Mélanie Geelkens

Une sacrée paire | « Comme si la bonne parole, l’instruite parole, la compétente parole ne pouvait être portée que par un homme »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Leur tandem est devenu un feuilleton quotidien. Les spectateurs observent l’évolution de la noirceur de leurs cernes, de la longueur de leurs barbes, de la broussaille de leurs cheveux, de la déconfiture de leurs mines. Ça fait donc physiquement cet effet-là, d’annoncer chaque jour des morts, des malades, des entrées et des sorties d’hôpitaux, des respirateurs, des lits occupés en soins intensifs. Ils commencent leur journée à six heures et la terminent à minuit, paraît-il, les deux virologues Emmanuel André et Steven Van Gucht. « Porte-parole interfédéraux de la lutte contre le Covid-19 ». Cache-sexe verbal pour « porteurs de mauvaises nouvelles ».

Il y a aussi Marc Van Ranst, celui qui répète tous les deux jours qu’à cause des gens, la Belgique sera confinée jusqu’à la nuit des temps. Puis Yves Coppieters, qui a pris un abonnement à la RTBF, qu’il refile à l’occasion à Marius Gilbert, un autre spécialiste qui tweete des graphiques comme autant de breaking news. RTL a plutôt jeté son dévolu sur Philippe Devos. Un urgentiste, lui, pas un épidémiologiste. Mais il est aussi président de l’Absym (Association belge des syndicats médicaux), il a été infecté et plein d’articles ont été rédigés sur son état de santé. Ça appuie apparemment une certaine légitimité.

L’autre jour, en parlant de l’Absym, le hasard des recherches journalistiques s’est posé sur l’onglet  » comité directeur  » de leur site. De belles photos de Luc, Gilbert, Yves, Bart et autres Dirk, avec leurs costumes sombres, embarrassés par leurs bras (croisés ou dans les poches ? ).  » Afin de respecter la parité… « , était-il inscrit, en bas, en tout petit. Linguistique, la parité. Parce que des femmes, pas une. Apparemment, représenter la moitié du corps médical est insuffisant pour accéder à ses hautes sphères. 52 % de médecins spécialist Es, 54 % de généralist Es, 83 % de psychologu Es…

Des épidémiologist Es, ça existe aussi. Elles occupent même trois postes (sur cinq) du comité scientifique coronavirus. Nathalie Bossuyt (Sciensano), Erika Vlieghe (UZ Antwerpen) et Charlotte Martin (CHU Saint-Pierre) ne répandent pourtant pas leur virus analytique dans la presse. Peut-être ont-elles la gloriole indifférente. Celles qui parlent sur tout sur rien surtout pour la célébrité, elles sont quand même rares, sur le devant de la scène, force est de le constater. Sans doute elles-mêmes formatées à l’idée qu’elles ne doivent pas trop la ramener. Trimballant un latent complexe d’infériorité, un syndrome de l’imposteur ou autre connerie du genre dont il serait grand temps de se décharger.

Ou peut-être les médias ne les appellent simplement pas. Par facilité. Un numéro qu’il ne faut pas chercher, un bon client déjà identifié, un téléphone assurément décroché… En 2018, l’Association des journalistes professionnels révélait, après analyse de plus de 1 500 articles, que seuls 13 % des experts sollicités étaient en réalité des femmes. Bien sûr, tous les journaux font leur mea culpa, promettent de s’améliorer, d’utiliser les annuaires féminins mis à leur disposition, d’être attentifs à la parité lorsqu’ils contactent les universités. Certains sont même sincères.  » Mais en ces temps de terrible crise, les vieux réflexes…  » (1) Comme si la bonne parole, l’instruite parole, la compétente parole ne pouvait être portée que par un homme. Qu’elles retournent donc coudre des masques, elles.

Pourtant, l’intelligence académique change doucement de sexe. Les diplômées représentent 56 % des bacheliers et des masters. 45 % des doctorats. De belles fabriques à expertes, ces universités. A un moment, ça deviendra difficile de continuer à les nier.

(1) Merci, madame la lectrice attentive ; )

@unesacreepaire

Fracturées

 » Nous appelons les pouvoirs publics à veiller à ce que la numérisation galopante d’un grand nombre de services, accélérée par le confinement, ne devienne pas une norme dont seraient exclues beaucoup de femmes.  » Tel est l’appel lancé, dans une lettre ouverte, par treize associations, constatant depuis le début de la quarantaine que la fracture numérique se fait d’autant plus ressentir pour certaines. Qui n’ont pas les ressources suffisantes pour s’équiper en matériel informatique ou qui ne disposent pas de connaissances en la matière. Et qui ne peuvent donc s’informer sur les sites d’info, réaliser des démarches administratives, suivre la scolarité de leurs enfants, commander en ligne… Sans même parler d’e-peros. Ces associations demandent donc aux politiques d’organiser des séances de formation et de mises à disposition de wifi public.

72,2 %

Une sacrée paire |
© N.LANDEMARD/BELGAIMAGE

des pharmaciens en Belgique sont des femmes, selon les statistiques de Statbel. Petit rappel utile, en temps de pandémie. S’agirait pas de les oublier au moment de rendre hommage à celles (infirmières, médecins, caissières, couturières…) qui permettent à une société confinée de continuer à tourner.

Les libraires, ces confidents

Pharmacies et libraires, les deux seuls commerces (non alimentaires) à rester ouverts en temps de confinement. Les deux seules éventuelles possibilités, pour les femmes victimes de violences conjugales, de sortir de chez elles. La Ville de Liège a donc sollicité ces commerçants pour qu’ils deviennent des éventuels relais voire des confidents, pour celles qui auraient besoin d’une aide discrète. Les aides possibles sont rappelées sur des affiches et les commerçants ont reçu un vade-mecum sur le sujet. En espérant que ces femmes-là aient la possibilité de sortir acheter le journal…

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