Gérald Papy

Macron, le noble et le vulgaire

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’affaire Benalla est une histoire comme seule la politique française peut nous en gratifier. Emmanuel Macron aurait pu la circonscrire à un « faits divers » s’il avait reconnu le dysfonctionnement de la présidence et promis d’y remédier dès sa révélation par la presse.

Elle est devenue un dossier gigogne qui entache le mandat jupitérien, questionne l’organisation de l’Etat et met à nouveau en avant certains conservatismes français. Au-delà de l’illégalité des coups de poing du 1er mai d’Alexandre Benalla-le-violent que l’enquête judiciaire devra établir, l’audition par les sénateurs de la commission d’enquête d’Alexandre Benalla-le-policé met en lumière une possible dérive au sommet de la République. La protection du locataire de l’Elysée relève du Groupe de sécurité de la présidence de la République, constitué de gendarmes et de policiers. Que faisait Alexandre Benalla, qui n’y était pas officiellement habilité, dans cet attelage, lui qui a voulu minimiser son rôle, mais auquel l’analyse des faits prêterait plutôt une influence d’envergure ? Comme la plupart de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron aurait voulu placer au sein de l’édifice un  » homme à lui « . C’est humain. Alexandre Benalla était, même s’il s’en est défendu devant les sénateurs, le bouclier du couple Macron pendant ses déplacements publics comme lors de ses activités privées. Une mission qui impose une relation de confiance extrême dans le meilleur des mondes… étroitement contrôlé par Emmanuel Macron. C’est humain mais cela pose aussi un problème institutionnel. Elu, le président français ne s’appartient plus. Et les Français sont en droit de réclamer que sa protection soit assurée avec tous – et rien que – les moyens de l’Etat.

La difficulté d’établir des relations d’égal à égal est handicapante quand il s’agit de réformer.

S’il est un self-made-man parti de rien, bien dans l’esprit volontariste promu par le président, Alexandre (ex-Maroine) Benalla a en outre démontré lors de son audition que son ascension jusqu’à l’Elysée n’était pas usurpée : phrasé posé, maîtrise des législations, adéquation des compétences et de l’expérience avec la fonction exercée ou espérée… Mise en lumière dans des circonstances plus avantageuses, son image qui renouvelle le concept de l’ascenseur social aurait même pu servir celui qui cherche désespérément à se défaire de l’étiquette de  » président des riches « .

Or, cette question n’est pas seulement un enjeu d’image et de courbe de popularité. Elle peut aussi orienter fondamentalement la politique du président. Le sociologue Philippe d’Iribarne explique dans une tribune du Figaro combien la France reste une société de  » rangs « , hantée par l’opposition du noble et du vulgaire.  » Une question centrale, qui est au coeur des difficultés de la société française, est la manière, extrêmement contrastée selon les personnes, dont se comportent les « gens du haut » et leurs inférieurs sur les multiples scènes où ils se rencontrent « . Pourquoi est-ce si essentiel ? Parce que, selon d’Iribarne, cette difficulté d’établir des relations d’égal à égal est handicapante quand il s’agit de réformer : les réformes envisagées sont a priori ressenties comme dégradantes par ceux qu’elles affectent et il ne va pas de soi pour les hautes autorités, dans le sentiment qu’elles ont de leur rang, de ne pas chercher à imposer ce qu’elles ont décidé. C’est tout le contraire parmi les dirigeants d’Europe du Nord adeptes d’une méthode bon enfant que ne peut se permettre le monarque de l’Elysée au risque d’apparaître, aux yeux de certains de ses  » sujets « , manquer de grandeur… Cruel dilemme.

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