Le village de Lytton, à 268 kilomètres au nord-est de Vancouver, a été entièrement détruit par les feux provoqués par le phénomène du dôme de chaleur. © BELGA IMAGE

Canada: dôme de chaleur et de… torpeur politique

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

La Colombie-Britannique est touchée par une vague de chaleur historique. La pointe de l’iceberg dans un pays où les incendies, les inondations et les catastrophes naturelles se multiplient. Les organisations de lutte contre les changements climatiques tirent la sonnette d’alarme et les politiciens piétinent.

Le contexte

Depuis le week-end des 26 et 27 juin, l’ouest du Canada est victime d’un phénomène météorologique appelé le dôme de chaleur, qui se caractérise par de l’air chaud emprisonné en raison de hautes pressions atmosphériques. Observé en d’autres temps et lieux, il a ici un caractère exceptionnel que les experts n’expliquent que par le dérèglement climatique. Le village de Lytton, au nord-ouest de Vancouver, où un record de température a été établi à 49,6 degrés, a ainsi été entièrement détruit par le feu. Les incendies de forêt sont une conséquence redoutable de cet épisode de canicule qui touche aussi le nord-ouest des Etats-Unis.

Tout a commencé quelques jours avant la fête nationale du Canada, le 1er juillet. Les deux cent cinquante habitants de la bourgade de Lytton, sise à 268 kilomètres au nord-est de Vancouver, ont suffoqué: 49,6 degrés Celsius. Un record jamais égalé dans l’histoire canadienne. La fournaise s’est transformée en brasier. Lytton a été rasée par les flammes. Une centaine d’incendies dévastent la Colombie-Britannique. La vague de chaleur est devenue mortelle. La province a enregistré plus de sept cents décès subits lors de cette semaine folle, un bilan non définitif.

Dans un pays riche en ressources naturelles, la lutte contre les changements climatiques est encore loin d’être une priorité.

Les Britanno-Colombiens ont dès lors changé leurs habitudes de vie, fermé des centaines d’écoles et des centres de vaccination. Des commerces ont baissé leurs rideaux. Tout l’ouest du Canada est touché par la canicule. Un dôme de chaleur plane au-dessus de cette région. Des hautes pressions bloquent l’air chaud et provoquent cette sensation d’étouffement. « Le Canada se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. Ce n’est pas un cycle naturel. C’est un réchauffement climatique d’origine humaine« , souligne le professeur de climatologie Simon Donner, de l’University of British Columbia. Si l’Alberta et dans une moindre mesure le Saskatchewan, au centre du pays, sont aussi affectés par la canicule, c’est la Colombie-Britannique qui est particulièrement frappée. Même l’Arctique souffre de cette vague de chaleur.

Premières graves conséquences

Les autorités provinciales ont mis en place des centres d’air climatisé et des brumisateurs pour soulager les habitants. Les vendeurs de climatiseurs ont été pris d’assaut. Le ministre de la Santé publique, Mike Farnworth, a assuré qu’une loi sera votée pour réviser des protocoles d’urgence. Au menu, dans ce qui n’est encore qu’une esquisse, le renforcement des effectifs de secours et des équipes médicales d’urgence. Quel est l’avenir pour le Canada? « Des pluies torrentielles et des inondations plus intenses, des étés plus chauds, moins de chutes de neige, une élévation du niveau de la mer affectant les villes côtières et des incendies de forêt plus fréquents », confie le professeur Zafar Adeel, le directeur du Pacific Water Research Center de l’université Simon Fraser de Colombie-Britannique, qui explique que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) avait prédit il y a plus de dix ans « que la moitié ouest du Canada connaîtrait des modèles de réchauffement plus intenses« . Les agriculteurs, eux, craignent de perdre leurs récoltes. « Les inondations de 2013 à Calgary ont coûté 1,7 milliard de dollars. La sécheresse est la plus coûteuse ; en 2002, les pertes de récoltes dues à la sécheresse s’élevaient à des milliards de dollars », indique la professeure Margot A. Hurlbert, de la Chaire de recherche du Canada sur les politiques de changement climatique de l’université de Regina, au Saskatchewan.

L’Institut canadien pour des choix climatiques (ICCC) a publié en juin un rapport sur le coût des catastrophes naturelles liées aux changements climatiques. Alors que celui-ci atteignait 1% de PIB par an au début des années 1970, il est désormais de 5% à 6% annuellement. La ville pétrolière albertaine de Fort McMurray a été la proie d’un gigantesque incendie en 2016. Bilan chiffré? 3,6 milliards de dollars. Les travailleurs du pétrole se sont retrouvés au chômage pendant plusieurs semaines.

Lors des vagues de chaleur et d’incendies, les conséquences sur les personnes sont colossales: hausse des problèmes de santé mentale, lésions pulmonaires, impacts sur la nourriture. Les pauvres sont les plus touchés. L’ICCC estime que d’ici à trente ans, le coût des « décès et la diminution de la qualité de vie […] se situera entre 3 et 3,9 milliards de dollars par année ». Sans compter « les pertes économiques de dizaines de milliards de dollars » par an.

Statu quo en pratique

Avec ses forêts à perte de vue, ses glaciers vertigineux, ses milliers de lacs, le Canada véhicule l’image d’un immense poumon vert. Pourtant, le pays émet de plus en plus de gaz à effet de serre (GES). De 602 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone en 1990, ce chiffre est passé à 730 en 2019, dont 52% de GES pour les secteurs pétroliers et gaziers, note l’institut national Statistique Canada. Dans un pays riche en ressources naturelles, la lutte contre les changements climatiques est encore loin d’être une priorité.

Si une majorité de spécialistes estiment, à l’instar de Simon Donner, que « le Canada prend un virage dans la lutte pour réduire les émissions de gaz à effet de serre », leur hausse depuis trente ans n’est guère encourageante. Margot Hurlbert est plus optimiste. « Le Canada s’est doté d’une loi, qui attend l’approbation du Sénat, pour mettre en oeuvre l’objectif d’atteindre zéro émission nette d’ici à 2050« , dit-elle. Le passé du Canada ne plaide pas en sa faveur: abandon du protocole de Kyoto en 2011, développement à tout-va des énergies fossiles entre 2006 et 2016, sous les gouvernements conservateurs. Si Justin Trudeau a multiplié les discours électoralistes écologistes, les faits sont têtus. Les mines de charbon sont toujours là. Les objectifs verts d’Ottawa s’établissent à l’horizon de trente ans, soit le temps de voir passer plus de sept Premiers ministres…

« Bon nombre des mesures nécessaires pour lutter contre les changements climatiques ne relèvent pas du contrôle fédéral. Le secteur pétrolier est en grande partie concentré en Alberta », constate Simon Donner. Si la professeure Hurlbert assure que « le président Biden a annulé le pipeline Keystone XL » en janvier dernier, Justin Trudeau, lui, a tenté de le convaincre de faire l’inverse. C’était il y a moins de six mois! « Ces politiques ne suffisent toujours pas à mettre le Canada sur la voie de l’objectif ultime: zéro émission nette vers le milieu du siècle ou moins », conclut Simon Donner.

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