Depuis le début du mois de mai, une centaine de prêtres ont béni des unions homosexuelles, comme ici à Cologne , pour protester contre la ligne du Vatican. © REUTERS

Couples homosexuels en Allemagne: la fronde des prêtres

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Une fois de plus, l’Eglise catholique allemande, rebelle depuis Luther, défie le Vatican. Une centaine de prêtres bénissent couples homosexuels et remariés pour protester contre la morale sexuelle édictée par Rome.

Plus d’une centaine de ces messes ont eu lieu depuis le début du mois de mai en Allemagne. A chaque fois, c’est le même scénario: des drapeaux LGBT sont joyeusement agités par le vent sur le porche de l’église, ou déployés à l’intérieur de l’édifice. Un prêtre entouré de ses vicaires, vêtus d’une soutane et de l’aube traditionnelle, masqué à cause de la pandémie, imprime le signe de croix de son pouce oint d’huile sainte sur le front de deux hommes ou de deux femmes, des couples homosexuels dont les yeux se remplissent de larmes, saisis par l’émotion. Dans le public, la famille, les amis et des activistes sont venus soutenir ces prêtres qui bravent l’interdit de Rome.

Le président de la Conférence épiscopale d’Allemagne, Georg Bätzing, se dit favorable à ce que l’Eglise accorde sa bénédiction aux couples homosexuels. Mais il rejette le côté u0022provocateuru0022 des messes des dernières semaines.

« L’amour l’emporte »

Andreas et Thomas, mariés au civil, ont fait bénir leur union à Cologne le 10 mai. A 56 ans, Andreas a tourné le dos à l’Eglise, pour protester contre l’intolérance du Vatican envers les couples homosexuels. Thomas, 59 ans, continue de payer l’impôt religieux prélevé en Allemagne par les Eglises sur les personnes baptisées (à moins qu’elles n’entreprennent la démarche officielle de « sortir » de l’Eglise), qui cautionne son appartenance à la communauté catholique. Lui est toujours « convaincu de l’utilité de l’Eglise dans le domaine social« . « Cette bénédiction est très importante pour moi, insiste Thomas. Elle place notre relation sous la bénédiction de Dieu. C’est important pour nous de ne pas être liés l’un à l’autre seulement face à l’Etat. »

Le même jour, à Munich, le prêtre Wolfgang Rothe bénit l’union de Christine Waldner et de sa partenaire Almut Münster. « Ceci est mon commandement: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », prononce le prêtre, citant l’Evangile. « C’était très émouvant pour nous, explique Christine après la cérémonie. Nous ne voulons pas tolérer que notre amour soit présenté comme un péché. Nous ne voulons plus nous faire exclure », ajoute la jeune femme. « Mon point de vue est qu’il faut faire sortir des arrière-cours de l’Eglise ce qui appartient au coeur de la vie des Eglises », souligne Wolfgang Rothe, cautionnant ainsi le mot d’ordre du mouvement qui a initié la fronde ébranlant ces temps-ci l’Eglise allemande et Rome: « L’amour l’emporte. »

Processus de modernisation

Tout a commencé en mars dernier par une note publiée par la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’entité garante de la morale chrétienne au sein de l’Eglise catholique. Celle-ci, désavouant les intentions prêtées au pape François de s’ouvrir aux couples homosexuels, qualifie l’homosexualité de « péché » et confirme l’impossibilité pour les couples de même sexe de recevoir le sacrement du mariage. En Allemagne, où le mariage homosexuel est autorisé depuis quatre ans après des décennies de débats tumultueux, la note de Rome tombe au mauvais moment. L’Eglise allemande, confrontée à la fuite des fidèles après les scandales de pédophilie, est en effet engagée depuis 2019 dans un processus de modernisation et de démocratisation impliquant clergé et laïques, et connu sous le nom de « Chemin synodal ». Les débats portent sur le célibat des prêtres, la place des femmes dans l’Eglise et la morale sexuelle. Les discussions doivent s’achever en 2022.

La note de Rome, intervenant à l’heure où l’Eglise d’Allemagne assure vouloir se moderniser, suscite stupeur et incompréhension parmi les modernistes. Des groupes de laïcs, des prêtres, des théologiens et même des cardinaux se rebiffent. Le 16 mars, le théologien Burkhard Hose et le prêtre Bernd Mönkebüscher lancent une pétition, demandant la poursuite des bénédictions de couples de même sexe que certains prêtres isolés menaient de façon discrète. En quelques jours, 2 600 prêtres et laïques et 300 pro- fesseurs de théologie signent l’appel pour exprimer leur désaccord avec Rome et défendre l’ouverture du mariage « à toutes les personnes qui s’aiment », quelle que soit leur orientation sexuelle. L’initiative vise aussi les personnes divorcées et remariées, dont l’Eglise ne reconnaît pas la nouvelle union. Le mouvement #lamourlemporte est né, scellant le fossé croissant qui sépare une partie de l’Eglise catholique allemande du Vatican, mais aussi les divisions profondes qui opposent les catholiques de République fédérale, déchirés entre réformateurs et conservateurs. A leur tête, l’archevêque de Cologne, Rainer Maria Woelki, est depuis des mois sous le feu des critiques pour avoir refusé de publier un rapport sur les abus sexuels commis dans son diocèse entre 1975 et 2018.

Sur la question du mariage homosexuel, les plus conservateurs des catholiques européens se retrouvent aux côtés des conservateurs américains, qui voient en l’Allemagne, le pays de la Réforme (1517) et de Martin Luther (1483-1546), celle qui a « divisé l’Eglise ». Mais en Allemagne aussi le mouvement « l’amour l’emporte » divise. « Les bénédictions de couples homosexuels ont toujours existé, rappelle Thomas Sternberg, président du comité central des catholiques allemands ZdK. La question est plutôt de savoir si la bénédiction se prête à une manifestation politique. » Le signal lancé par ces bénédictions dans le contexte actuel « n’aide pas beaucoup », ajoute Georg Bätzing, le président de la Conférence épiscopale d’Allemagne, pour qui ce cadre n’est pas adapté « à des actions de protestation ». Lui-même se dit favorable à ce que l’Eglise accorde sa bénédiction aux couples homosexuels. Mais il rejette le côté « provocateur » des messes des dernières semaines.

Des tentatives de perturbation

Du côté des fidèles, les réactions sont mitigées, allant de l’approbation à la colère. Un prêtre de Munich, Wolfgang Rothe, a reçu des mails de menace annonçant « la colère de Dieu » tandis qu’un autre protestataire assurait vouloir perturber la cérémonie en « disant des chapelets à voix haute ». A Wuppertal, des manifestants brandissant une banderole clamant « Pas de bénédiction pour les pécheurs » ont tenté de perturber la cérémonie de la basilique St Laurent. Sur les sites ultraconservateurs catholiques, on trouve des modèles de lettre pour dénoncer à leur évêque ou à Rome les prêtres participant au mouvement. Certains exigent l’excommunication des rebelles. Un mouvement baptisé « Marie 1.0 » s’est formé en réponse à « Marie 2.0 », qui soutient les unions homosexuelles et réclame davantage de place pour les femmes dans l’Eglise. Marie 1.0 appelle les fidèles et « les personnes de bonne volonté » à réciter des chapelets pour perturber les messes de bénédiction.

« Ces messes mobilisent aussi les milieux ultraconservateurs au sein de l’Eglise, constate Burkhard Hose. Mais le nombre massif de ces messes doit aussi permettre de protéger les prêtres, ajoute le théologien. Les évêques qui seraient tentés de réagir avec des mesures disciplinaires se démasqueraient. » A l’heure où une majorité des fidèles attend de l’Eglise allemande qu’elle se modernise.

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