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Vers une société silencieuse

Muriel Lefevre

Notre société est de plus en plus déshumanisée. Au point que si vous ne voulez plus parler à personne, c’est tout à fait possible. Nous dirigeons nous vers un monde fait d’êtres solitaires ?

La borne remplace de plus en plus l’être humain. On peut y enregistrer son vol, acheter son ticket de train ou de métro, commander son repas et même y scanner nos courses. Au point qu’il est aujourd’hui tout à fait possible, si on le souhaite, de faire toute sorte de choses en société sans ne plus parler à aucun être humain.

Une telle économie  » déshumanisée  » offre aux clients des avantages en termes d’efficacité et de gain de temps. Les gens sont demandeurs de ce genre d’innovation, puisque, par exemple, 72 % des passagers de Brussels Airlines enregistrent eux-mêmes leur vol. Pour les entreprises, elle offre une image de modernité et surtout plus de profit. Un tel système rapporte rapidement de l’argent et n’est pas confronté à la maladie et aux vacances. Officiellement, cela permettrait surtout de replacer le personnel vers d’autre poste et ainsi offrir plus d’efficacité. Autre domaine où l’on constate une mutation rapide, c’est dans le monde bancaire. Aujourd’hui, environ 85% des interactions se feraient à partir d’une application mobile si l’on en croit Hilde Junius, porte-parole de BNP Paribas Fortis interviewée par De Standaard. Si les clients de la banque apprécient encore le contact personnel lorsqu’ils sont à la recherche de conseil, même ce service-là se ferait de plus en plus régulièrement par vidéo-conférence.

Mortelle solitude

Si tout cela semble bien pratique sur papier, c’est oublier un peu vite que l’être humain est aussi un être social qui cherche le contact des autres. Surtout quand on vieillit. Quand le cercle social se réduit, faire ses courses est souvent le seul moment de la semaine où on est en contact avec d’autres. Mais il n’y a pas que les personnes âgées qui sont touchées. Les personnes qui vivent ou se sentent seules sont chaque jour plus nombreuses. Ce sont surtout les Belges de 20 à 34 ans qui s’attribuent un score bien inférieur à celui des plus de 65 ans en termes de solitude émotionnelle. La mondialisation, l’augmentation du nombre de divorces, la baisse de la fréquentation des églises, la baisse de la participation aux associations… sont autant de facteurs susceptibles de contribuer à une solitude toujours plus grande.

Les chercheurs estiment que la solitude est mortelle, car elle peut mener à un certain nombre de problèmes, notamment des troubles du sommeil, un niveau élevé d’hormone du stress, une inflammation accrue et une dégradation du système immunitaire. Chacun de ces facteurs conduit à un risque accru de maladie et de lésions mortelles. La dernière étude AARP Solitude a révélé que 42,6 millions d’adultes âgés de plus de 45 ans souffrent de solitude chronique aux États-Unis. Avec une population vieillissante de baby-boomers, ce nombre devrait augmenter dans les décennies à venir.

Vers une société silencieuse
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Selon Julianne Holt-Lunstad, professeur de psychologie à la Brigham Young University qui a réalisé deux énormes méta-analyses lors de la convention annuelle de l’American Psychological Association, la solitude pourrait constituer une menace encore plus grande pour la santé que l’obésité. D’autres recherches ont déjà révélé que les risques sont les mêmes que le tabagisme. Toujours selon elle, « de nombreuses nations du monde suggèrent maintenant que nous sommes confrontés à une « épidémie de solitude ». « L’évolution économique dont on perçoit déjà les prémisses pourrait donc se révéler dangereuse pour la société dans son ensemble », dit dans De Standaard Marlies Maes, qui mène des recherches sur la solitude à la KU Leuven.

A ceci près qu’on ne peut pas tout attribué à la numérisation et la robotisation de la société. Ce n’est en effet pas seulement le nombre de contacts que l’on a, mais leur qualité qui compte. On peut être entouré de gens et tout de même être seul. Il y a deux facteurs importants qui peuvent entraîner la solitude : des contacts sociaux insuffisants ou, bien ne pas se sentir compris. La solitude est causée par un manque d’amitiés de qualité, pas seulement par la quantité de contacts. Ce qui importe est donc d’avoir un contact significatif avec les autres, et il n’est nullement dit qu’une interaction avec quelqu’un à la caisse puisse remplir ce rôle.

C’est pourquoi certain, comme Rogier de Langhe, philosophe économique de l’UGent qui fait partie des optimistes, estime que la disparition de ces emplois pourrait même être bénéfique pour la société. Car c’étaient déjà, à la base, des emplois déshumanisés. Des fonctions souvent aliénantes et très ennuyantes pour la personne. Selon lui la numérisation de telle fonction pourrait même conduire à une économie plus humaine. De quoi finir sur une note d’espoir ?

Une robotisation de l’emploi ?

En Wallonie, 564.000 emplois seraient menacés à l’horizon de 10 à 20 ans, précise l’Iweps. Selon l’institut, les postes d’employés administratifs sont les plus menacés par la robotisation (116.500 emplois), suivis par les services directs aux particuliers (commerçants) avec 105.000 emplois. On notera également que 2/3 des emplois occupés par des femmes se trouveraient parmi les professions les plus exposées.

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