Pour le Premier ministre britannique Boris Johnson, la rapidité de la vaccination contre la Covid-19, lancée le mardi 8 décembre, témoigne de la pertinence du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. © reuters

Brexit: chaque partie veut se prémunir avant la séparation

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Dans les négociations, chacun veut se prémunir contre les déceptions d’après-séparation. Au point, pour le Premier ministre britannique Boris Johnson, de surexploiter la vaccination rapide contre la Covid-19.

Boris Johnson tient sa victoire. La campagne de vaccination contre la Covid-19 qui a commencé au Royaume-Uni le mardi 8 décembre est érigée par les dirigeants britanniques au rang de symbole du bénéfice que le pays va retirer de son retrait de l’Union européenne. L’agence de santé britannique, la Medecines and Healthcare products Regulatory Agency (Mhra), a autorisé l’administration du vaccin de l’Américain Pfizer et de l’Allemand BioNTech, le mercredi 2 décembre, soit le lendemain du jour où l’Agence européenne des médicaments a entamé son examen… La directrice exécutive de la Mhra, June Raine, l’a garanti: l’agence n’a pas eu recours à des raccourcis pour contrôler le vaccin. « Nous avons travaillé dans le cadre des règles européennes en vigueur jusqu’au 1er janvier 2021 », a- t-elle même perfidement précisé.

Le front uni que les Européens ont réussi à cimenter pourrait s’effriter dans la dernière ligne droite.

La parabole du vaccin accrédite la revendication profonde qui a conduit Boris Johnson et une majorité de Britanniques à opter pour le Brexit par référendum le 23 juin 2016: le take back control qui traduit cette volonté irréductible de reprendre les rênes de sa souveraineté et de se débarrasser de la bureaucratie européenne. Et on se garde bien à Londres de claironner que les doses du précieux rempart contre la maladie sont sorties de l’usiner Pfizer de Puurs, près d’Anvers, et que les prochaines risquent de rencontrer des difficultés supplémentaires (contrôles et embouteillages) pour être acheminées par camions dans les hôpitaux britanniques, que le Royaume-Uni et l’Union européenne s’entendent ou pas sur les conditions de leur future relation d’ici au 31 décembre 2020.

La pêche, un symbole

Les négociations ne prenaient pas la voie d’une issue heureuse en milieu de semaine. Malgré un nouveau round de discussions entre le négociateur de la Commission européenne, Michel Barnier, et son homologue David Frost, malgré des entretiens entre la présidente de la Commission Ursula von der Leyen et le Premier ministre britannique Boris Johnson, elles butaient toujours sur trois points. Les règles d’une concurrence équitable: l’Union européenne veut conditionner l’accès au marché européen des produits britanniques au respect de dispositions en matière de droit environnemental et social afin d’éviter l’éclosion d’un Singapour-sur-Tamise à Londres. Un dispositif prévoyant la procédure de règlement des différends entre les deux parties: une condition qui découle directement de la première. Et un cadre pour réguler les activités de pêche des marins européens dans les eaux territoriales britanniques: les Britanniques demandent que la période de transition qui garantit le statu quo actuel soit limitée à trois ans, les Européens réclament qu’elle soit étendue à dix ans, un compromis pourrait être trouvé autour d’un délai de cinq ans.

Le négociateur de la Commission européenne sur le Brexit, Michel Barnier, doit composer avec des positions nuancées au sein de l'Union.
Le négociateur de la Commission européenne sur le Brexit, Michel Barnier, doit composer avec des positions nuancées au sein de l’Union.© belga image

Le secteur de la pêche n’est pas un poids lourd de l’économie britannique. Mais il est important symboliquement. La plupart de ses acteurs ont voté en faveur du Brexit en 2016. Et Boris Johnson ne peut pas les abandonner. Même sentiment en France sur des terres qui ont souvent placé la dirigeante du Rassemblement national Marine Le Pen en tête du premier tour de l’élection présidentielle de 2017. Ce n’est pas par hasard que le Premier ministre français Jean Castex a choisi le port de Boulogne-sur-Mer, proche de la ville du Touquet chère à son président, pour présenter les mesures d’accompagnement des pêcheurs que le gouvernement envisage pour adoucir les effets du Brexit. D’un côté comme de l’autre de la Manche, et même si la France est soutenue dans sa fermeté sur ce dossier par la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l’Espagne et l’Italie, les dirigeants veulent apparaître avoir fait le maximum pour protéger leurs administrés. Mieux vaut ouvrir les parapluies en prévision des révoltes à venir.

A vingt-sept pour un petit temps

Depuis Londres, la France est dépeinte comme l’adversaire le plus coriace dans la négociation post-Brexit alors que l’Allemagne serait davantage disposée à concéder un accord final, même un peu moins avantageux pour l’Union européenne. Cette différence d’attitude pourrait s’expliquer par l’avidité d’exportation cultivée à Berlin. Même des commentateurs britanniques sceptiques sur l’intérêt du Brexit perçoivent dans le chef de certains interlocuteurs européens une volonté de punir l’insolent Royaume-Uni pour avoir osé défier l’Union européenne et la quitter. Il s’agirait aussi de dissuader certains dirigeants de nourrir d’autres velléités d’exit en leur signifiant qu’un retrait du cercle privilégié de l’Union européenne ne peut se passer sans préjudice pour l’impétrant. Un moment crainte, la perspective d’un autre retrait ne s’est pas matérialisée. En attendant, le front uni que les Européens ont réussi à cimenter depuis la décision des Britanniques de partir pourrait s’effriter dans la dernière ligne droite, si la raison, à savoir un accord honorable pour tous, ne l’emporte pas. Le bouillant Boris Johnson, attendu à Bruxelles en fin de semaine, y contribuera-t-il?

L’Union européenne continuera donc à composer et à progresser à vingt-sept pendant un temps certain. D’autant que les candidats qui frappent à ses portes ne sont pas près de la rejoindre. La Turquie et ses – de plus en plus rares – défenseurs en Europe ont fait le deuil de son adhésion. Les Etats des Balkans qui y aspirent ont encore beaucoup de chemin à parcourir. Dans un état des lieux établi début octobre par la Commission européenne, des lacunes en matière d’Etat de droit, de justice et de lutte contre la corruption ont été pointées à l’encontre de la Serbie et du Monténégro, dont les candidatures sont les plus avancées, et de l’Albanie et de la Macédoine du Nord, pour lesquelles l’étape des conférences intergouvernementales n’a pas encore été engagée. Ce temps entre retrait du Royaume-Uni et nouvelles adhésions devrait être utilisé à bon escient par l’Union européenne pour approfondir ses relations, internes et externes.

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