Joachim Coens, président du CD&V, à la Chambre jeudi 2 juillet. © Belga

Voici pourquoi la réforme de l’IVG et la formation fédérale sont à ce point liées (analyse)

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Les présidents de parti sont désormais à la manoeuvre, la recherche d’une majorité en Flandre est prioritaire, mais les fractures entre politiques et avec les citoyens, surtout les femmes, s’aggravent.

Les négociations fédérales n’ont été interrompues que quelques heures, finalement, après la « bouderie » de Joachim Coens, président du CD&V, et l’incident survenu à la Chambre, jeudi, autour de l’élargissement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Le trio Bouchez (MR) – Coens (CD&V) – Lachaert (Open VLD) a repris langue et, dans l’intérêt du pays, va continuer à travailler à la formation d’un gouvernement fédéral majoritaire, ainsi qu’à une stratégie de relance socio-économique.

1 Les présidents de parti à la maneuvre

Une précision de taille figure toutefois dans le communiqué publié par le trio pour annoncer la reprise de leurs travaux: les discussions aborderont aussi les dossiers éthiques, dont celui qui a fait polémique à la Chambre. Georges-Louis Bouchez, président du MR, souligne qu’il n’y a là rien, parce que l’on savait que le CD&V mettrait le point sur la table. Pour le CD&V et le CDH, les matières éthiques restent un domaine existentiel, tout simplement, et le fait que les autres partis prennent cela en compte s’apparente, à leurs yeux, à un manque de respect.

Une évolution de taille: désormais il est acté dans le communiqué du trio que l’on parlera de ce dossier entre présidents de parti, et plus seulement au parlement. Le même président libéral souligne que la liberté de voter de ses parlementaires restera de mise. Sans aucun doute. Mais il ne dit pas que le même texte leur sera soumis. En d’autres termes, il pourrait s’agir, la prochaine fois, soit d’un nouveau texte négocié entre présidents, soit d’un texte amendé à la Chambre en tenant compte des remarques émises par plusieurs députés, dont Servais Verherstraeten (CD&V), Catherine Fonck (CDH) ou Michel De Maegd (MR). Tous soutenaient la dépénalisation totale de l’avortement, mais émettaient des réserves sur l’élargissement à 18 semaines tel qu’il est prévu dans le texte actuel.

2 A la quête d’une majorité en Flandre

L’un des enjeux majeurs du vote à la Chambre, jeudi, a été énoncé par la N-VA: la proposition de loi soumise au vote ne disposait pas d’une majorité dans le groupe linguistique flamand. Ce déficit rejoint le coeur des négociations fédérales: pour élaborer et mettre en oeuvre une stratégie de relance, les partis flamands – N-VA, CD&V et Open VLD – souhaitent un gouvernement majoritaire à la Chambre, mais aussi du côte flamand. En ‘autres termes, il s’agit de trouver une assise sociétale suffisante au Nord pour mener des réformes essentielles.

Du côté francophone, on répliquera qu’il s’agit d’un discours à deux vitesses, car les mêmes partis flamands ne s’embarassent pas, pour leur part, d’une majorité fédérale soutenue par une minorité au Sud – ce serait à nouveau le cas de la Sudoise qui est en discussion. On en revient au dilemme qui avait donné naissance à la Suédoise en 2014: faute d’un dialogue possible entre PS et N-VA, le MR est entre deux chaises et tend à choisir le centre-droit. Mais en toile de fond se pose le débat sur les deux opinions publiques et, à terme, sur l’existence même du pays.

3 Un double fossé qui s’aggrave

L’épisode de cette semaine laissera cependant des traces durables. A deux niveaux. Le fossé se creuse entre les partis et les personnalités politiques de différents bords. Si les relations ont été égratignées entre le trio qui est à la manoeure, que dire de l’écoeurement de ceux qui ont préparé la proposition parlementaire sur l’IVG depuis longtemps? Les élus PS, Ecolo et DéFI n’ont pas de mots assez durs pour souligner leur colère.

Mais le fossé s’élargir aussi avec le citoyen. Ils sont nombreux à ne pas saisir qu’un parlement élu ne puisse pas, finalement, décider de voter en toute indépendance. Les femmes, en particulier, se déclarent – en nombre! – affligées de voir que le destin de leur genre est soumis aux marchandages de trois hommes qui ne savent pas ce qu’un grossesse induit. Enfin, alors que l’enjeu de former un gouvernement fédéral majoritaire est essentiel et urgent, de nombreux citoyens ne comprennent plus rien ou ne s’estiment plus représentés par ceux qui sont en charge. Et les extrémismes de grandir, encore…

Le meilleur remède à tout cela? Former un gouvernement, rapidement. C’est ce que tous les démocrates sur disent, à commencer par la Première ministre Sophie Wilmès (MR). Même si, vu la nature du choc de cette semaine, pas sûr qu’un tel gouvernement obtiendra aisément une légitimité dans une majorité de la population des deux côtés de la frontière linguistique. Voilà l’enjeu, toujours, majeur, tant pour l’IVG que pour la formation fédérale.

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