4000 kilomètres de haies et/ou un million d'arbres à planter avant la fin de la législature régionale : le plan(t) est pour le moins ambitieux. © getty images

Wallonie : 4 000 km de haies, impossible?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Des partis, des valeurs, de la com, des promesses, des budgets, des chiffres et des délais : la mesure du nouvel accord de gouvernement wallon est un fait politique total. Mais la Wallonie verra-t-elle le bout des 4 000 kilomètres de haies promis par son gouvernement ?

Une fois la surprise passée, chacun s’accorda sur le pourquoi : parce que planter des haies rendrait la vie plus chouette. Même la presse flamande s’en ravissait, planter 4 000 kilomètres de haies sur le territoire wallon avant la fin de la législature régionale était une bonne idée. Une haie, bouclier de biodiversité, évite en effet l’érosion des sols, abrite du vent mauvais, protège des inondations, produit de l’ombre. Et, surtout, tout le monde trouve ça beau.

Les premiers à profiter de ces unanimes pourquoi sont ceux qui, les premiers, ont inscrit la biodiversité à leur programme, et ceux qui ont insisté pour l’intégrer à une déclaration de politique régionale qu’ils ont négociée : les verts. La note  » coquelicot  » rédigée par Jean-Marc Nollet prévoyait déjà la plantation de  » 4 000 km de haies et/ou d’un million d’arbres  » sur la durée de la législature. Le Parti socialiste, associé à ces discussions avortées, approuva cette ligne d’une note que n’approuvèrent pas une majorité de parlementaires wallons. La déclaration de politique régionale adoptée, elle, par la tripartite PS-MR-Ecolo, reprit la mesure presque telle quelle. Tout le monde trouvait l’idée écologiste bonne, tant un PS converti à l’écosocialisme qu’un MR soucieux désormais de préservation de l’environnement. Les deux, surtout, n’avaient rien à y perdre. Ce sont les verts qui ont poussé à planter ces haies, ils se planteront si ces haies ne poussent pas.

Parce que la politique, c’est dire qu’on fait, bien sûr, mais c’est aussi faire, faire suivre d’un comment admissible un pourquoi partagé. Parce qu’il ne suffit pas de dire pour faire, parce qu’Ecolo est le parti qui y a pensé le premier, parce qu’il est celui qui l’aura, au fond, porté, Ecolo est le parti qui devra s’occuper de planter, en cinq ans, ces 4 000 kilomètres de haies ou ce million d’arbres, et celui qui en paiera le prix s’il n’y parvient pas.  » C’est une bonne mesure pour la biodiversité et pour la lutte contre le changement climatique. On verra et on appréciera comment les porteurs du projet s’en chargeront « , résume, ironique, un négociateur réformateur.

Question essentielle : sur quelles terres faire courir ces kilomètres de haies ?
Question essentielle : sur quelles terres faire courir ces kilomètres de haies ?© getty images

Indigènes mais importées ?

La toute nouvelle ministre wallonne de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal, l’écologiste Céline Tellier, naguère secrétaire générale d’Inter-Environnement Wallonie, a hérité de la charge. Elle a déjà été, en commission Environnement du parlement wallon, interrogée par trois députés aussi enthousiastes sur le pourquoi que curieux du comment. Un MR (Olivier Maroy), un PS (Mauro Lenzini) et… une Ecolo (Anne Kelleter). Cette dernière, déjà, posait un constat plein d’une urgence contenue :  » Si l’on fait des calculs, 4 000 kilomètres de haies pour 365 jours par année, pendant cinq années, c’est plus de deux kilomètres par jour, donc c’est ambitieux « , disait-elle à une ministre qui annonçait la création prochaine d’une task force. Depuis, Céline Tellier se tait : parce que la politique, c’est aussi dire qu’on fait, elle ne communiquera sur son comment qu’au moment de la Semaine de l’arbre, à partir du 18 novembre.

En attendant le comment du plan pour plants de Céline Tellier, les professionnels, dont son cabinet dit qu’ils seront associés au projet, s’inquiètent. Ceux censés produire ces haies au premier chef. Depuis Lesdain, capitale wallonne de la pépinière, Eric Larsy, dont la famille plante sur ses terres 40 000 jeunes arbres par an, en greffe et en extrait tant et tant depuis sept générations, et préside le Centre d’essai horticole de Wallonie, observe : dans le comment, il y a le quand. Et le rythme d’une législature n’est pas celui de la nature.  » En Wallonie, nous n’avons pas la capacité de produire autant de haies en si peu de temps « , dit-il. Les journées de l’arbre, grâce auxquelles quelque 120 000 arbres sont distribués par an dans soixante communes, sont d’ailleurs désormais programmées pluriannuellement (ce sera le cornouiller cette année, les fruitiers en 2020, l’aulne en 2021 et la bourdaine en 2022), justement pour permettre aux producteurs d’être prêts à temps. Parce que dans le comment il y a aussi le qui. Or,  » il n’y a que quelques collègues, en Ardenne, qui font déjà des haies, et ce sont de tout petits producteurs. Pour pouvoir en planter 4 000 kilomètres d’ici à 2024, il faudra aller chercher des plants à l’étranger, probablement aux Pays-Bas ou en Allemagne, ou en Flandre « , estime Eric Larsy. La Wallonie planterait alors de la haie indigène venue d’ailleurs ? Des entreprises étrangères récolteraient alors l’argent semé par le budget wallon ?  » Ça me semble a priori inévitable « , ajoute-t-il.  » Pour planter des haies, il faut des graines. Pour avoir des graines, il faut des vergers à graines, donc des arbres : en l’espace de quatre ans, si on veut faire ça convenablement, en variant les espèces pour avantager la biodiversité, c’est impossible « , pose-t-il.

Céline Tellier, ministre wallonne de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal.
Céline Tellier, ministre wallonne de l’Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal.© belgaimage

Mais en attendant le comment du plan pour plants de Céline Tellier, les professionnels, censés produire les graines produisant ces haies, s’activent. Céline Tellier les a déjà associés au projet. Et pour cause : en Wallonie, c’est le Comptoir des matériels forestiers de reproduction, un organe du SPW dépendant de la division Nature et forêts et implanté dans un sublime bâtiment à Marche-en-Famenne, qui récolte, catalogue et commercialise les graines de toutes les espèces wallonnes. Alain Servais, directeur du Comptoir forestier, remarque : dans le comment, il y a le quoi. Quelles graines indigènes mettre en terres wallonnes ?  » Nous sommes en train de terminer l’état des lieux des capacités wallonnes de production, et, en fonction des espèces, nous allons établir des critères pour l’approvisionnement et, le cas échéant, les nécessités d’importation. Mais beaucoup dépendra des espèces que l’on voudra planter : on ne va pas pouvoir planter 4 000 kilomètres de bourdaine, et on ne le fera pas « , dit-il déjà.

110 kilomètres/haies

En attendant le comment du plan pour plants de Céline Tellier, les politiques, on l’a dit, s’interrogent. Dans la majorité, on l’a dit aussi. Mais également dans l’opposition, où, tout particulièrement au CDH, l’on a une expérience du plantage : en 2008, Benoît Lutgen, ministre wallon de l’Agriculture, de la Ruralité, de l’Environnement et du Tourisme, proclamait son  » ambition d’en planter 1 000 kilomètres en dix ans « . Ambition si loin d’être atteinte qu’en 2015 René Collin, son successeur, tempérait : dans le comment, il y a le où. Sur quelles terres faire courir ces kilomètres ?  » Pour l’instant, sur le territoire wallon, la Gaume et le Pays de Herve sont bien couverts. Presque partout ailleurs, dans les plaines céréalières, depuis des décennies, sur les terres agricoles, on a arraché toutes les haies : mon père avait une petite ferme, et je l’ai aidé il y a quarante ans à se débarrasser de haies d’aubépines… « , se rappelle-t-il. Les agriculteurs qui cerneraient leurs champs de trop de haies auraient, d’une part, des soucis à correctement les entretenir et, d’autre part, l’obligation de changer radicalement et rapidement de modèle de culture.  » En 2015, nous avons donc élargi les critères d’éligibilité aux incitants, pour ne plus les limiter au secteur agricole : c’est désormais plus facilement accessible aux particuliers ou aux écoles par exemple, et aux zones d’activité économique.  » Le ministre, alors, avait atteint un objectif, beaucoup moins ambitieux que celui de son prédécesseur, et plus rigolo aussi pour celui qui était également ministre des Sports :  » On avait annoncé un 110 kilomètres/haies en trois ans, et nous y sommes parvenus : on en est à 112 kilomètres et 590 mètres entre octobre 2016 et septembre 2019 « , dit, plutôt fier, René Collin.

René Collin, ex-ministre wallon de l'Agriculture, avait déjà haussé les primes.
René Collin, ex-ministre wallon de l’Agriculture, avait déjà haussé les primes.© belgaimage

Mais 110 kilomètres en trois ans, c’est beaucoup moins que 4 000 kilomètres en cinq ans. Et dans le comment, il y a aussi le combien. Pour réussir son 110 kilomètres/haies, le gouvernement wallon précédent avait dégagé 460 000 euros pour hausser les primes (à trois euros du mètre de haie vive d’un rang, quatre euros pour deux rangs, cinq euros pour trois rangs). A cette aune, une vingtaine de millions seraient nécessaires pour atteindre les 4 000 kilomètres. On sait déjà que cette aune ne suffira pas. La semaine du 4 novembre, le conclave budgétaire wallon dirigé par le ministre MR Jean-Luc Crucke devait trouver les sommes nécessaires à stimuler, inciter, encourager, conscientiser le Wallon à planter des haies. Bref, à le payer pour ça, parce que dans le comment du moment, l’obligation n’a plus trop cours.

En attendant le comment de son plan pour plants, Céline Tellier, sans doute, coche les réponses de son questionnaire. Y a-t-il aujourd’hui assez de plants de haie indigènes en Wallonie ?

Non. Y aura-t-il demain assez de graines de haie indigènes en Wallonie ? Probalement pas. Y aura-t-il assez de temps pour les produire ? De place pour les y planter ? De gens qui voudraient les planter ? De sociétés qui pourraient les entretenir ? C’est très incertain. Beaucoup disent que ce n’est pas crédible. Alors, les négociateurs verts de l’accord wallon, ceux qui avaient pour plan de confier le comment du plan pour plants à Céline Tellier, ont pensé à un truc : avant le comment, il y a un et/ou. Et à côté de ces 4 000 kilomètres de haies, il y a un million d’arbres. Avant le comment du plan pour plants de Céline Tellier, la Région aidait à planter, en Wallonie :

– 120 000 arbres par an dans le cadre de la journée de l’arbre,

– entre 27 000 (en 2018) et 153 000 (en 2015) plants par an dans le cadre du plan Maya de sauvegarde des insectes butineurs,

– plusieurs autres dizaines de milliers d’arbres par an à la demande de communes et d’associations,

– d’autres dizaines de milliers d’arbres par an dans les parcs naturels.

Comme quoi, au combien du comment de ce pourquoi, on y est en fait presque déjà avant le comment du plan pour plants de Céline Tellier.

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