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L’or bleu, atout de poids pour la Wallonie

Inéquitablement répartie entre la Wallonie et la Flandre, l’eau pourrait devenir une source de tension politique… avec un avantage notable pour la Wallonie, principale pourvoyeuse d’eau du pays.

Dossier réalisé avec le soutien du Fonds pour le journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Premièrement, la pénurie d’eau dans certaines communes wallonnes en été, en particulier dans les provinces de Luxembourg et de Namur, n’est pas due à une saturation globale du réseau de distribution. Avec 119 litres d’eau par habitant par jour (chiffres de 2019), la consommation d’eau a même plutôt tendance à baisser depuis quelques années. Selon Aquawal, l’union professionnelle des opérateurs publics de l’eau en Wallonie, l’eau potable provient à 80% des nappes aquifères et à 20% des eaux de surface. Elle est distribuée principalement par la Société wallonne des eaux (SWDE) et la Cile (Liège), ainsi que par des intercommunales et des réseaux autonomes. « La réserve des nappes aquifères se remplit en fonction des pluies et, comme il pleut beaucoup en hiver, l’eau ne manque pas en Wallonie », affirme Cédric Prevedello, responsable communication pour Aquawal. Les mesures d’interdiction dans certaines entités s’expliquent de plusieurs manières: soit les communes s’alimentent via leur propre réseau, comme c’est le cas, par exemple, de Libramont-Chevigny, et sont davantage exposées à des risques de pénurie. Soit elles dépendent d’un réseau (SWDE ou intercommunale) qui est soumis à de fortes consommations durant des périodes précises. On pense à Durbuy, qui manque d’eau désormais chaque été à cause de l’affluence touristique. Les pénuries sont aussi liées à la vétusté du réseau de distribution wallon et de ses 40.000 kilomètres de canalisations. Les fuites représentent clairement l’une des plus gros écueils: chaque année, 84 millions de mètres cubes d’eau disparaîtraient « dans la nature », soit une perte annuelle de 64 millions d’euros.

Notre gros défi au sein des opérateurs de l’eau en Wallonie est d’établir des projections.

670 millions d’euros

Un plan titanesque a démarré en 2014 afin de rénover et, surtout, développer le réseau d’eau potable en Wallonie. Il porte un nom: le Schéma régional des ressources en eau. Doté d’un budget total de 670 millions d’euros, ce projet a notamment pour but de poser des conduites d’interconnexion entre les réseaux de distribution d’eau sur une longueur d’environ 700 kilomètres.

L'or bleu, atout de poids pour la Wallonie
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Le but premier est de prévoir les éventuelles futures pénuries d’eau à travers la réalisation de douze grands chantiers répartis à travers la Wallonie. Aujourd’hui, seuls quatre chantiers sont terminés (La Louvière; Charleroi; Charleroi et Walcourt; Arlon, Aubange et Messancy), un autre est en cours, tous les autres étant à l’étude. Avec déjà 356 millions d’euros engloutis depuis 2014, il y a fort à parier que le Schéma régional des ressources en eau dépasse l’enveloppe initiale des 670 millions d’euros – pour autant que la prochaine législature maintienne le projet.

A ce premier objectif s’ajoute une réflexion plus globale: comment évaluer la demande en eau dans cinquante ans, sachant que le climat sera sensiblement différent? « Notre gros défi au sein des opérateurs de l’eau en Wallonie est en effet d’établir des projections », souligne Cédric Prevedello pour Aquawal. « Pour prévoir de manière cohérente l’approvisionnement en eau, il faut pouvoir anticiper la croissance démographique d’une commune ou même inclure le critère de l’accès à l’eau lorsqu’une grosse entreprise voudra s’installer quelque part. »

20% des besoins de la Flandre

Malgré des pénuries locales estivales et la relative vétusté de son réseau, la Région wallonne reste relativement bien lotie. Elle est même plutôt en position de force: en plus de fournir en eau tous les ménages wallons, elle alimente aussi la totalité des Bruxellois (via notamment des captations par Vivaqua) et 20% des besoins totaux de la Flandre, l’une des régions d’Europe les plus menacées de pénurie en eau, en raison de la concentration de la population mais également des types de sol. Pour éviter de futures catastrophes, le gouvernement flamand s’est doté tout récemment d’un plan, le Blue Deal, qui propose une série de mesures et d’incitants pour favoriser l’utilisation circulaire de l’eau et l’irrigation. Les opérateurs flamands du secteur, quant à eux, recherchent également des pistes d’approvisionnement d’eau à l’étranger. Mais si un véritable manque survient, les opérateurs de l’eau peuvent-ils couper du jour au lendemain le robinet pour la Flandre? « Il n’existe pas de contrat global entre les régions mais plutôt des contrats entre les différents acteurs concernés. Dans celui qui lie la SWDE à De Watergroep, première compagnie des eaux en Flandre, il est stipulé que la SWDE peut, en cas de force majeure, réduire considérablement le volume d’eau vendu, moyennant un préavis d’une durée satisfaisante. Toutefois, ce type de clauses n’a jamais été activé, « l’idée étant de rester plutôt dans une forme de coopération« , souligne Cédric Prevedello, pour Aquaval.

Le cas du Google datacenter du Hainaut

L’utilisation de l’eau de surface, celle des cours d’eau et des lacs de barrage est logiquement plus sensible en période de sécheresse. Outre la navigation, les canaux et cours d’eau sont utilisés par l’industrie, en grande partie pour le refroidissement des centrales nucléaires, électriques et thermiques. Si la demande hydraulique de l’industrie a globalement baissé en Wallonie, de nouvelles entreprises gourmandes en eau y ont fait leur apparition. On pense notamment au datacenter de Google de Saint-Ghislain, dans le Hainaut.

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Google a choisi d’y implanter l’une de ses grandes infrastructures de stockage de données. Avec trois datacenters actifs (et probablement cinq d’ici à 2023) répartis sur un terrain de cent hectares, le site de Saint-Ghislain utilise un procédé révolutionnaire et quasi unique au monde d’évaporation d’eau destiné à refroidir les gigantesques centres de données. Pour cette opération, l’entreprise prélève de l’eau dans le canal Nimy-Blaton-Péronne, juste à côté. 75% de l’eau utilisée s’évapore et… seulement 25% est rejetée dans l’Escaut. Google Belgique n’a pas souhaité communiquer la quantité d’eau prélevée quotidiennement dans le canal mais, avec une activité en continu 24 heures sur 24, inutile de dire que cette activité influence le niveau du canal, destiné principalement au commerce fluvial. « Une prise d’eau dans le canal comme le fait Google à Saint-Ghislain a obligatoirement des conséquences sur le circuit de l’eau, et donc de la navigabilité », évoque Jean-Michel Hiver, professeur à l’ULB et spécialiste des canaux et de la navigation. Frédéric Descamps, site operations manager du Google datacenter de Saint-Ghislain, explique, quant à lui, que le prélèvement d’eau n’a pour l’instant jamais dû être stoppé à cause d’un niveau d’eau trop faible. « Nous sommes toutefois en discussion avec les autorités wallonnes pour envisager de futurs scénarios possibles et réfléchir aux mesures nécessaires », conclut-il.

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