Mélanie Geelkens

Une sacrée paire de persécutées: « Ça crie, ça réclame, ça revendique. Mais ça fait un peu princesses, au fond » (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Vous ne pensiez tout de même pas vous en tirer comme ça, les filles? Oui, mais non. Ça crie, ça réclame, ça admoneste, ça revendique. Mais ça fait un peu princesses, au fond. Alors, pendant qu’il est demandé aux hommes de déconstruire leurs apanages, les femmes doivent aussi s’acquitter de l’une ou l’autre petite tâche.

Coucou, les filles! Vous ne pensiez tout de même pas vous en tirer comme ça? Passer entre les mailles des reproches, après que les mecs chouineurs (« oui mais on n’est pas tous comme ça, ouin ouin, vilaines féministes, snif snif ») se sont mangés quelques considérations bien senties. Oui, mais non. A force de réprouver les autres, faudrait pas oublier l’autocritique. Parce que ça geint, ici, aussi. Vilains machos, bouhouhou. Affreux patriarcat, blablabla. Ça crie, ça réclame, ça admoneste, ça revendique. Mais ça fait un peu princesses, au fond. Parce que: est-ce que ça se change soi-même, d’abord? Fort peu.

Un peu d’honnêteté. L’addition, déposée sur la table du resto à la fin d’un premier rencard, rares sont celles qui se précipitent dessus. Elles n’auront pas davantage fait le premier pas, dans un bar ou sur Tinder. Car c’est à l’homme, évidemment, de prendre le risque de se ramasser un vent. Comme de porter des trucs lourds, d’effectuer des tâches manuelles. « Le jour où la femme aura tous les droits, disait feu le caricaturiste Georges Wolinski, elle perdra tous ses privilèges. » On est d’accord: y en a quand même pas tant que ça. Et entrer gratuitement dans une boîte de nuit ne compense que fort peu le plafond de verre, l’écart salarial, les violences sexuelles, la charge mentale…

Sous prétexte qu’elles l’ont porté durant neuf mois, elles s’appliquent à occuper la place primordiale dans la vie de leur enfant. Et à reléguer le père à l’arrière-plan, peut-être inconsciemment.

Les femmes ont en revanche quelque chose que les hommes n’auront jamais: un utérus. Prérogative autant que malédiction. Car il a été maintes fois démontré que les inégalités, tant sur le marché de l’emploi que dans la vie privée, s’enclenchent habituellement dès l’arrivée de bébé. Evidemment, qu’il faut s’en plaindre. Mais certaines mères ont cette capacité particulière à exiger tout mais à faire tout le contraire. A, par exemple, revendiquer une meilleure répartition des tâches ménagères tout en critiquant Monsieur dès qu’il se saisit d’un fer. « Pas comme ça, c’est mal fait, il y a un pli, pfff je vais m’en occuper moi-même. » Alors forcément, le gars, déjà qu’il avait fallu le pousser pour s’y mettre, il ne se fait pas prier pour arrêter.

Pareil avec les gosses. Elles savent mieux. Tout: dorloter, habiller, alimenter, éduquer, gronder, accompagner, border… Genre elles ont expulsé un manuel d’utilisation en même temps que le placenta. Sous prétexte qu’elles l’ont porté durant neuf mois, elles s’appliquent à occuper la place primordiale dans la vie de leur enfant, comme si c’était inné. Et à reléguer le père à l’arrière-plan, peut-être inconsciemment. En cas de séparation, c’en devient encore plus flagrant. Tous les avocats en voient débarquer, des mères qui leur lancent, pleines de morgue: « Je veux qu’il n’ait rien! ». Même pas un week-end sur deux, si ça ne tenait qu’à elles. Parce que leur amour à elles serait plus fort, parce qu’elles en crèveraient d’être séparées de leur progéniture. Les pères n’ont apparemment pas droit à cette souffrance. Des je-m’en-foutistes, des démissionnaires! Mais ceux-là n’ont-ils pas, parfois, été poussés sur le côté?

Alors, pendant qu’il est demandé aux hommes de déconstruire leurs apanages, les femmes doivent aussi s’acquitter de l’une ou l’autre petite tâche. Avoir de l’ambition, renoncer aux facilités, s’affirmer dans leur sexualité, exister dans l’espace public… Mais aussi arrêter de croire qu’elles sont indispensables dans la sphère privée. Plaider pour l’égalité, c’est aussi consentir à l’accorder au sein de ce seul espace où elles ont la primauté.

« Ich bin eine Quotenfrau »

Traduction: « Je suis une femme quota. » Quarante dirigeantes allemandes ont diffusé ce message, le 25 novembre dernier, dans les médias et sur les réseaux sociaux, alors qu’un projet de loi visant à instaurer des quotas dans les organes de direction des grandes entreprises fait débat dans le pays. Toutes expliquent qu’elles n’auraient jamais atteint leur niveau de responsabilité si des textes législatifs ne l’avaient pas permis. Y compris la ministre de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer (photo) et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, qui se définit « comme une femme quota parce qu'[elle] sait d’expérience que les améliorations ne viennent pas toutes seules ».

Une sacrée paire de persécutées:
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50,2

points (sur 100): tel est l’indice bien-être des femmes, selon le dernier baromètre Solidaris. Une chute de 9% depuis 2015. Celui des hommes s’élève à 57,4% (soit une baisse de 1,7%). Par ailleurs, une femme sur trois se déclare en dépression (modérée à sévère), contre un homme sur cinq.

La phrase

« Quand vous regardez la marche du féminisme depuis les années 1960, vous vous dites que les femmes ont fait des pas de géante. Quand on voit comment des portes qui étaient fermées depuis des siècles se sont ouvertes […]. C’est une des seules révolutions de l’histoire – et quelle révolution, de changer le rapport des gens! – qui ait évolué vers le succès. Et qui avance dans l’honneur. Sans goulag, sans schlague. » – Elisabeth Badinter, dans l’émission Quotidien sur TF1, le 1er décembre.

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