Abderrahim Lahlali

« Tais-toi allochtone, ou nous te retrouverons: voilà le signal de la N-VA »

Abderrahim Lahlali Avocat et chef de fraction CD&V à Renaix

Abderrahilm Lahlali, mandataire au CD&V, formule quelques objections au sujet de la démission de Youssef Kobo, également membre du parti démocrate-chrétien. Après une plaisanterie douteuse, Youssef Kobo a démissionné de son poste de collaborateur du cabinet de la secrétaire d’État bruxelloise Bianca Debaets (CD&V).

La déclaration, postée sur Twitter il y a trois ans, qui a mené à sa démission était la suivante : « Et si par souci de compromis, on abattait désormais les activistes de Gaia au lieu des moutons ? »

Si son jeune âge et son activisme à l’époque de son tweet qui date d’avant son engagement au CD&V sont des circonstances atténuantes, elles n’excusent en rien son étourderie et le fait que les collaborateurs de Gaia se sentent blessés à raison.

Youssef Kobo s’en rend compte et l’a formulé de la façon suivante: « Ces dernières années, j’ai commis plusieurs erreurs sur les réseaux sociaux. La politique, c’est aussi prendre ses responsabilités et admettre ses erreurs. J’ai pris mes responsabilités pour cette mauvaise plaisanterie d’il y a trois ans, j’ai présenté ma démission ».

En fait, la démission de Kobo était à prévoir depuis des semaines, depuis que Bart De Wever a lancé une offensive sur sa personne. Celle-ci est devenue l’objet d’un jeu politique douteux, lâche et répugnant. Un jeu qui visait au fond un concurrent politique : le CD&V. Le scénario de l’opération « offensive » sur Youssef a été réalisé par la N-VA dans le but d’affaiblir le CD&V.

L’opération « offensive » a été réalisée de la façon suivante: on a fait le buzz autour d’un collaborateur du CD&V atypique (un jeune au potentiel élevé, activiste et musulman) en lui envoyant le politique le plus puissant du pays, en allant chercher des « éléments accablants » dans son passé et en créant une certaine perception par la méthodique et la force de répétition, afin d’entraîner le scepticisme autour de sa personne et finalement le coup de grâce.

Bart De Wever lui-même a mis l’intégrité personnelle de Kobo en question en citant entre autres son tweet critiquant Israël, et son implication dans le Mouvement X, un mouvement de droits civiques dirigé par Dyab Abou Jahjah.

Finalement, un tweet de l’échevin anversois de la N-VA Fons Duchateau, qui suggère que Youssef a menacé de mort les collaborateurs de GAIA, et un article dans het Nieuwsblad qui a suivi, ont entraîné la démission de Kobo.

La discussion au sujet du tweet trouve son origine dans une interview dans De Standaard où Duchateau mettait en garde contre l’invasion de migrants, quand la migration ne va pas de pair avec l’assimilation. Quand Kobo a posté un tweet critique à ce sujet, Duchateau a répliqué en ranimant les propos critiqués de Kobo de 2013. Avec tout ce qui en a suivi.

Que penser de tout cela?

Je pourrais d’abord remarquer que Duchateau ne réagit pas au contenu du tweet de Kobo, mais qu’il s’en prend à sa personne, car le discours d’assimilation de Duchateau vaut certainement une discussion. Aussi j’invite Duchateau à lire l’analyse de Jean-Marie Gustave Le Clézio, le gagnant français du Nobel de littérature. Selon Le Clézio, la culture dominante de l’Occident attend de certains groupes de la population (minorités, musulmans) qu’ils se débarrassent de leurs antécédents culturels et historiques : ce n’est alors qu’on peut les qualifier de bons citoyens. Ce type de pensée, que Le Clézio qualifie de forme de vol cérébral, mène selon lui droit à un échec de la société.

Ce n’est – deuxième objection – pas la première fois que des membres éminents de la N-VA esquivent le débat en attaquant la personne. La professeure Bea Cantillon peut également en témoigner : la N-VA n’a pas apprécié ses critiques contre les allocations familiales et donc on a mis son intégrité en question. Elle ne se serait pas tenue aux conventions contractuelles telles que la clause de confidentialité.

Troisièmement, je pourrais dire qu’il est frappant à quel point le président de la N-VA Bart De Wever ressemble au jeune activiste Kobo. Lui non plus n’est pas irréprochable. Le monde politique, et particulièrement la communauté juive, n’avait-il pas raison d’être en colère quand il a qualifié les excuses de l’ancien bourgmestre d’Anvers Patrick Janssens (SP.A) pour le rôle de la police anversoise dans la persécution des juifs de « déplacées et gratuites » ? Ces déclarations de Bart De Wever ne l’ont pas empêché de devenir bourgmestre de cette même ville d’Anvers, après avoir prononcé un mea culpa public en présence de représentants de la communauté juive.

Humour mal compris

La photo de Bart De Wever jeune à côté de Jean-Marie Le Pen, un négationniste condamné, ne l’a pas empêché de conquérir l’écharpe de bourgmestre. Idem pour Jan Jambon qui est aujourd’hui ministre de l’Intérieur. Peut-être qu’ils peuvent s’estimer heureux qu’il n’y avait pas de réseaux sociaux : on pourrait peut-être sortir d’autres déclarations de leur part.

Tout comme Kobo, De Wever est le roi des bons mots cassants et sarcastiques, parfois limites et blessants pour certains groupes. Quand on lui en parle, De Wever se sent attaqué : pourquoi ne comprend-on pas son humour ? Contrairement à De Wever, Kobo a tout de même eu le courage de balayer devant sa porte et de reconnaître que son humour sarcastique dépasse les bornes. En plus, Kobo bénéficie de la circonstance atténuante de ne pas disposer d’un bataillon de collaborateurs qui pèsent ses citations avant de les diffuser.

Quatrièmement, et plusieurs observateurs l’ont déjà noté, je pourrais demander pourquoi la N-VA ne balaie pas devant sa porte avec la même énergie ? Pourquoi ne fait-elle pas preuve d’autant de sévérité pour ses propres mandataires et collaborateurs qui se rendent autant coupables de ce genre de déclarations ? Pourquoi ne sont-ils pas aussi sévères pour le recrutement de leur personnel politique ?

À cet égard, je renvoie à l’accueil de nombreux membres du Vlaams Belang par la N-VA, y compris d’auteurs du plan en 70 points contre l’immigration comme Karim van Overmeire. Pour eux, le parti ne pose pas d’exigences de virginité qui ne s’appliquent pas à Kobo. Deux poids, deux mesures ?

Un modèle de vengeance et de rancune

Ce qui me révolte le plus, c’est le modèle de société que la N-VA promeut par ces méthodes. Une méthode qui privilégie la vengeance et la rancune, qui ne pardonne jamais les erreurs de jeunesse, où les jeunes doivent craindre leurs publications en permanence : les utilisera-t-on contre moi ? Non seulement, Big Brother vous observe, mais il frappe aussi impitoyablement quand ça l’arrange.

Cette tactique risque de compromettre la liberté d’expression tant glorifiée par la N-VA, en particulier pour les jeunes qui se cherchent et ont davantage tendance à formuler des propos musclés.

Cette idéologie s’exprime aussi dans l’appel à l’instauration d’un Patriot Act, et où les mauvaises sympathies peuvent mener à des poursuites. Bruno De Wever, historien et frère de, a déclaré à juste titre à Humo que les nationalistes flamands qui avaient sympathisé avec les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale devenaient eux-mêmes victimes de ce type de législation, imposée par vengeance. Aussi Bruno De Wever estime-t-il qu’il est inconséquent que la N-VA veuille l’instaurer.

Tais-toi allochtone, ou nous te retrouverons: voilà le signal de la N-VA

Finalement, quel signal cette campagne de diffamation donne-t-elle aux jeunes issus de l’immigration qui souhaitent s’engager en politique ? De nombreux experts en antiradicalisation ont souligné que ces jeunes ont besoin d’une alternative démocratique à l’EI qui leur permette de ventiler leurs préoccupations et insatisfactions politiques sans se rapprocher de ces terroristes religieux. Aujourd’hui, la N-VA donne un autre signal : allochtone, tais-toi ou on te retrouvera !

Je suis content de constater que mon parti, le CD&V, choisisse un autre cap. Rapprocher les gens. Pardonner. Leur offrir une deuxième chance. Ce sont les valeurs auxquelles mon parti et moi accordons de l’importance et qu’on retrouve tant dans la chrétienté que dans l’islam. Aussi est-ce tout à l’honneur de Wouter Beke qu’il ait, malgré le préjudice possible, fait savoir que Kobo a toujours sa place au CD&V.

Même si je crains que cette saga ait fait perdre de la crédibilité à la politique, elle offre un dernier espoir. Kobo, et les autres jeunes, issus de l’immigration ou pas : ne vous laissez pas réduire au silence et engagez-vous politiquement de toutes les façons possibles. L’avenir vous appartient !

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