© belga

Affaire Dutroux: 25 ans après la Marche blanche, la Belgique reste marquée par l’horreur

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le 20 octobre 1996, il y a pile 25 ans, se tenait à Bruxelles la Marche blanche. Plus de 350 000 personnes manifestaient à Bruxelles, pour une réforme de la justice et de la police. Après la découverte des corps de Julie et Mélissa en août, l’année 1996 aura été traumatisante pour la Belgique. Notre pays a changé depuis, mais le chantier reste immense.

Il y a vingt-cinq ans, notre pays vivait le cauchemar de l’affaire Dutroux, avec la disparition, le 24 juin 1995, de Julie et Mélissa à Grâce-Hollogne, et l’arrestation de Marc Dutroux le 13 août 1996. Le corps des petites filles sera finalement retrouvé plus d’un an plus tard, le 17 août 1996 à Sars-la-Buissière. Le 20 octobre suivant, il y a pile 25 ans, la Marche blanche faisait défiler plus de 350 000 personnes à Bruxelles. La Belgique en est ressortie profondément modifiée. Quelles leçons peut-on tirer, avec le recul, de cet épisode noir ? En voici sept, principales. Certaines d’entre elles font singulièrement songer à celles que l’on tirera, peut-être, de la crise du coronavirus.

Dysfonctionnements en série

Au moment de la disparition des deux fillettes enlevées par Marc Dutroux, c’est l’angoisse qui domine. Après l’arrestation de Marc Dutroux, ce sera l’horreur. L’actualité belge se retrouve rythmée durant de longues et terribles semaines par les images d’attente et de pelleteuses à la recherche de corps. Très vite, c’est un autre registre qui s’impose également. Car le drame aurait pu être évité si une série de dysfonctionnements n’avaient pas eu lieu. Les révélations se succèdent sur la guerre des polices, les informations non partagées, sans oublier les théories fumeuses sur les réseaux de pédophilie qui auraient entouré l’affaire, avec des protections en haut lieu. L’angoisse et l’effroi cèdent la place à la colère sur fond des autres disparitions. Julie et Mélissa, mais aussi An et Eefje, Loubna, Sabine et Laetitia, deviennent les martyrs d’un pays qui n’a pas su protéger ses enfants.

Défiance de la politique

Dans un premier temps, Jean-Luc Dehaene, alors Premier ministre, ne saisit pas l’émotion qui s’est emparée de la population à l’occasion de la Marche blanche : on lui reprochera fortement, le palais venant à la rescousse en recevant les familles des victimes. La question des responsabilités politiques suit, naturellement. Une commission d’enquête retransmise à la télévision fait de son président, Marc Verwilghen (Open VLD), une star. Ses révélations sont destructrice pour nos institutions. Deux ministres, Stefaan De Clerck (CD&V, Justice) et Johan Vande Lanotte (SP.A, Intérieur) finiront par démissionner, après l’évasion rocambolesque de Marc Dutroux à Arlon, en 1998. L’affaire Dutroux joue un rôle important dans le fossé qui se creuse entre le monde politique et la population. Ce désamour important n’a pas encore été solutionné à ce jour.

Apparition du mouvement blanc

Le 20 octobre 1996, une Marche blanche réunit pas moins de 300 000 personnes dans les rues de Bruxelles. Les parents des petites disparues deviennent des symboles aux yeux des Belges, tant du côté flamand que francophone. Ce sont des nouveaux guides pour un peuple en plein désarroi. Le mouvement blanc peine toutefois à se structurer et porte en lui des illusions « pures », compréhensibles vu l’ampleur du drame, mais parfois contradictoires avec la réalité politique. Plusieurs parents – Jean-Denis Lejeune, Carine Russo, Pol Marchal – tenteront, à des moments différents et sous des formes différentes, une carrière politique. Sans jamais percer, le poids de leurs rêves perdus se fracassant sur les complexités et, parfois, les compromissions belges. Depuis lors, à plusieurs reprises, des mouvements de renouveau politique ont tenté d’émerger. Mais le conservatisme de la politique belge et l’amateurisme de leurs initiateurs ont tué ces initiatives ans l’oeuf.

Place de la victime dans la société

Le premier élan qui suivra ce grand traumatisme national consistera à donner une place plus grande à la victime en matière de justice. Il s’agit d’écouter davantage la voix de ceux qui ont tout perdu, qui cherchent leurs proches ou qui sont victimes de violences. Des avancées notables sont obtenues sur ce terrain. De même, les disparitions inquiétantes font désormais l’objet d’une procédure particulière et le centre Child Focus voit le jour. On professionnalise enfin la recherche. C’est un des domaines où des progrès ont été effectués, même si les victimes restent en quête de reconnaissance, vingt-cinq ans après, dans d’autres domaines comme les violences policières.

Réforme de la justice et de la police

Politiquement, le principal chantier qui s’ouvre à l’époque consiste à apporter des solutions aux dysfonctionnements constatés dans le domaine de la police et de la justice. La gendarmerie en fait les frais: la fusion de l’ancien corps militaire avec la police est l’un des principaux chantiers de la réforme dite « de l’Octopus » parce qu’elle est soutenue par huit partis (CVP, PS, VLD, SP, PRL, FDF, PSC et VU). Ses effets se font encore sentir actuellement, même si le financement, tant de la police que de la justice, n’a jamais été à la hauteur des espoirs de l’époque. Et qu’aujourd’hui encore, ce désinvestissement est pointé du doigt à chaque crise.

Le renouveau politique en berne

Il est également question, à la suite de l’affaire Dutroux, d’un nécessaire renouveau politique. Outre ce séisme profond, la Belgique avait déjà été sonnée par le « dimanche noir » de 1991 et l’explosion du Vlaams Blok (devenu Vlaams Belang) à Anvers. Mais hormis des tentatives de recomposition politique au nord du pays et des réformettes du système, la réflexion accouchera d’une souris. Par contre, la Belgique poursuivra son évolution institutionnelle à coups de réforme successives de l’Etat. Le chantier n’est toujours pas fini: on parle bel et bien d’une septième étape, en 2024, après une crise sanitaire qui a démontré de nouveaux dysfonctionnements – même si la gestion de cette crise a apporté aussi ses évolutions positives.

Image de la Belgique ternie

Les grandes affaires de pédophilie de la fin des années 1990 marqueront au fer rouge la notoriété de notre pays durant des années. Marc Dutroux fut, malheureusement, le Belge le plus célèbre hors de nos frontières avec le roi Baudouin et les Diables rouges. De cet épisode vient la réputation de la Belgique comme un « failed State », « un Etat failli », qui nous poursuit au rythme de nos drames. Récemment, les attentats terroristes (Paris, Bruxelles) ont révélé nos failles en matière d’intégration.

En mal d’identité, trop compliqué, « dysfonctionnant », notre pays reste régulièrement montré du doigt, avec l’affaire Dutroux pour mémoire. Vingt-cinq ans après, cela reste dans cette lignée aussi que la Vivaldi se donne pour objectif de redessiner un « projet positif pour la Belgique ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire