Theo Francken © Franky Verdickt

Theo Francken : « Je combattrai l’Arc-en-ciel sur terre, en mer et dans les airs »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Theo Francken (N-VA) aurait préféré que son parti soit à la table des négociations gouvernementales. Exclu, il se prépare à une forte opposition au gouvernement de sept partis qui est en train de se former, et qu’il s’obstine à appeler  » arc-en-ciel  » parce que le CD&V sera  » la cinquième roue du carrosse « . « Bien sûr que c’est dommage que l’accord historique entre la N-VA et le PS ne se soit pas concrétisé », dit-il. Entretien avec notre confrère de Knack.

Pourquoi la N-VA ne parle-t-elle pas de Vivaldi, mais d’Arc-en-ciel? Ce nom fait référence au gouvernement Verhofstadt I, mais c’est une formulation erronée. À l’époque, le principal adversaire de l’Arc-en-ciel historique était le CD&V, et aujourd’hui le CD&V fait partie de cette coalition.

Theo Francken : Et alors? Mathématiquement, le CD&V est inutile, ce parti est la cinquième roue du carrosse d’un gouvernement éthico-progressif belgiciste qui incarne le « conservateur-éthique » et le « Flamand ». Et cela pendant quatre ans. Bonne chance, dans un gouvernement qui compte sept vice-premiers ministres. Dans le gouvernement Michel, nous n’en avions « que » quatre, et il y avait déjà de nombreux conflits. Que deviendra Ecolo, un parti au programme presque communiste, ou du moins à la vision très doctrinaire des choses ?

Le nouveau gouvernement ne pouvait voir le jour qu’après que Bart De Wever et Paul Magnette, en tant qu’informateurs, aient perdu l’occasion de former une « grande » coalition autour de l’axe N-VA-PS. Où en étaient les négociations entre le PS et la N-VA ?

Il n’y avait pas encore d’accord définitif, mais nous étions sur la même ligne pour les grands contours. Malheureusement, nous n’avons pas pu obtenir notre majorité. Il manquait encore six sièges. Au niveau du contenu, nous étions également d’accord. On l’oublie souvent, mais le nationalisme flamand a toujours veillé aux accents sociaux. Nous avons convenu que les pensions seraient relevées à 1 500 euros par mois pour les salariés et les indépendants ayant une carrière complète. Il y a également eu une réduction des charges de 2 milliards d’euros, car la reprise économique est la meilleure garantie pour le maintien de nos niveaux d’emploi. En même temps, le PS était également favorable à une plus grande régionalisation d’un certain nombre de pouvoirs. Sous Elio Di Rupo, les socialistes francophones avaient peu d’appétit pour le communautaire, avec Paul Magnette comme président, cet aspect a tout à fait changé. C’est pourquoi il y a eu un accord pour prendre des mesures importantes en matière de défédéralisation des soins de santé, entre autres.

N’est-ce pas vrai ce que Magnette a répété tant de fois : que les visions du monde du PS et de la N-VA sont trop éloignées l’une de l’autre pour former un gouvernement ensemble ?

Pourquoi cela devrait-il être forcément le cas? Je défends le modèle danois depuis des années : là-bas, ils misent sur les corrections sociales, afin que la base de la sécurité sociale reste solide. En même temps, ils n’autorisent pas de compromis sur la sécurité et le contrôle des frontières, et ils se montrent stricts sur l’acquisition de la nationalité.

Theo Francken
Theo Francken© Franky Verdickt

Le PS et le sp.a étaient-ils vraiment prêts à conclure un accord gouvernemental à ce sujet ?

Le président du sp.a, Conner Rousseau, est de toute façon sur cette ligne. Au PS, c’était une question de formulation, et la façon dont les choses devaient être dites. Mais au fond, ils n’ont pas eu de réel problème avec notre demande que le prochain mandat soit un mandat sans régularisation collective et qu’il y ait un frein au regroupement familial. Je suis convaincu qu’un tel accord aurait reçu l’approbation des membres de la N-VA.

Vous êtes sûr qu’un congrès de la N-VA donnerait le feu vert à une coalition avec le PS ? Bart De Wever n’a tout de même commencé à gagner les élections que lorsqu’il a explicitement déclaré que le PS était l’ennemi national numéro un de la Flandre ?

Il n’est jamais facile de parvenir à un accord avec votre principal adversaire politique. Certainement pas dans notre parti : les statuts de la N-VA stipulent qu’un accord de coalition doit être approuvé à la majorité des deux tiers. Cela n’est possible que si la direction du parti réussit à convaincre les membres de la N-VA du contenu de l’accord. Je suis sûr que cela aurait réussi. Selon une enquête du quotidien Het Laatste Nieuws, 80 % des bourgmestre la N-VA avaient déjà tourné la page : « Nous concluons un accord avec le PS la mort dans l’âme, mais nous le faisons parce que cela aide la Flandre ». Il est regrettable qu’aucun journal n’ait organisé la même enquête auprès des bourgmestres du PS. Le PS n’était pas aussi avancé que nous : Magnette n’avait pas encore préparé ses partisans à ce qui allait suivre. L’eau de l’Escaut est profonde, mais celle de la Meuse l’est encore beaucoup plus.

C’est pourquoi en mars, au début de l’épidémie de Covid, Magnette a rejeté à la dernière minute une tentative presque réussie de créer un gouvernement d’urgence. À l’époque, il pensait encore : « Nous le ferons avec la relativement inconnue Sophie Wilmès (MR) ». Jusqu’à ce que les sondages révèlent soudain que Wilmès était la femme politique le plus populaire en Wallonie, alors que Magnette était le numéro un depuis des années. Soudain, Magnette a décidé de reparler à la N-VA. (rires) Je ris, mais c’est évidemment regrettable que ce gouvernement historique avec la N-VA et le PS ne se soit pas concrétisé.

Entre-temps, ce n’était pas non plus le rêve de la N-VA de devoir faire de l’opposition entre le Vlaams Belang et le PTB.

Le Vlaams Belang est en effet sur un nuage et nous fait saigner sur notre flanc droit. Mais nous verrons dans quatre ans si cet état de grâce durera. Et le PTB… (soupir) Apparemment, ils organisent des promenades le long de villas de riches. Que vont-ils faire ensuite pour stigmatiser les soi-disant « capitalistes » ? Un hochet ? Une étoile ? Publier des listes sur les réseaux sociaux avec noms et prénoms, numéros de GSM et adresses e-mail?

Mais je préfère ne pas regarder les autres partis. Après vingt ans de politique, j’ai appris qu’il vaut mieux compter sur ses propres forces. Si ces sept partis arc-en-ciel pensent qu’ils doivent former un nouveau gouvernement, grand bien leur fasse. Ils découvriront très vite que la N-VA est là : directe, juste et armée de la connaissance des dossiers. Nous combattrons l’Arc-en-ciel sur terre, en mer et dans les airs, d’Opgrimbie à La Panne. En tant que plus grand parti du pays, nous sommes prêts à affronter un gouvernement qui ne représente même pas la volonté du peuple flamand.

Les « partis-V » (les partis nationalistes flamands) ne représentent pas non plus la volonté populaire flamande. Sinon, le VB et la N-VA auraient pu former un gouvernement flamand.

Aucun parti ne peut parler au nom de tous les Flamands, mais je maintiens que le signal de l’électeur était flamand et de droite. J’ai mené une campagne intensive, du Bachten de Kupe au Maaskant. Des centaines de personnes m’ont accosté : « Désolé Theo, les choses doivent être encore plus strictes et plus sévères en matière d’immigration et d’asile. Tu as fait de ton mieux, mais cette fois, nous allons voter VB ». J’ai entendu ça un peu trop souvent. Ce gouvernement, c’est la négation de ce signal de l’électeur. L’Arc-en-ciel sera un gouvernement moralisateur.

Les gagnants sont les partis qui s’opposent au « système politique ». Une fois de plus, le VB et le PVDA attendent avec impatience de nouvelles élections.

Je préfère également de nouvelles élections à un gouvernement qui démarre sans majorité flamande. Je ne suis pas certain de la victoire, mais quelqu’un qui est un peu politicien n’a jamais peur des élections.

Vous semblez penser que la Première ministre Sophie Wilmès ne maîtrise pas la situation?

En tant que Première ministre, elle a donné une énorme marge de manoeuvre aux virologues et autres experts. Soi-disant, ils formulent « seulement » des recommandations. Est-ce bien le cas ? Le Conseil national de sécurité est allé deux fois à l’encontre de leur avis, chaque fois c’était parti. Sur toutes les chaînes de télévision, des experts venaient se plaindre du gouvernement. De facto, ils exigent que les politiciens se limitent à l’exécution obéissante de leurs conseils. Qui décide alors? De cette manière nous détruisons des secteurs économiques entiers : restauration, commerce de détail, aéroport de Zaventem…

Les premières mesures contre la propagation du coronavirus servaient encore à « maîtriser la courbe ». Cela signifie qu’il faut essayer de maintenir le nombre d’admissions à l’hôpital et aux soins intensifs le plus bas possible, afin que la Belgique ne connaisse pas la même situation qu’en Italie où les gens mouraient dans les couloirs des hôpitaux. C’est passé silencieusement au contrôle du nombre d’infections. N’est-ce pas une tout autre affaire ? Le nombre de personnes dans les hôpitaux me semble une meilleure mesure que le nombre d’infections.

Theo Francken
Theo Francken© Franky Verdickt

Aujourd’hui, le covid domine le débat public: l’homme de la rue ne parle de rien d’autre. Par conséquent, on accorde moins d’attention aux discussions sur l’identité, c’est-à-dire au thème qui a fait grandir la N-VA. Aujourd’hui, même vos adversaires semblent donner le ton dans ces discussions : l’attention et de l’influence de #BlackLivesMatter en témoignent.

Ce n’est pas parce que d’autres ont également découvert le débat sur l’identité que nous n’y participons plus. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose d’abattre des statues. Mais plus les protestations sont woke (NDLR: un terme américain désignant un état d’esprit militant et combatif pour la protection des minorités et contre le racisme), mieux la N-VA peut faire la différence avec sa ligne d’identité. Bien sûr, je comprends les frustrations des jeunes gens de couleur, y compris en Flandre. Le racisme est un problème et il faut s’y attaquer avec fermeté. Mais le Flamand n’accepte pas d’être traité de raciste à longueur de journée. C’est pourquoi je dis : laissez des verts comme Kristof Calvo ou Jessica Soors venir à la télévision et faire la leçon au Flamand modal, tous les jours si nécessaire, jusqu’aux élections de 2024. Ils finiront par se démasquer. Groen souhaite retirer les armes nucléaires de Kleine Brogel, mais Ecolo autorise la poursuite des livraisons d’armes francophones à l’Arabie Saoudite. Et cela alors que les armes nucléaires de Kleine Brogel ne sont pas destinées à être utilisées, et que les armes de FN sont déployées tous les jours dans des conflits sur la péninsule arabique.

Vous vous moquez de Groen, mais en attendant, pardonnez mon sourire quand je vois à quel point certaines N-VA sont aujourd’hui préoccupées par les statues du roi belge Léopold II.

(rinacements) Le Flamand modal en a plus qu’assez d’être représenté comme un peuple borné. Nous ne le sommes pas ! J’ai encore la chair de poule quand je repense au Pèlerinage de l’Yser d’il y a quelques semaines. Une jeune fille de couleur a dit : « Me voici. Je ne peux faire autrement ». Pour moi, c’est l’image de la nouvelle Flandre, moderne et inclusive.

Les débats sur l’identité ne portent pas seulement sur les statues, mais aussi sur les parasols contre les policiers à Blankenberge et sur les cocktails Molotov contre les pompiers à Bruxelles. Je pense que beaucoup de gens associent les images de ces émeutes au débat sur l’identité. Et si la gauche continue à défendre et à justifier ces émeutiers, je ne les arrêterai pas. Cela semble répéter ce qui s’est passé il y a quatre ans aux États-Unis. Hillary Clinton ne cessait de parler de racisme et de discrimination. Donald Trump a alors écouté Steve Bannon, son conseiller à l’époque : « Si la gauche va jusqu’au bout de l’identité, alors nous devenons nationalistes en matière d’économie et nous gagnons les élections ». C’est ce qui s’est passé : pas dans le vote populaire, mais dans le nombre de grands d’électeurs.

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