Message subliminal de Muriel Targnion : elle reste fidèle aux valeurs du PS. © romain rixhon

Verviers: les dessous de la procédure disciplinaire contre Muriel Targnion

L’exclusion du PS de Muriel Targnion, bourgmestre de Verviers, confirme l’autorité de Paul Magnette, mais soulève de nombreuses interrogations.

Existe-t-il au PS mémoire d’un licenciement aussi rapide que celui de Muriel Targnion ? Entre l’ordre donné aux socialistes verviétois de ne plus prendre d’initiatives politiques sous peine d’exclusion, le 7 juillet, et le C4 du 29 juillet, communiqué le 30 à la bourgmestre de Verviers, il s’est écoulé 23 petits jours. La décision de la commission de vigilance du PS est sans appel. Non susceptible d’un recours au Conseil d’Etat (ce n’est pas un acte administratif), ni devant la justice (le PS n’a pas la personnalité juridique). Peut-être la Cour européenne des droits de l’homme ? Fort peu probable. « Elle a joué, elle a perdu », comme dirait Malik Ben Achour (PS), député fédéral de l’arrondissement de Verviers.

Normalement, Muriel Targnion aurait dû être jugée par la commission de vigilance fédérale de Verviers.

Pour rappel, une majorité de la coalition municipale PS-MR-Nouveau Verviers (20 élus sur 23) voulait écarter le président du CPAS, Hasan Aydin, selon la procédure prévue au code de la démocratie locale. Le temps que le PS national, horrifié, veuille mettre fin à cette opération et place le PS de Verviers sous tutelle, la bourgmestre avait franchi la ligne rouge en prenant langue avec le CDH pour étayer sa majorité qui, déjà, commençait à s’effriter (lire aussi Le Vif/L’Express du 30 juillet).

La voilà désormais rejetée du PS, bien qu’ayant déclaré, tout de rouge vêtue, que « ce PS-là n’était pas celui de ses valeurs », qu’il avait foulé au pied les principes de laïcité, liberté sexuelle et droit des femmes au profit d’un électoralisme communautaire.

Elle figure maintenant aux côtés de Claude Despiegeleer (enrichissement personnel dans l’exercice de ses fonctions, 2016), d’André Gilles (comportement contraire à l’éthique socialiste, 2017) et d’Emir Kir (rupture du cordon sanitaire avec un parti d’extrême droite, 2020). « Jamais personne n’avait été exclu juste parce qu’il avait une fois dans sa vie politique désobéi à un ordre, d’autant que tous désobéissaient « , soulève l’intéressée.

Seul Benoît Hons, échevin à Neupré, a été banni plus rapidement que Muriel Targnion – en huit jours, le 3 janvier dernier – mais c’était par la commission de vigilance de la fédération liégeoise du PS et il aurait pu faire appel. En cause : ses propos injurieux à l’égard des gens du voyage sur sa page Facebook du 28 décembre 2019, propos aussitôt regrettés. De mémoire, car la jurisprudence de la commission de vigilance nationale n’est théoriquement accessible qu’aux seuls membres, c’est une première. Pour Claude Despiegeleer, condamné dans les affaires dites de Charleroi par l’instance nationale, l’instruction avait duré six mois. Elle a pris respectivement trois et un mois pour André Gilles, ancien président de Publifin, et Emir Kir, bourgmestre de Saint-Josse, devant les commissions de vigilance fédérales de Liège et de Bruxelles.

Sophie Lambert et Jean-François Istasse, cités comme possible bourgmestre.
Sophie Lambert et Jean-François Istasse, cités comme possible bourgmestre.© romain rixhon

Autre singularité : la Verviétoise a été citée directement devant la commission de vigilance nationale. Normalement, son cas aurait dû être présenté à la commission de vigilance fédérale de Verviers, mais celle-ci a été désactivée par la décision du bureau du PS, le 7 juillet, de mettre sous tutelle l’USC (union socialiste communale) et la fédération de Verviers. Le président de la fédération muselée, Alexandre Loffet, échevin des Finances de Verviers, a demandé au secrétaire général du PS, Jacques Braggaar, de saisir la commission de déontologie du parti pour qu’elle vérifie le respect des statuts ayant conduit à la neutralisation de sa fédération, qu’il conteste et dont découle, selon lui, une décision de sanction  » nulle et non avenue « . En effet, il n’a pas pu exercer ses droits à la défense et la  » substitution  » – la tutelle – n’aurait pas été motivée valablement.

Rapports de force

Quel a donc été le « crime » de Muriel Targnion ? Repris anonymement dans une vidéo circulant sur YouTube, les éléments de langage diffusés avant et après la séquence (« Muriel Targnion paie sa proximité avec Stéphane Moreau, son rôle en tant que présidente d’Enodia, son poste de conseillère chez Luminus »), n’apparaissent pas dans le jugement. « L’intérêt général » invoqué dans la procédure de renvoi n’est pas autrement documenté.

La commission de vigilance passe sous silence la dureté et la durée du conflit entre la Ville et le CPAS. « A la fin du mois de juin, un conflit éclate entre la camarade Muriel Targnion et le camarade Hasan Aydin au sujet de la gestion du CPAS », évacue-t-elle dans son exposé des faits.

En réalité, ce qui est reproché à la bourgmestre, c’est d’avoir désobéi aux « instances du PS », lesquelles avaient donné l’ordre de geler toute initiative politique conduisant à évincer Hasan Aydin, ainsi que son manque de « fraternité » à l’égard de ce dernier dont, dit la commission, le comportement sexiste n’est pas avéré. L’exaspération à l’égard de la rebelle était partagé en haut lieu.

« On laisse entrer l’anarchie au parti », aurait dit à Paul Magnette le député fédéral Marc Goblet, ancien patron de la FGTB envoyé au contact des camarades verviétois. Willy Demeyer, parrain de Muriel Targnion dans la phase ascendante de sa carrière politique (c’est lui qui avait organisé avec Benoît Lutgen le changement de majorité de 2015 à Verviers) n’a pas été le dernier à approuver la mise sous tutelle de Verviers, rejoint par André Flahaut et Christophe Lacroix. L’affaire, ensuite, a été menée au grand galop.

L’article 80 des statuts du parti socialiste prévoit une échelle de DIX sanctions.

Le 7 juillet, à 18 h 14, Jacques Braggaar écrit à la commission de vigilance : « J’apprends à l’instant que sept élus sur treize ont décidé de signer ce jour un nouveau pacte de majorité allant ainsi contre la volonté du Parti et nuisant gravement à l’intérêt général. C’est pourquoi je vous demande de réunir de toute urgence la commission de vigilance du parti pour qu’il soit procédé à leur exclusion en raison du fait qu’ils ont été avertis des conséquences d’un tel acte. »

Entre le lancement de la procédure disciplinaire et la première audition de Muriel Targnion, fixée au 9 juillet, il s’est écoulé moins de quarante-huit heures. La « camarade Muriel Targnion » obtient cependant un report, car elle se trouve alors en vacances à l’étranger et souligne les difficultés techniques d’une entrevue en vidéoconférence.

Laurie Maréchal, conseillère communale à Verviers, a fait enlever sa photo de la facade bruxelloise du siège du PS.
Laurie Maréchal, conseillère communale à Verviers, a fait enlever sa photo de la facade bruxelloise du siège du PS.© Google Street View

A Verviers, pendant ce temps, Malik Ben Achour et le trio tutélaire (André Frédéric, Marie-Claire Lambert, Christophe Collignon) manient la carotte et le bâton pour ramener le maximum de dissidents « à la maison ». Ils en ont récupéré deux de plus, pas des poids plume. Les autres ne sauraient tarder. Personne d’autre que Muriel Targnion n’a été convoqué devant l’instance disciplinaire.

Un siège totalement masculin

Au jour dit de son audition, le 29 juillet, à 11 heures, la bourgmestre arrive au boulevard de l’Empereur. Elle est accompagnée d’un militant socialiste comme le permet la procédure, un membre de l’USC de Verviers. Ils se dirigent vers la grande salle du rez-de-chaussée, celle où se tiennent habituellement les bureaux du parti.

La commission de vigilance du PS est composée de dix membres représentant la diversité géographique du parti. Elle est présidée par le Gaumais Elie Deworme, 88 ans. Surprise : pas une femme dans leurs rangs. Jacques Braggaar est absent. Le secrétaire général qui, par analogie judiciaire, représente l’accusation n’est pas là. Deux membres de la commission sont en vidéoconférence, d’autres, en présentiel, portent un masque. Aucun ne se présente.

Ce manque de courtoisie choque la bourgmestre de Verviers. Au bout d’une heure et demie d’audition, elle a toutefois le sentiment d’avoir été écoutée. Elle a présenté des « regrets » pour son comportement « incorrect » à l’égard des instances, dit son intention de revenir à la case départ, avec Hasan Aydin à bord, comme annoncé le 26 juillet, après deux nouvelles défections. Le socialiste qui la défend demande que la sanction soit « proportionnée » : un rappel à l’ordre motivé. La plus faible.

L’article 80 des statuts du Parti socialiste prévoit une échelle de dix sanctions. La palette a été élargie, du rappel à l’ordre à l’exclusion en passant par diverses formes de suspension, afin notamment de distinguer entre les mandataires coupables de conflits d’intérêts et ceux qui, cumulant le conflit d’intérêts et l’enrichissement personnel, sont susceptibles d’être exclus, comme Claude Despiegeleer en a fait l’expérience.

A la fin de la séance, la juriste qui assiste le président de la commission annonce : « Je vous rassure, nous serons très attentifs à la question de la proportionnalité, nous ne sommes pas tenus par la requête du secrétaire général. » La repentante est optimiste. Le lendemain, c’est la douche froide. La décision, signée par le seul Elie Deworme, lui parvient par courriel à 10h35 : « La Commission constate que l’opposition de la camarade Muriel Targnion durant près de 20 jours aux demandes des instances compétentes du PS, qui n’a pris fin qu’à la suite de la « caducité » de la motion de méfiance collective, est de nature à rompre le lien de confiance qui existe entre elle et le Parti. La sanction de l’exclusion du PS s’impose. »

La mesure provoque des remous. A Verviers, il n’a échappé à personne que le député fédéral Malik Ben Achour a multiplié les déclarations et initiatives sans tenir compte de la consigne de discrétion imposée aux camarades et que, derrière Muriel Targnion et ses 3 000 voix de préférence, il y a des militants et des électeurs déboussolés. La majorité PS au conseil provincial ne tient qu’à deux sièges devant le MR. Une partie des voix socialistes sont sans doute perdues, à l’instar de celle de la conseillère communale Laurie Maréchal, 20 ans, qui, après avoir réclamé que sa photo géante soit retirée de la façade bruxelloise du siège du PS, a rendu sa carte de parti. Les élections communales et provinciales sont en 2024. Un processus compliqué de recomposition est en cours.

La crise en 15 étapes

  • 27 mai : le président du CPAS, Hasan Aydin, fait voter par une majorité alternative PS-Ecolo-CDH-PTB (trois membres) un budget qui impose un déficit de 500.000 euros à la Ville dirigée par une coalition PS-MR-Nouveau Verviers (mouvement citoyen).
  • 28 juin : la veille d’un conseil communal à l’issue incertaine (le rejet ou non du budget du CPAS), les membres de la majorité moins les socialistes Hasan Aydin, Malik Ben Achour et Antoine Lukoki signent une motion de méfiance à l’égard du président du CPAS.
  • 29 juin : manifestation des partisans de et avec Hasan Aydin.
  • 2 juillet : trois socialistes de la région, dont le Hervien Marc Goblet, sont dépêchés à Verviers pour une médiation qui n’aboutit pas.
  • 3 juillet : Paul Magnette, président du PS, téléphone à son homologue Maxime Prévot pour lui proposer d’associer le CDH et probablement Ecolo à une nouvelle majorité verviétoise, avec Hasan Aydin comme bourgmestre. Refus poli.
  • 6 juillet : descendus sur place pour défendre Hasan Aydin, le secrétaire général du PS, Jacques Braggaar, et le conseiller spécial de Paul Magnette, Laurent Pham, demandent aux élus locaux de ne pas prendre d’initiatives.
  • Nuit du 6 au 7 juillet : des contacts sont noués dans le cadre d’une majorité de rechange PS-MR-Nouveau Verviers-CDH soutenue par Maxime Prévot, en dépit de tiraillements internes au PS (trois signataires issus de la diversité se sont désistés) et au CDH (deux réfractaires, dont l’ancien bourgmestre Marc Elsen). Hasan Aydin et Antoine Lukoki seraient écartés du collège échevinal. Le nouveau pacte de majorité est daté du 7 juillet.
  • 7 juillet, 10 heures : le bureau du PS place aux commandes de la fédération et de l’union socialiste communale de Verviers un collège de substitution (tutelle) composé d’André Frédéric, Marie-Claire Lambert et Christophe Collignon. Il prévient : « Aucun acte ne peut donc être posé de votre part au nom du PS. » Muriel Targnion en est avertie à 11 h 05 par Jacques Braggaar qui, à 18 h 14, saisit la commission de vigilance du parti pour demander l’exclusion des sept élus socialistes qui ont signé le nouveau pacte de majorité.
  • 9 juillet : Muriel Targnion est convoquée à 10 heures en visioconférence, rendez-vous reporté à 18 heures, puis annulé à sa demande, car elle se trouve à l’étranger.
  • 24 juillet : Jean-François Istasse et Didier Nyssens reprennent leur signature, ce qui fait perdre sa majorité au PS dissident.
  • 26 juillet : la bourgmestre propose de geler la situation, en gardant Hasan Aydin à bord.
  • 27 juillet : elle explique sa position à la tutelle.
  • 29 juillet : devant la commission de vigilance, elle exprime des  » regrets « , accompagnée d’un membre du PS de Verviers qui plaide la proportionnalité de la sanction, soit, un simple rappel à l’ordre.
  • 30 juillet, 10 h 35 : elle reçoit par courriel la notification de son exclusion du PS.
  • 4 août : le président de la fédération « substituée », Alexandre Loffet, demande au secrétaire général de saisir le conseil de déontologie pour non-respect des statuts du PS.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire