Yves Thélen

Le déni comme art de vivre

Yves Thélen Professeur de philosophie et morale laïques

Every body knows… Tout le monde sait maintenant : l’emballement des désastres climatiques, le génocide d’espèces entières, la Terre ravagée que nous laisserons en héritage à nos enfants… Trop de livres, de films, de reportages nous ressassent les mêmes perspectives d’apocalypse, au point de provoquer des réactions de résignation, voire franchement cyniques :  » l’homme disparaîtra ? Bon débarras !  » (Yves Paccalet).

Et puis, malgré tout, histoire de nous donner bonne conscience, nous agissons modestement à notre niveau : nous trions nos poubelles, nous mangeons bio et nous avons même acquis un vélo électrique avant de voter écolo. Tiens, à propos d’élections : aucun parti n’a eu le courage de reconnaître que le développement durable est une illusion, que tout recyclage exige son prélèvement d’énergie, que relancer la croissance et la consommation des ménages est suicidaire comme l’est, tout simplement, notre style de vie !

Voilà le grand déni : des boucles de rétroaction sont enclenchées, une masse croissante d’êtres humains aspire à notre frénésie consumériste, une marée de réfugiés fuyant famines, désertification et montée des océans risque de se presser bientôt à nos frontières… mais nous faisons ce que nous pouvons : nous trions nos poubelles avant d’expédier ce qui n’est pas récupérable dans ces pays où des enfants survivent sur des montagnes d’immondices !

Tous les rapports du GIEC et des COP successifs constatent que les efforts sont insuffisants, que la situation ne cesse de s’aggraver, et annoncent l’imminence de catastrophes si des mesures drastiques ne sont pas mises en oeuvre sans tarder. Mais quelles seraient donc ces mesures ? Les spécialistes ne devraient-ils pas les préciser pour que les politiques puissent les proposer à leurs électeurs ? Que nenni ! Bien sûr, nul ne serait élu avec un tel programme. Mais ne serait-il pas sain de tenter l’exercice pour que chacun assume véritablement ses choix de vie au lieu de miser sur la stratégie de l’autruche ?

Par exemple : il y a urgence à diminuer la pollution atmosphérique et la production de CO2 ? Soit, décidons, dès aujourd’hui, d’interdire définitivement tout véhicule à moteur thermique ! Rappelez-vous le choc pétrolier de 1973 et l’interdiction de rouler le dimanche. La mesure avait, dans l’ensemble, été bien acceptée par la population qui redécouvrait d’autres saveurs propres au repos dominical. Evidemment, ne minimisons pas l’impact négatif qu’aurait une décision aussi radicale : des faillites en cascades, un effondrement de l’économie, de multiples pertes d’emploi que notre système social aurait grand-peine à affronter…

Autre mesure moins drastique, mais plus efficace que les « petits gestes quotidiens » qui nous sont proposés : oubliées les vacances à la neige ou au soleil, finis les voyages en avion, les bateaux de croisières et les grandes transhumances estivales ; obligation pour tous de consommer loisirs et produits locaux !

Si de telles mesures – irréalistes tant que la nature ne nous les imposera pas brutalement – vous semblent insupportables, reconnaissez alors honnêtement qu’il vous est plus supportable de cautionner le désespoir de ces populations en proie à une pauvreté croissante, l’extinction de milliards d’insectes, de poissons, de plantes, et, peut-être, la mort de vos propres petits-enfants qui seront incapables d’abandonner leur statut d’enfant-roi pour se muer en nouveaux Mowgli !

Yves Thelen, « Eveil à l’esprit philosophique », L’Harmattan, 2009

Deux livres incontournables pour alimenter la réflexion :

« Comment tout peut s’effondrer », Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil, 2015

« Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité », Aurélien Barrau, Lafon, 2019.

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