjourner les voyageurs internationaux qui entrent en Australie. Dès le début de la pandémie, le pays a adopté une stratégie d’isolement stricte, avec des quarantaines obligatoires pour les voyageurs, afin de tenter de maintenir le coronavirus hors du continent. Les « camps de concentration pour les non-vaccinés » n’y existent pas.

Une brasserie nazie

Plus près de nous, il est frappant de constater que les analogies avec la persécution des Juifs découlent souvent d’incidents maladroits, tels que l’application incorrecte du Covid Safe Ticket (CST) par le secteur privé. Ainsi, une brasserie de Bree, dans le Limbourg, regrette probablement déjà son idée de faciliter la vérification des codes QR. Pour soulager le personnel de salle, l’établissement avait installé un scanner automatique qui permettait à chacun de lire son propre code. En cas de coche verte, la machine imprimait un papier que les clients pouvaient montrer au serveur. Sur le papier, on pouvait lire en grosses lettres « Entièrement vacciné ». Le but n’est évidemment pas de révéler de tels détails.

Très vite, une photo de ce papier s’est retrouvée sur les réseaux sociaux, où les opposants au CST l’ont comparé aux étoiles jaunes que les citoyens juifs devaient coudre sur leurs vêtements pendant la Seconde Guerre mondiale. « Évitez cette brasserie nazie comme la peste », écrit un internaute, et sur diverses plateformes, des personnes qui n’avaient jamais mis les pieds dans l’endroit ont laissé des critiques négatives sur l’endroit. Le manager a eu du mal à suivre l’indignation. La brasserie a décidé d’adapter le système.

Aux Pays-Bas, un incident similaire s’est produit dans la cafétéria d’une piscine en septembre dernier. Une photo diffusée sur les réseaux sociaux montrait une partie de la salle bouclée par des rubans rouges et blancs. Deux flèches dirigeaient les « non-vaccinés » vers la gauche et les « vaccinés » vers la droite. Qu’est-ce qui se cachait là derrière? Comme les cafétérias sont soumises au pass sanitaires dans le secteur de la restauration, la piscine avait installé deux parcours de marche. Ainsi, les visiteurs sans code QR valide, qui, selon le règlement, n’étaient pas autorisés à prendre un verre au bar, pouvaient tout de même prendre place dans les salles de réunion de la piscine pour assister aux cours de natation de leurs enfants. Mais les flèches faisaient à tort une distinction entre « vaccinés » et « non-vaccinés », car aux Pays-Bas, il y a également moyen d’obtenir un pass sanitaire valable à l’aide d’un certificat de guérison ou d’un test négatif.

Il est frappant de constater à quel point les traductions et expressions pratiques des pass sanitaires – par exemple, l’idée d’utiliser des bracelets après un scan unique dans les quartiers étudiants afin de pouvoir entrer dans différents cafés sans avoir à sortir un code QR à chaque fois – suscitent l’irritation.

Saint-Nicolas

Aux Pays-Bas, on s’est également servi des nombreuses parades de Saint-Nicolas de ces dernières semaines pour dénoncer la « discrimination à l’encontre des personnes non vaccinées ». Dans les lieux publics où Saint-Nicolas traversait la ville, le pass sanitaire n’était pas nécessaire. Pour éviter les grandes foules, certains lieux d’arrivée ont été transformés en événements soumis au pass sanitaire. Mais là encore toute personne possédant un certificat de guérison ou un test négatif peut assister à ces événements.

Sur les réseaux sociaux, la photo d’un enfant regardant Saint-Nicolas entre deux portes de fer a été présentée comme un exemple pathétique de la façon dont les personnes non vaccinées seraient exclues des festivités autour de Saint-Nicolas. Un utilisateur de Twitter a même réalisé un collage avec une image que le photographe Henryk Ross a prise pendant la Seconde Guerre mondiale dans le ghetto juif de Lodz, en Pologne, peu avant que les résidents ne soient déportés. Cependant, la photo de l’enfant près de la clôture a été prise à Rotterdam, sur le Willemsbrug, où la même clôture se trouve depuis des années, car ce n’est pas un endroit approprié pour les spectateurs.

La semaine dernière, le député indépendant Dries Van Langenhove, qui siège au sein du groupe Vlaams Belang, a partagé une photo similaire. On y voit un père à Amsterdam, un enfant juché sur ses épaules, se faire renvoyer par un policier. Selon Van Langenhove, l’homme a été renvoyé parce qu’il n’avait pas de pass sanitaire valide. Mais il s’est avéré que c’était dû uniquement à la circulation dangereuse: le spectateur se tenait en équilibre sur le bord d’un trottoir clôturé, juste à côté de la route. En outre, le navire de Saint-Nicolas a navigué pendant des heures sur les canaux d’Amsterdam, où toute personne ne possédant pas de code QR pouvait assister à son arrivée.

Il est impossible d’échapper à la division sociale au sujet du pass sanitaire. Mais une partie de l’agitation sur les réseaux sociaux repose sur des photos sorties de leur contexte, ou sur des incidents où des entreprises privées outrepassent leurs attributions en matière de données relatives à la vie privée ou placent une signalisation maladroite. Les entrepreneurs et les autorités locales qui – avec les meilleures intentions du monde – essaient d’implémenter le pass sanitaire, font l’objet de fake news trompeuses. Les comparaisons avec la persécution organisée des Juifs dans l’Allemagne nazie sont donc non seulement irrespectueuses, mais même un peu grotesques.

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