Annalena Baer et Robert Habeck, les coprésidents des Verts allemands, s'affichent candidats au pouvoir en 2021. © BELGAIMAGE

Les Verts, prêts pour le pouvoir en Allemagne

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Ils sont devenus la seconde force politique du pays et pourraient être incontournables pour former la prochaine coalition, dans un an, après le départ d’Angela Merkel.

Ils devaient tenir l’une de ces grand-messes joyeuses, au milieu de brassées de tournesols géants, que sont d’habitude leurs congrès. A un an des prochaines élections, les 800 délégués du parti vert allemand se sont finalement retrouvés sur la Toile – Covid-19 oblige – pendant trois jours fin novembre pour l’adoption de leur programme d’orientation, le quatrième depuis la fondation du parti il y a quarante ans. Ce congrès entièrement virtuel avait des allures de galop d’essai avant de se lancer, au printemps prochain, dans la campagne électorale en vue des législatives. C’est à ce moment-là seulement que les Grünen choisiront qui de leur direction bicéphale – Robert Habeck ou Annalena Baerbock – conduira leur liste électorale.

Sur la justice sociale et la sécurité, les Verts sont clairement concurrents du SPD et de la CDU.

Crédités d’un stable 20% des intentions de vote depuis des mois, les Verts sont passés devant le Parti social- démocrate (SPD, 15%) dans les sondages et pourraient devenir le prochain allié du Parti chrétien-démocrate, crédité, lui, de 35%, dans la coalition qui sortira des urnes le 26 septembre 2021. Les Verts sont aujourd’hui associés au pouvoir dans 11 des 16 gouvernements régionaux et dirigent le riche Land industriel du Bade-Wurtemberg dans le sud-ouest de l’Allemagne. En quatre ans, le nombre de leurs adhérents a bondi de 72%, à 105.980 membres.

« Bourgeois et bien-pensant »

Un canapé orange, un fauteuil vert, un papier peint marbré, des éclairages branchés style années 1960, aux murs des photos des anciennes batailles du parti, une affiche de 1979 disant « non au nucléaire »… Le décor retenu pour ce congrès virtuel – un salon semblant tout droit sorti des quartiers bobo de Berlin, de Munich, de Cologne ou de Hambourg – en dit long sur l’évolution des Grünen depuis leur fondation en janvier 1980 à Karlsruhe. Les Verts sont alors un rassemblement hétéroclite issu des mouvements antinucléaire, pacifiste et de la nouvelle gauche, plutôt radicale, des années 1970. « Le salon- studio de télévision du congrès est un reflet de ce qu’est devenu le parti, constate le magazine Der Spiegel : un brin bourgeois et bien-pensant. » « Ce qui n’a pas changé depuis quarante ans, c’est l’aspect écologique. Les Verts restent le parti de l’environnement », souligne le politologue Gero Neugebauer.

Le programme adhère à l’Accord de Paris sur le climat, vise une limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré, mise à 100% sur les énergies renouvelables, couplées avec la sortie définitive des énergies fossiles, veut soutenir le développement de l’agriculture biologique et de la mobilité douce. « Mais à côté de cette composante, les Verts assument de plus en plus leur prétention à la compétence en matière de justice sociale et de sécurité. Et sur ce point, ils sont clairement concurrents du SPD et de la CDU », ajoute le chercheur. Au fil des ans, certains militants de la première heure ont d’ailleurs fui le parti à leurs yeux embourgeoisé, lui préférant les néocommunistes de Die Linke, ou de nouveaux mouvements militants écologistes plus radicaux.

Jouer au centre

Dans le studio de télévision qui abrite le congrès, les intervenants affichent les uns après les autres leurs ambitions. « Avec ce congrès et notre programme d’orientation, nous faisons une offre pour vous, pour toi, pour nous tous. Parce que chaque époque a sa couleur. Et c’est au tour du vert », lance Annalena Barboeck. Son colistier, le très charismatique Robert Habeck, défend, lui, la prétention des Grünen à viser le pouvoir, un mot longtemps honni par le parti. Leurs anciens adversaires en politique se souviennent des députés Verts tricotant dans l’hémicycle du Bundestag dans les années 1980, au grand dam du chancelier de l’époque, Helmut Kohl. « Les Verts veulent maintenant jouer au centre du terrain, et obliger les autres à composer avec eux« , résume Gero Neugebauer.

Fruit de trois ans de débat, et après 1.300 amendements, le programme d’orientation de 54 pages adopté lors du congrès virtuel de Berlin jette les bases de cette nouvelle ambition. Structurée en huit chapitres, la nouvelle bible des Verts réaffirme les valeurs clés (dignité humaine, maîtrise de sa vie par l’individu, liberté, écologie). Les nouveaux accents portent sur le social (le salaire universel est appelé à terme à remplacer le très impopulaire système d’aides sociales Hartz IV) ou l’organisation politique (introduction d’une dose de référendum indirect dans le jeu politique ; abaissement de la majorité électorale à 16 ans ; soutien total aux forces de l’ordre et à l’armée). Surtout, nulle trace des traditionnelles querelles internes opposant les « Realos » et les « Fundis », surnoms donnés aux fractions réaliste et fondamentaliste au sein du parti. Nulle déclaration de guerre au capitalisme dans le programme adopté. Finis les débats opposant économie et écologie. L’économie est désormais considérée comme un outil permettant de mieux défendre l’environnement, à condition de lui donner les bonnes impulsions. « Il y a une nouvelle génération à la tête du parti », rappelle Gero Neugebauer. Annalena Baerbock a l’âge de sa formation politique. Cette jeune quadra dynamique se soucie peu des querelles qui ont opposé ses aînés et ne cache pas que sa socialisation politique ne remonte pas à la lutte antinucléaire des années 1980 mais aux premières coalitions formées par les Verts au niveau régional dans les années 1990. Ou à leur première participation à un gouvernement fédéral, du temps de Gerhard Schröder et de Joschka Fischer, en 1998.

« En l’état actuel des sondages, la seule façon pour les Verts de parvenir au pouvoir est de s’allier avec la CDU« , analyse Gero Neugebauer. Angela Merkel ayant annoncé son retrait de la vie politique à la fin de la législature, c’est avec le futur chef du parti qu’il leur faudra négocier un accord de coalition. La tâche sera ardue. La CDU, qui doit tenir un congrès en janvier prochain, apparaît profondément divisée, entre les partisans de la ligne centriste d’Angela Merkel et ceux qui veulent un retour aux valeurs conservatrices traditionnelles. Des différents candidats en lice, Armin Laschet, le progressiste ministre-président de la Rhénanie, devrait avoir la préférence des Verts, plutôt que Friedrich Merz, un ancien rival ultraconservateur de la chancelière, devenu millionnaire à la tête de BlackRock Germany et qui, s’il était élu chancelier, sera peu enclin à faire de la lutte contre le réchauffement climatique l’une de ses priorités.

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