Yves Van Laethem © belga

Yves Van Laethem se confie à coeur ouvert: les coulisses d’une crise

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

« J’espère ne pas devoir m’y remouiller! ». Yves Van Laethem a donné sa dernière conférence de presse hebdomadaire, aujourd’hui. On en profite pour jeter un coup d’oeil dans le rétro avec l’homme qui est devenu le ‘visage’ du Covid en Belgique depuis plus d’un an. Confidences et anecdotes, loin des annonces robotiques des chiffres quotidiens.

Yves Van Laethem, vous avez donné votre dernière conférence de presse aujourd’hui. Un fameux marathon s’achève. Quel est votre sentiment?

Je suis à la fois content que ce soit terminé, même si ça fait un peu bizarre, oui. Le Residence Palace (lieu de la conférence de presse du centre de crise, à Bruxelles, NDLR.) était devenu un endroit où l’on se rendait comme à son bureau. Puis tout d’un coup, on se dit que c’est la dernière fois. Donc, on regarde cet endroit avec un autre oeil. On y a traversé des moments très variés. Avec des augmentations, des diminutions. Des voix un peu plus graves ou des voix plus allègres. Des moments plus difficiles que d’autres. Personnellement, j’ai échappé à la période la plus intense, en mars-avril de l’année passée, où il y avait des conférences de presse tous les jours. On espère tous que ce sera ‘la der des der’. Même si on a dit une première fois ‘au revoir’ l’année passée, puis on est revenus.

Avec cette fonction, vous avez découvert un autre univers, loin de votre quotidien de médecin…

Tout à fait. Il y a un petit pincement au coeur, car on a travaillé avec toute une équipe. On a appris à se découvrir. C’est donc une ‘team’ qui se dissout par la force des choses. Le centre de crise est fort occupé en ce moment avec les inondations, les gens de Sciensano vont vaquer à leurs occupations, et personnellement, je vais retourner à ma pension, que j’avais quittée en avril lorsqu’on m’a demandé de remplacer Emmanuel André. Je vais donc retrouver ma vie de pensionné, même si je fais aussi encore quelques consultations sur le côté.

Après une période si intense, on imagine que vous avez prévu des vacances?

Je vais défier le virus à travers l’Europe, (rires)de capitales en capitales. En Europe centrale, je pense que ce sont des lieux très paisibles, car ils sont privés de nombreux touristes internationaux pour le moment. Ils sont aussi très ‘safe’. Heureusement, je suis armé de mon pass sanitaire européen, qui me permet de ne pas transformer mon nez en trompe d’éléphant. Comme j’ai sept ou huit frontières à passer, je ne sais pas à quoi je ressemblerais. (rires)Cela va faire du bien de couper avec le Covid. Et j’espère ne pas devoir m’y remouiller ! Si je dois m’y replonger après une longue coupure, ce sera un peu plus dur.

Comment avez-vous vécu cette exposition médiatique soudaine?

L’avantage, c’est de pouvoir la gérer quand on a une certaine maturité. Se retrouver sur le devant de la scène du jour au lendemain, il faut savoir l’aborder en disant que c’est juste un moment de transition. Ça a aussi des côtés intéressants, car j’ai côtoyé d’autres univers, avec les journalistes ou d’autres personnes dans la communication. Mais je sais que c’est un moment de la vie qui va aussi vite disparaître. Il ne faut donc pas s’en faire un gros cou. C’est simplement un moment de l’existence. J’aurais préféré ne jamais dû avoir à faire ça. Mais le positif, c’est que j’ai pu découvrir d’autres aspects du quotidien de médecin que j’avais avant.

Je sais que c’est un moment de la vie qui va aussi vite disparaître. Il ne faut donc pas s’en faire un gros cou. J’aurais préféré ne jamais dû avoir à faire ça. Le positif, c’est que j’ai pu découvrir d’autres aspects du quotidien de médecin que j’avais avant.

Comment avez-vous abordé cette tâche? N’est-ce pas trop désarçonnant, lorsqu’on est virologue retraité, d’avoir tous les projecteurs sur soi, du jour au lendemain?

Ce rôle, c’était un petit peu le cadre autour de la toile de ma carrière. Ce qui est important c’est la toile, pas le cadre que vous mettez autour. Donc, ça ne change rien à ce que j’ai fait pendant 40 ans. J’ai essayé d’être le même, sauf que pendant la crise, il y avait un gros projecteur sur cette toile. J’espère avoir été pédagogique et humain. D’être disponible pour la presse comme je l’étais avec mes patients. Le but, c’est juste de remplir la fonction.

Et puis l’avantage, c’est que je n’ai entre guillemets plus rien à prouver. Donc je ne vais pas me ‘vendre’. J’ai assumé cette tâche comme j’ai assumé, j’espère, le reste de mon parcours. Je n’ai pas changé mes habitudes, ma manière de penser ou de parler. Sauf en conférence de presse où j’ai dû parler plus lentement. Car les traducteurs gestuels n’arrivaient pas à suivre. Ils m’avaient appelé ‘4e vitesse’, au début (rires).

Que pensez-vous du traitement médiatique de cette crise? Est-ce que les médias -et les experts- ont en trop fait?

Dans le monde actuel, c’était un peu inévitable. Je pense que tous les pays ont connu ça. C’est l’époque et le mode d’information qui le veulent. C’est vrai que parfois, il y a peut-être eu de trop, et qu’on aurait pu gérer cela de manière un peu plus calme. Mais il s’agissait quand même d’un cataclysme dans la société. Donc c’est difficile de le reléguer au second plan. Mais oui, il y a peut-être un moment où les freins ont un peu lâché et où tout s’est emballé.

C’est vrai que parfois, il y a peut-être eu de trop, et qu’on aurait pu gérer cela de manière un peu plus calme.

Les experts ont souvent été vivement critiqués par une partie de la population. Comment l’avez-vous vécu?

Les experts se sont peut-être dressés à certains moments car ils voyaient qu’on faisait le contraire de ce qu’ils disaient. Ils voulaient simplement qu’on entende que eux n’étaient pas d’accord. Avec une force différente en fonction des personnalités. Personnellement, j’ai toujours eu à l’esprit que nous n’avions pas la décision finale. Mais il ne faut pas nous mettre sur le dos des choses qu’on n’a même pas proposées. Et dans le même temps, on assume ce qu’on a vraiment suggéré. Il y a eu des personnalités différentes, je me répète. Van Ranst et Van Laethem, ce sont deux ‘Van’, mais pas avec le même comportement. Ce n’est pas du tout une attaque vis-à-vis de Marc, loin de là, on se connaît depuis plus de 20 ans. Mais on n’a la même place dans la société, dans nos deux groupes linguistiques différents, et on n’a pas le même mode de fonctionnement.

Est-ce qu’il y a eu des discussions particulières entre les experts en vue côté francophone? Vous discutez souvent entre vous?

En réalité, on ne se voit pas beaucoup et on ne communique pas tellement. Il n’y a pas eu énormément d’échanges entre nous. Ou c’est resté assez informel. Il y a eu plus de communication du côté néerlandophone que du côté francophone. Il y a peut-être une tradition plus importante dans l’interaction entre experts du côté néerlandophone. Ils tissent une toile plus importante. Mais c’était déjà leur mode de fonctionnement en temps normal. Leur place dans les médias et la société est aussi comme ça. Au niveau francophone, c’est resté plus amateur et moins structuré.

Au niveau francophone, c’est resté plus amateur et moins structuré.

En voyant les menaces envers certains de vos confrères, avez-vous eu peur pour votre sécurité?

Jamais. J’ai enfin dépouillé les dizaines de lettres que j’ai reçues depuis l’année passée. Dans tout ce tas, il y a des lettres gentilles et touchantes. Dont un couple qui s’est rencontré en discutant de moi, semble-t-il. Je trouve ça extraordinaire. J’espère qu’ils sont toujours ensemble. Je ne vais pas demander d’être témoin de mariage mais je trouve ça mignon (rires). Puis, il y a quelques lettres qui ne sont pas courageuses, tapées à la machine et qui racontent tout ce qu’on fait de mal. Mais je n’ai jamais reçu des lettres de menaces, ce sont plutôt des reproches.

Vous l’imaginez comment, le monde post-covid?

Ça restera dans la mémoire de tout le monde, y compris chez les jeunes, qui l’ont pris en pleine figure. Mais je suis persuadé que, sauf grosse surprise, on vivra quasi normalement en 2022. Et totalement normalement en 2023. Car on aura mieux maîtrisé plusieurs aspects. Il y aura des nouvelles générations de vaccins. Pour l’instant, on avance un peu à tâtons. On se demande encore pour combien de temps a-t-on bien protégé nos groupes fragiles ? Donc, il faut qu’on tâtonne un petit peu. Il faut aussi voir jusqu’où on peut aller avec le mode de vaccination actuel. Mais d’ici 2022-2023, on aura trouvé ce juste équilibre. Sauf si la « bête » se réveille.

J’ai enfin dépouillé les dizaines de lettres que j’ai reçues depuis l’année passée. Dans tout ce tas, il y a des lettres gentilles et touchantes. Dont un couple qui s’est rencontré en discutant de moi, semble-t-il. Je trouve ça extraordinaire. J’espère qu’ils sont toujours ensemble. Je ne vais pas demander d’être témoin de mariage mais je trouve ça mignon u003cemu003e(rires).u003c/emu003e

Le but, c’est qu’on ne parle plus du covid. Mais il continuera toujours à y avoir des cas. On a une nouvelle « bestiole » qui va devoir faire partie de notre plan de vie. Comme les accidents de la route, la grippe, la pneumonie, ou le cancer. Maintenant, il y a le covid. Et tant mieux si à un moment, il s’adoucit, s’amadoue et devient moins virulent. Et tant mieux s’il devient aussi translucide que les autres coronavirus, que personne ne connaissait en dehors des médecins. Ces autres coronavirus, nous les avons pourtant tous rencontrés un jour en toussant ou en ayant mal à la gorge. Espérons que celui-ci rejoigne un jour les autres. C’est mon espoir le plus cher.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire