© Hatim Kaghat

Sport émoi : Pierre-Olivier Beckers (COIB), l’obsession du haut niveau

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A quel sport vouent-ils une véritable passion ? Pourquoi ? Depuis quand ? Et avec quel impact sur leur vie privée comme professionnelle ? Cette semaine : Pierre-Olivier Beckers, président du COIB et adepte enthousiaste de plusieurs disciplines, défend les valeurs humaines et compétitives de l’olympisme.

Pierre-Olivier Beckers est un des hommes clés du sport au niveau national. Patron du Comité olympique et interfédéral belge (COIB), l’ancien CEO du groupe Delhaize, qu’il a dirigé pendant une quinzaine d’années, se passionne pour tous les sports. Il est tombé tout petit dans la marmite de l’olympisme.  » Cela remonte à 1972, pour être précis, sourit-il. J’avais 12 ans et je regardais les Jeux olympiques de Munich. Le nageur américain Mark Spitz défiait les lois du possible en remportant sept médailles d’or. Les images de ces athlètes se battant pour le drapeau de leur pays m’ont fortement impressionné.  » Tout en étant marqué par les événements dramatiques de la prise d’otages de membres de l’équipe israélienne par un commando palestinien.

Pourquoi le sport, c’est la vie

Ce coup de coeur télévisuel se prolonge sur les terrains :  » A 5 ans, je jouais tous les jours au football. A 8 ans, j’ai vu les Jeux olympiques d’hiver et, sous le charme de Jean-Claude Killy, je me suis pris de passion pour le ski. A 9 ans, je me suis inscrit dans un club de judo. A 12 ans, au lendemain de Munich, je me suis inscrit dans un club de natation et, pendant cinq ans, j’ai nagé chaque jour, pour me préparer aux compétitions. Puis, je me suis mis au squash et au tennis, avant de faire beaucoup de hockey. Vers 30 ans, j’ai découvert la montagne et je me suis lancé dans la randonnée et l’alpinisme avec mon épouse.  »

Ce sont, en somme, les saisons de la vie.  » La natation, le hockey et la randonnée ne sont pas arrivés par hasard, explique Pierre-Olivier Beckers. La natation est un sport très exigeant, très dur, il faut vouloir aligner les longueurs pour ne grappiller que quelques dixièmes de secondes. J’ai appris à mordre sur ma chique, à me dépasser. Mais c’est un sport assez solitaire alors que dans mes tripes, je suis un joueur d’équipe. Le hockey m’a apporté ce plaisir d’une discipline où on s’enrichit mutuellement par l’amitié et le respect, de l’autre comme de l’arbitre. C’est devenu, en outre, « le » sport familial puisque mon épouse jouait aussi, et mes trois garçons l’ont pratiqué, en faisant de belles carrières jusqu’en division d’honneur. « 

L’important, c’est le chemin…

Et la montagne ?  » Elle vous apprend énormément sur la vie. Pour atteindre le sommet, 90 % de la réussite, c’est le planning et la préparation – physique, mais aussi du matériel et de la route à suivre – sans oublier de préserver son souffle pour ne pas se brûler trop tôt… C’est une métaphore de la carrière professionnelle. Une autre chose que j’ai apprise, c’est que si c’est très bien d’arriver au sommet, ce n’est pas le plus difficile. Le plus ardu, c’est de bien redescendre. Si beaucoup de patrons ont un burnout en fin de carrière, c’est parce qu’ils ne parviennent pas à atterrir. En montagne, la plupart des accidents surviennent à la descente, pas à la montée. Et on ne reste au sommet qu’un court instant. L’important, c’est le chemin…  » Son épouse et lui multiplient les escapades dans les Alpes, ont grimpé le Kilimandjaro à 6 000 mètres et caressent de nombreux rêves.  » J’espère pouvoir les mener à bien quand j’aurai plus de temps…  »

L’olympisme et les valeurs qu’il véhicule ?  » Cela donne un supplément de force, d’enthousiasme, de passion et de partage « , s’exclame son patron belge. Après sa découverte des Jeux à 12 ans, Pierre-Olivier Beckers n’a plus quitté des yeux ces anneaux multicolores. Les images défilent.  » 1976, Montréal, c’est Ivo Van Damme. 1980, je suis étudiant et je m’intéresse au boycott de Moscou, mais c’est aussi la médaille d’or de Robert Van de Walle en judo, ce sport que j’avais pratiqué. 1984, ce sont les exploits de Carl Lewis, avec une incroyable recherche de l’excellence. En 1992, une image m’émeut aux larmes : aux 400 mètres, un athlète anglais, Derek Redmond, foudroyé par un claquage musculaire au départ, sautille sur une jambe et son père court sur la piste pour le soutenir et lui permettre de terminer son épreuve en cinq minutes, avec quarante mille personnes debout pour l’applaudir… Quel impact une telle image peut avoir pour les jeunes quant au respect de soi, de ses entraîneurs et de son pays ! 1996, à Atlanta, c’est Fred Deburghgraeve. J’étais dans le stade quand ce petit Belge a battu le record du monde du 100 mètres brasse. « 

- Mon exploit - Mark Spitz : sept médailles d'or aux JO de Munich
– Mon exploit – Mark Spitz : sept médailles d’or aux JO de Munich  » J’avais 12 ans en 1972, quand j’ai regardé les Jeux olympiques de Munich de A à Z. Le nageur américain Mark Spitz défiait les lois du possible en remportant sept médailles d’or. Je me suis mis à la natation. « © Guido Cegani/Getty images

Pourquoi je défends les valeurs olympiques

Pierre-Olivier Beckers rejoint, en 2002, le conseil d’administration du COIB en tant que représentant des sponsors, au nom de Delhaize, avant de devenir le patron exécutif du Comité, deux ans plus tard.  » Ce fut pourtant un hasard, confie-t-il. J’ai d’abord été appelé pour remplacer John Goossens, de Belgacom, malheureusement décédé d’un infarctus. François Darmon, le président de l’époque, a demandé s’il pouvait me voir, sans connaître ma passion. Je lui ai répondu que c’était un rêve. L’olympisme, c’est écrit dans la charte, est une philosophie de vie consistant à mettre le sport au service d’un monde meilleur. Je suis peut-être naïf, mais j’y crois – ce n’est pas pour rien que j’ai fait du scoutisme pendant onze ans… Le but des Jeux, c’est de faire vivre tous les athlètes ensemble dans un village en se respectant, quelles que soient leur nationalité ou leur religion.  » Et si les sports sont gangrenés par la tricherie, cela n’entache pas cet idéal, selon lui.  » Cela fait partie de toutes les compétitions depuis que l’humain est sur Terre. Les problèmes de dopage, de matchs truqués ou de corruption sont le reflet de la société. Il faut se battre contre ces fléaux.  »

Version belge, l’olympisme est, aussi, une façon de rapprocher les communautés du pays. L’émotion véhiculée par un athlète s’emparant du drapeau de la Team Belgium, pour Pierre-Olivier Beckers, c’est le summum. La Belgique, une valeur importante ?  » Evidemment. Le sport est le symbole de cette cohésion qui me semble fondamentale. Si on veut réussir quelque chose sur les plans sociaux et économiques, nous avons besoin de ça. Nous sommes un petit pays, qui s’est malheureusement divisé trop longtemps. A force de réduire la taille des équipes, on finit par ne plus réaliser grand-chose.  »

Lorsqu’il est élu à la présidence, Pierre-Olivier Beckers se fixe d’ailleurs une priorité : ramener aux Jeux au moins une équipe belge de sport collectif, ce qui n’avait pas été le cas depuis 1976.  » Ce n’est pas par hasard, déclare-t-il. C’est depuis grosso modo la même époque, le début des années 1980, que la Belgique s’est régionalisée et que le sport s’est communautarisé : il n’y avait plus aucune force collective pour coordonner la préparation d’un sport d’équipe. A partir de 2008, à Pékin, nous avons réussi à le faire avec le hockey et le football – c’est d’ailleurs l’ossature des Diables Rouges actuels. Les athlètes et les entraîneurs ont vu, du jour au lendemain, l’ambiance changer. Jusque-là, tous avaient tendance à rester dans la bulle de leur discipline. Désormais, il y a un vrai esprit d’équipe !  » Le retour des sports collectifs, enchaîne-t-il, n’est pas le fruit du hasard. C’est l’effet d’une stratégie amorcée, dans le hockey, avec l’ancien international Marc Caudron, élu à la tête de la Fédération et frustré par une élimination de son équipe des Jeux d’Athènes, à la dernière minute du dernier match. Ensemble, ils ont professionnalisé l’approche.  » Le hockey a enthousiasmé tous les autres sports en montrant que c’était possible. En basket, la ligue francophone ne parlait plus à la ligue flamande. Même chose en handball. Aujourd’hui, tous y croient. Même le rugby se met à espérer. « 

- Ma Médaille - L'argent pour les Red Lions aux JO de Rio
– Ma Médaille – L’argent pour les Red Lions aux JO de Rio  » En arrivant à la tête du Comité olympique belge, je me suis fixé l’objectif de faire revenir une équipe de sport collectif aux JO. Ce n’était plus arrivé depuis 1976. La médaille de l’équipe de hockey – mon sport familial ! – a montré aux autres que c’était possible. « © DIRK WAEM/belgaimage

Pourquoi il y a un parallèle entre entreprises et sports de haut niveau

A 58 ans, Pierre-Oliviers Beckers est un homme comblé et ambitieux.  » En devenant président du COIB, j’ai pu mettre en commun ma passion pour le sport, pour le management et ma passion des valeurs humaines, se réjouit-il. J’ai souvent dit à des collaborateurs combien je pense qu’il y a un parallélisme entre le fait de devenir un cadre de haut niveau et d’être un athlète de haut niveau. Il y a le même processus de préparation, de sacrifices, de travail en profondeur et dans les détails, tout en essayant d’arriver au top au bon moment. Une acquisition d’entreprise, il faut la préparer et être prêt au moment où la porte s’ouvre. De même, un athlète ne doit pas être prêt trois mois avant les Jeux…  »

Ce parallélisme entre sport et entreprise est très grand, insiste-t-il.  » Aujourd’hui, nous avons développé un partenariat avec la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) pour permettre précisément aux athlètes de haut niveau d’apporter une inspiration pour les entrepreneurs. Comment développer un projet ? Comment s’entourer ? Certains de nos athlètes sont devenus des ambassadeurs au sein des entreprises et racontent leur histoire aux cadres. Nous voulons contribuer à une Belgique qui gagne en augmentant le nombre d’athlètes dans le top 8 mondial. Certains, comme Nafissatou Thiam ou Pieter Timmers, sont désormais des médaillés pratiquement garantis.  » A Rio, en 2016, la Belgique avait décroché six médailles, dont deux d’or.  » Un million et demi de Belges ont regardé la finale du hockey, ce qui est exceptionnel pour un sport jusque-là assez confidentiel.  » Pour les Jeux de Tokyo, en 2020, Pierre-Olivier Beckers mise sur  » une dizaine de médailles « .

Cet engouement engendre des vocations bénéfiques pour tous les Belges, souligne-t-il.  » C’est un vrai moteur. Un pourcentage important de Belges s’inscrivent dans des clubs sportifs après ces exploits. Les membres de clubs de hockey ont explosé. Quand Jean-Michel Saive était champion du monde de tennis de table, les clubs se sont multipliés. Idem pour le tennis après les extraordinaires parcours de Justine Henin et Kim Clijsters. Nous sommes convaincus de l’importance de l’activité sportive sur la santé de chacun. Et c’est aussi un facteur économique important. Le coût des maladies cardio-vasculaires, en Belgique, c’est plus de quatre milliards d’euros par an ! Toutes les études montrent que l’absentéisme au travail est nettement moins important chez ceux qui font du sport. Dans les deux années qui ont suivi les JO de Londres, la Grande-Bretagne a obtenu une croissance de l’ordre d’un demi-pourcent du PIB, que l’on peut attribuer aux Jeux…  »

- Mon héros - Derek Redmond
– Mon héros – Derek Redmond  » Aux Jeux de 1992, cette image m’émeut aux larmes : aux 400 mètres, un athlète anglais, Derek Redmond, foudroyé par un claquage musculaire au départ, sautille sur une jambe et son père court sur la piste pour le soutenir et lui permettre de terminer son épreuve en cinq minutes, avec quarante mille personnes debout pour l’applaudir. « © PASCAL PAVANI/belgaimage

La Belgique peut-elle encore rêver d’une telle organisation ? Pierre-Olivier Beckers est sceptique :  » Il faut être lucide. Les Jeux sont une très grosse organisation qui demandent une constance de politique pendant sept ans. Or, on sait que c’est difficile en Belgique. Cela demande aussi la mise à niveau des infrastructures. Chez nous, ce serait très compliqué d’obtenir toutes les autorisations et l’accord de tous les partis politiques. Nous n’avons pas non plus de salle indoor apte à l’organisation d’un championnat de basket, par exemple. Pour oser rêver d’une grande compétition sportive, il faudrait un élan politique très fort et harmonisé. On en est loin…  »

A titre personnel, le patron du COIB, dont le mandat arrive à échéance en 2020, sait combien de telles ambitions nécessitent du temps et de l’énergie.  » J’ai organisé ma vie pour être disponible pour ma famille, mes amis – c’est indispensable… – et pour m’investir sur le plan professionnel. Après avoir été CEO de Delhaize, je suis aujourd’hui au Comité olympique international (CIO), président de Comité d’audit au CIO, président de la coordination des Jeux de Paris en 2024, sans oublier des conseils d’administration de sociétés cotées en Bourse et le coaching d’une dizaine de start-up, ce que je trouve fondamental pour le pays. Les valeurs du sport me donnent de l’énergie et de l’inspiration. Je veux tout faire à fond. Je ne suis pas fait pour une vie cool.  » Un compétiteur, un vrai…

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