L'immense bâtiment de l'ex-clinique Sainte-Anne cédé gracieusement à l'Eglise.

Travail forcé, sans-abri remis à la rue, financement d’un divorce… Les étranges affaires de l’Eglise (enquête)

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Une enquête du Vif, de Knack et du magazine #Investigation (RTBF) met au jour des pratiques pour le moins peu catholiques au sein de deux associations de lutte contre la pauvreté. Dans l’association Rafaël, on découvre que l’Eglise a financé le divorce de la directrice de l’asbl, puis s’est fait offrir par cette asbl un bâtiment de plus de trois millions d’euros…

L’Eglise catholique de Belgique soutient-elle vraiment les plus démunis ? Une enquête du Vif, de Knack et du magazine #Investigation (RTBF) a mis au jour des pratiques pour le moins peu catholiques, voire illégales, au sein de deux associations de lutte contre la pauvreté – Rafaël et Poverello – dans lesquelles l’institution et ses plus hautes sphères sont impliquées: conflits d’intérêts, abus de biens sociaux, infractions comptables, exploitation économique… Sans-abri, sans revenus mais aussi donateurs et bénévoles se sentent floués. Ce n’est pas Noël pour tout le monde. Cette enquête de David Leloup, Thierry Denoël (Le Vif) , Ruben Brugnera, Marieke Brugnera (Knack) et Emmanuel Morimont (RTBF) a été réalisée avec le soutien du Fonds pour le journalisme et du Fonds Pascal Decroos.

La première partie de l’enquête à découvrir ici.

« Si notre fondateur pouvait voir ce qui est arrivé à son projet, il se retournerait dans sa tombe. » Marc Desmet, 67 ans, est furieux. En 1995, ce Courtraisien a décidé de consacrer sa vie au projet Rafaël lancé par le prêtre Reginald Rahoens. Lequel, deux ans plus tôt, avait reçu d’un ordre de religieuses françaises l’imposante clinique Sainte-Anne, située au coeur d’Anderlecht. Objectif : y établir « un lieu de solidarité chrétienne pour l’accueil et l’intégration des migrants et des personnes marginalisées ».

« Le centre Rafaël était un cocon sûr, en plein centre de la capitale, pour des personnes très vulnérables, d’ethnies et de religions différentes, des jeunes, des mères célibataires, des familles avec enfants, des personnes âgées, des handicapés et des malades chroniques », se souvient Mieke Vrints, une théologienne qui a travaillé avec l’asbl et a vu le projet grandir jusqu’à compter trois cents résidents. Ces derniers ne payaient pas de loyer, mais une « contribution » pour les services communs et l’entretien. Et ceux qui n’avaient aucun revenu ne déboursaient rien. En 2017, l’asbl Rafaël a perçu 339 296 euros de contributions, soit – en comptant trois cents résidents – une moyenne de 94 euros par mois par personne. Un tarif imbattable.

Aujourd’hui, il ne reste rien du projet initial : le site – actuellement en chantier – est désert. « Tout le monde a dû partir », regrette Marc Desmet qui, en échange de son engagement auprès des démunis, était logé et nourri par Rafaël. L’Eglise va désormais aménager cinquante-deux logements sociaux. Le bâtiment doit devenir rentable. Pour cela, les plus pauvres des pauvres – ceux sans revenus n’ayant nulle part où aller – n’y auront plus leur place. »

Le généreux projet du père Rahoens a-t-il été vidé de sa substance par les plus hautes instances de l’Eglise ? L’asbl n’est, en tout cas, plus qu’une coquille vide endettée depuis que son principal actif – l’ex-clinique Sainte-Anne, estimée à 3,1 millions d’euros – a été gracieusement cédé à l’Eglise en avril dernier. Mais ce n’est pas le seul fait étrange. En 2019, des membres haut placés de l’Eglise ont financé, en utilisant l’asbl Rafaël, le divorce de la directrice de Rafaël par un prêt discret de plus de 125 000 euros. Une directrice que, par ailleurs, plusieurs sanspapiers accusent de les avoir forcés à travailler sous la menace, ce que dément toutefois le président de l’asbl, l’influent Monseigneur Herman Cosijns (voir en fin d’article). Enfin, cette directrice, également courtière en assurances, semble avoir profité de sa fonction pour « vendre » des contrats obsèques à une vingtaine de sans-papiers.

Avec cette question : le cardinal et archevêque de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, Jozef De Kesel, qui préside la Conférence épiscopale dont Mgr Cosijns est le secrétaire général, pouvait-il ignorer toutes ces opérations ? Et les cautionne-t-il ?

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La mainmise de l’église

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter en 2010. Le père Rahoens, alors en phase terminale d’un cancer, veut s’assurer que l’Eglise poursuive l’oeuvre de sa vie. Quand il décède, en juillet 2011, c’est Mgr Cosijns qui reprend la présidence de l’asbl. Ce dernier vient tout juste d’être nommé secrétaire général de la Conférence épiscopale, la principale assemblée des évêques de l’Eglise catholique de Belgique, alors présidée par Mgr Léonard et, depuis fin 2015, par son successeur, le cardinal Jozef De Kesel.

Mgr Cosijns n’est pas arrivé chez Rafaël par hasard. Il est actif depuis 2008 au sein du projet Bethléem qui vise à transformer des biens d’ Église en logements sociaux. Ce dernier, lancé en 2006 par le cardinal Danneels (prédécesseur de Mgr Léonard), a permis de créer septante-cinq habitations dont la gestion est confiée à des agences immobilières sociales. Celles-ci perçoivent les loyers et en rétrocèdent une large proportion à l’Eglise. Au total, sept cents personnes à faibles ou moyens revenus ont trouvé un toit grâce au projet Bethléem.

Avec l’arrivée de Mgr Cosijns, l’Eglise prendra progressivement du poids au sein du conseil d’administration de Rafaël. En 2016, Marie-Françoise Boveroulle, coordinatrice du projet Bethléem, devient secrétaire de l’asbl. Un an plus tard, l’administrateur délégué de Diaconia (service solidarité de l’Eglise de Bruxelles) la rejoint en tant que trésorier. Ainsi, trois des cinq membres du conseil d’administration de Rafaël sont directement issus d’un organe important de l’Eglise ou sous sa tutelle. Sous la présidence de Mgr Cosijns, l’asbl connaîtra un déclin financier. Quand il en prend les rênes en 2011, elle affiche des fonds propres de 161 000 euros. C’est la richesse nette de l’association. En 2019, huit ans plus tard, les fonds propres de Rafaël affichent un solde négatif de 280 000 euros…

Pourrir avec le bâtiment

Il est indéniable qu’une profonde rénovation du bâtiment de l’exclinique Sainte-Anne était nécessaire. Lorsque deux inspecteurs de l’urbanisme se sont rendus sur le site le 20 décembre 2016, ils ont constaté une violation flagrante des règles d’urbanisme bruxelloises dans l’ancien hôpital. Le nombre de logements créés dans l’énorme bâtiment était bien supérieur à celui qui avait été approuvé en 2004. Les problèmes d’urbanisme et de surpopulation remontent à l’époque de Reginald Rahoens, mais les habitants indiquent que sous Cosijns, la misère a augmenté. « Depuis qu’il est devenu président de l’asbl, il n’y a presque plus d’argent pour les réparations« , regrette Marc Desmet. Lors d’une visite des lieux, il nous montre des locaux couverts de moisissures et des gouttières cassées. « Nous vivons ici dans la misère depuis dix ans. Plusieurs personnes sont tombées malades. Quelqu’un a même eu une infection fongique dans le sang. Ils nous ont laissé pourrir ici avec le bâtiment. »

À l'intérieur, les locaux sont couverts de moisissures.
À l’intérieur, les locaux sont couverts de moisissures.© RTBF

En juin 2017, poussé dans le dos par la commune, le conseil d’administration opte pour une rénovation totale du bâtiment : cinquante-deux logements sociaux devront occuper la moitié de la bâtisse. Le reste abritera un centre paroissial, une crèche, une banque alimentaire et un restaurant social. Cette rénovation – un chantier de dix millions d’euros – est chapeautée par le projet Bethléem. Les trois cents résidents devront quitter les lieux pour de bon. Et s’ils veulent réintégrer le bâtiment après travaux, ils devront payer un loyer. Bref, le centre Rafaël qui offre gratuitement un toit aux plus démunis tel que mis en place par le père Rahoens, c’est fini.

Des sans-papiers « très utiles »

Pour les résidents, cette décision est un coup de massue. « Le sol s’est dérobé sous mes pieds », raconte un ancien habitant. D’autant qu’ils n’ont été informés des nouveaux plans que plus d’un an plus tard. « Nous ne pouvions plus dormir la nuit. Cet endroit nous a sauvés de la rue et maintenant ils veulent nous remettre à la rue ? », s’indigne un autre résident. « Nous n’avons jeté personne à la rue, rétorque Marie-Françoise Boveroulle. Nous avons patiemment essayé, pendant trente mois, de trouver un nouveau logement pour tous les résidents. » Même justification de Mgr Cosijns : « Nous avons mis ces personnes face à leurs responsabilités. Ils ont dû chercher pendant les trois dernières années et la majorité d’entre eux ont trouvé un endroit où il fait mieux vivre. Maintenant, ils prennent leur vie en main. » Pour cela, la secrétaire de l’asbl a lancé plusieurs initiatives : « Avec la commune et l’association des locataires, nous avons mis en place un groupe de travail afin de trouver des solutions pour reloger les résidents. D’avril 2019 à septembre 2020, le service social de Cureghem a tenu des permanences dans le centre tous les jeudis matin. »

Les habitants indiquent que sous Cosijns, la misère a augmenté

En juin 2020, il restait une centaine de personnes sur le site, dont une trentaine de sans-papiers. Pour reloger les personnes disposant d’un revenu, Marie-Françoise Boveroulle a aussi lancé des appels sur Cathobel.be et dans la presse. Pour les sans-papiers, elle a posté des petites annonces. « Je cherche des habitats groupés qui seraient intéressés d’accueillir l’une ou l’autre personne sans papiers », sans quoi « ces personnes finiront dans la rue », écrit-elle, en juin 2020, sur un site spécialisé. Puis, dans une tirade qui suscite un certain malaise, elle souligne les avantages de la prise en charge d’un sanspapiers : « Outre la qualité humaine de ces personnes, elles peuvent être aussi très utiles et peuvent s’occuper d’une personne âgée/malade, faire le ménage, travailler dans le jardin, faire les courses, cuisiner, faire de la blanchisserie (repassage ou autres), s’occuper d’animaux… »

Interrogée sur ce qui ressemble à une proposition de travail au noir en échange d’un toit, elle nous répond de manière surprenante : « Vous savez très bien qu’il y a des métiers en pénurie. » Puis elle nuance que plusieurs sanspapiers auraient « eux-mêmes proposé cela » pour augmenter les chances que des personnes privées acceptent de les héberger, « mais ça n’a jamais abouti ».

Nulle part où aller

Un sans-papiers témoigne : « Je n’avais nulle part où aller, mais le conseil d’administration me posait toujours la même question : « Vous n’avez pas d’amis qui pourraient vous héberger ? ». » Au final, vingt-deux personnes, incapables de trouver une solution, ont été contraintes de rester dans le bâtiment délabré, sans eau chaude depuis deux ans. Au printemps 2021, les ouvriers ont commencé à préparer le chantier : ils ont creusé des rainures dans les murs du bâtiment pour identifier les fondations en béton. Des fuites d’eau importantes non réparées ont provoqué des inondations dans plusieurs pièces. « Ils ont enlevé toutes les portes, raconte Marc Desmet. C’est leur manière de dégager les résidents qui restent. »

Sur les vingt-deux derniers résidents, treize ont finalement été hébergés dans un ancien squat des Marolles en juin 2021 – après trente mois d’incertitude. Leur contrat stipule que la chambre est offerte « pour une période indéfinie, mais avec un maximum absolu d’un an ». Nous ne savons pas où ont été logés les sept autres sans-papiers.

Le 9 août 2021, les travaux de rénovation ont véritablement commencé dans l’ancien hôpital.

Un bâtiment de trois millions cédé gratuitement

Moins de quatre mois plus tôt, une surprenante opération s’est déroulée devant notaire. Le 23 avril 2021, Herman Cosijns, au nom du conseil d’administration de l’asbl, cède gratuitement l’ancienne clinique Sainte-Anne à l’Eglise catholique belge. Cette dernière est représentée par Patrick du Bois de Bounam de Ryckholt, l’administrateur délégué de l’archevêché de Malines-Bruxelles, connu pour avoir défrayé la chronique lors de la faillite de la Sabena. Les signatures des deux hommes figurent en bas de l’acte notarié. Le bien, estimé à 3,1 millions d’euros par le notaire, était le principal actif de l’association. Laquelle n’est plus désormais qu’une coquille vide endettée.

Le centre Rafaël qui offre gratuitement un toit aux plus démunis tel que mis en place par le père Rahoens, c’est fini.

Pourquoi ce cadeau de plus de trois millions à l’archevêché de Malines-Bruxelles ? « Parce qu’on n’a pas l’argent pour rénover, se défend Herman Cosijns, le président de Rafaël. Il faut l’emprunter. Et pour pouvoir faire un emprunt, il faut une garantie et pouvoir s’appuyer sur un partenaire plus fort, comme l’archevêché. » Possible, mais derrière ce magnifique cadeau se cache néanmoins un énorme conflit d’intérêts. Répétons-le, Mgr Cosijns est le secrétaire général de la Conférence épiscopale présidée par Mgr De Kesel, numéro un de l’archevêché de Malines-Bruxelles qui reçoit le bâtiment. Au final, c’est un peu comme si Herman Cosijns avait donné l’immeuble à l’organisation de son chef. Et pour pimenter le tout, dans le projet Bethléem qui chapeaute l’opération, on retrouve parmi les administrateurs les deux signataires de l’acte notarié : Patrick du Bois et Herman Cosijns. Ce dernier réfute tout conflit d’intérêts : « Je ne suis pas dans l’archevêché et aucun membre de Rafaël ne fait partie de l’archevêché. »

L'étrange créance que nous avons découvertes dans les comptes 2019 de l'asbl Rafaël.
L’étrange créance que nous avons découvertes dans les comptes 2019 de l’asbl Rafaël.© D.R.

Vrai, mais on l’a vu : c’est au niveau de Bethléem et de la Conférence épiscopale que les liens d’intérêts se trouvent. Pour Stéphane Rixhon, professeur de droit public spécialisé en droit administratif et avocat associé au cabinet Oak Law, « on constate qu’il y a des liens et donc on peut considérer qu’il y a conflit d’intérêts ». Le président de l’asbl Herman Cosijns aurait dû « à tout le moins signaler qu’il y avait ce problème potentiel ou effectif de conflit d’intérêts, le faire inscrire au procès-verbal, se déporter pour les délibérations et pour le vote. Le problème étant que la valeur de l’immeuble est très importante comparée au patrimoine de l’asbl, donc il y a un réel appauvrissement de celle-ci. »

Le changement de philosophie chez Rafaël par rapport au projet initial s’est également fait ressentir lorsque le conseil d’administration, sous la houlette d’Herman Cosijns, a nommé une nouvelle directrice, en juin 2017 : Anne Idago, une ancienne résidente. Elle a remplacé le prêtre congolais Charles Mbu. David (prénom d’emprunt), un très ancien résident, se souvient de son arrivée. Après le rejet de sa demande d’asile, le jeune homme s’était vu offrir par le père Mbu une chambre au centre Rafaël. « Ce fut ma planche de salut, non seulement parce que sans ça j’aurais fini à la rue, mais aussi parce que, sans résidence officielle, je n’avais pas droit à un avocat bénévole pour ma procédure d’asile », précise-t-il. Le prêtre Mbu lui avait demandé s’il voulait aider la banque alimentaire pendant son temps libre. « Le travail était léger et, lorsque je n’étais pas disponible, ce n’était pas du tout un problème », évoque encore David. Et d’ajouter : « Lorsque Anne Idago est devenue la nouvelle directrice, tout a changé. »

Travail forcé ?

Alors que, sous le prêtre Mbu, ils travaillaient trois jours par semaine de 8 h 30 à 12 h, sous Idago, huit « volontaires » – principalement des sans-papiers pris en charge gratuitement par Rafaël parce qu’ils n’avaient aucun revenu – devaient, selon David, travailler du lundi au vendredi, de 6 h 30 à 15 h, « sans pause de midi ».

« C’était un travail difficile », renchérit son collègue Isaac (prénom d’emprunt). Ils disent avoir dû porter et charger des casiers, trier la nourriture, remplir les réfrigérateurs et distribuer les colis. « Nous travaillions comme des ânes, sans jamais de vacances. Même le week-end, vous pouviez être appelé pour un travail. Nous n’osions pas protester, précise Isaac. Tout le monde avait peur d’être expulsé du centre. » Selon David et Isaac, les menaces étaient claires. Ces « bénévoles » de la banque alimentaire devaient aussi parfois travailler à l’extérieur du centre : « Un jour, on a même dû faire le déménagement des parents d’Anne », raconte Isaac.

En juin 2019, des « bénévoles » de Rafaël sont allés récupérer, pendant trois jours, des meubles de l’ambassade d’Islande, qui déménageait. Un assistant de l’ambassadeur nous l’a confirmé. « Lorsque des personnes dans une position aussi précaire doivent travailler à plein temps sous la menace d’être jetées à la rue si elles refusent, il s’agit d’exploitation », déclare Jan Knockaert, de Fairwork Belgium, une organisation qui défend les droits des travailleurs sans papiers. Nous lui avons fait écouter les témoignages de David et Isaac. Il est formel : « S’ils disent vrai, il ne s’agit plus de bénévolat. C’est du travail illégal. Car même s’ils ne touchent pas un centime, si leur logement est lié au travail, il faut considérer cela comme une relation de travail. Par conséquent, toute la législation du travail s’applique – y compris aux personnes sans papiers – , comme le salaire minimal, les pauses, les congés légaux, les assurances… ».

Quand des personnes dans une position aussi précaire doivent travailler à plein temps sous la menace d’être jetées à la rue si elles refusent, il s’agit d’exploitation.

Assurances funéraires

Mais ce n’est pas tout. David nous apprend aussi qu’il dispose d’une assurance obsèques couvrant le prix de ses funérailles en cas de décès. Une assurance obsèques ? « Oui, Anne nous a fait signer un contrat. D’autres résidents ont fait de même », affirme-t-il. Contacté avec l’autorisation du sanspapiers, l’assureur Dela confirme : « Une police a été souscrite en 2017 pour 10 000 euros. » David aurait seulement effectué trois dépôts de 98 euros et un de 49 euros. Le jeune homme tombe des nues : « Je n’ai jamais fait le moindre paiement », assure-t-il. Qui a payé, alors ? D’où vient l’argent?

Nous avons obtenu une copie de son contrat. Il est bien signé par Anne Idago qui, depuis août 2017, est enregistrée en tant que « sous-agent d’assurances » auprès de l’Autorité des services et marchés financiers (FSMA). Elle a donc touché une commission sur ce contrat. Après vérifications internes, l’assureur a identifié vingt polices d’assurance obsèques souscrites à l’adresse du Centre Rafaël, dont quatorze ont été annulées et six sont toujours en cours. « Au total, Anne Idago aura perçu entre 5 683 et 7 418 euros de commissions sur ces vingt polices, indique Marysia Kluppels, porte-parole de Dela. Nous prenons cette affaire très au sérieux et avons lancé une enquête interne. S’il s’avère qu’il y a vraiment un conflit d’intérêts, nous n’hésiterons pas à prendre les mesures juridiques nécessaires. »

Pour Jan Knockaert, qu’un sans-papiers souscrive une telle assurance est surréaliste : « Ces gens n’ont pas d’argent pour s’acheter à manger, mais ils dépenseraient 50 euros par mois pour une assurance obsèques ? »

Quand l’église finance un divorce

Il y a mieux encore… Lorsque nous interrogeons Mgr Cosijns sur un mystérieux poste de dépenses dans les comptes de Rafaël, il admet, après un long silence, que l’asbl a accordé, en 2019, au moment où les résidents devaient quitter le centre, un prêt de plus de 125 000 euros à sa directrice Anne Idago pour financer son divorce. Cosijns explique qu’il s’agit là d’un acte de charité : « Elle a cinq enfants et risquait d’être expulsée de sa maison par la banque. ». Aurait-il utilisé l’argent des pauvres pour aider une amie ? « Non, le montant a été avancé par l’archevêché de Malines-Bruxelles », lâche Cosijns.

Vous savez très bien qu’il y a des métiers en pénurie.

Le grand financier de l’Eglise, Patrick du Bois de Bounam de Ryckholt, nous le confirme : c’est un « prêt de soudure » à une « personne extrêmement dévouée », laquelle rembourse le prêt avec régularité. Ce qui interpelle tout de même, c’est le montant du prêt accordé, qui représente les trois quarts des ressources de l’association. Anne Idago a refusé de nous rencontrer pour s’expliquer sur tous ces éléments. Elle s’est contentée de stipuler, par e-mail, que le prêt de l’asbl Rafaël lui a permis d’éviter, à la suite de son divorce, la vente publique de sa maison. Au-delà de tous ces petits arrangements entre amis et de ces abus de pouvoir présumés, « ce qui est arrivé au projet Rafaël est vraiment triste car de tels lieux font cruellement défaut à Bruxelles, conclut la théologienne Mieke Vrindts. De nombreuses familles avec enfants doivent attendre des années pour obtenir leur permis de séjour et n’ont souvent aucun endroit où aller. » Selon elle, l’Eglise devrait jouer un rôle de pionnier moral et toujours se demander où sont les plus grands besoins. « Le logement social est certes très important. Mais pour offrir ce service, l’Eglise sacrifie ici un projet social encore plus urgent et pas encore organisé par les pouvoirs publics… ».

Mgr Cosijns: « Nous n’avions pas d’autre choix »

Le point de vue [des journalistes] sur le fonctionnement de l’asbl Rafaël ne correspond pas du tout à la réalité. Nous nous opposons formellement à ce reportage tendancieux avec des contre-vérités, qui veut délibérément présenter Rafaël sous un mauvais jour. Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, il n’a pas été question de travail forcé. Des résidents et des non-résidents ont parfois prêté main-forte, mais toujours et exclusivement sur une base volontaire, par exemple pour la distribution de nourriture (trois fois par semaine) et pour la collecte de meubles donnés à Rafaël par l’ambassade d’Islande. Nous comprenons que certains résidents aient été désillusionnés et déçus par l’option de rénovation, mais nous n’avions pas d’autre choix en raison de la décision de la commune d’Anderlecht. Il est totalement faux de dire que Mme Idago a fait pression sur les résidents pour qu’ils souscrivent une assurance obsèques. L’Eglise veut être un signe d’espérance et de respect de la dignité de chaque personne, comme c’est le cas aujourd’hui au Béguinage de Bruxelles dans la prise en charge des personnes sans papiers.

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