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Quelle stratégie pour contrer la crise du coronavirus? Voici le crédo de 12 grands patrons

Le Vif

Douze leaders de leurs secteurs respectifs, piliers de l’économie belge, voire européenne. Quelles répercussions le coronavirus a-t-il eu sur leur entreprise ? Et comment se présente leur avenir industriel ? Voici leur credo.

Aéronautique: Bernard Delvaux CEO de la Sonaca: « Limiter le repli protectionniste »

 » Tout le secteur est en difficulté. Les avions sont cloués au sol et de nombreuses compagnies aériennes, dans l’incapacité d’honorer leurs commandes, se tournent vers les fournisseurs en leur demandant de ralentir la cadence. S’ajoutent les conséquences d’une chute des prix du carburant qui freine la demande pour de nouveaux appareils énergétiquement plus performants. Il est aussi probable que l’aide éventuelle du secteur public encourage une forme de repli protectionniste, chacun cherchant à soutenir son industrie. J’espère que ce sera limité et raisonnable.

La crise a fourni la preuve que le télétravail fonctionne, surtout accompagné d’outils adéquats. Mais tout faire par vidéoconférence est impossible. Une partie de nos activités continuera de se faire en face à face.

Pendant la crise, nous nous sommes rendus disponibles, par exemple en Wallonie, en prenant le lead sur des commandes de masques, en aidant à dessiner des pièces ou en utilisant nos machines pour découper des blouses médicales. Mais nous sommes pré- occupés par notre trésorerie. Nous sommes actuellement dans un tunnel, et la priorité est de trouver la lumière. La crise nous fera sans doute réfléchir sur des notions de stocks intermédiaires, mais je crois modérément à une remise en cause de la globalisation.  »

Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca
Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca© DR

Agroalimentaire: Arthus de Bousies Directeur général de la moutarderie Bister: « Renforcer l’ancrage local et développer le bio »

 » L’augmentation des ventes dans la grande distribution et les magasins bio n’ont compensé que partiellement l’arrêt du secteur de l’Horeca, dont on ne sait pas quand l’activité reviendra à la normale. Nous avons dû revoir notre organisation du travail pour adapter notre production, assurer la distanciation sociale et renforcer les mesures d’hygiène : gants, masques, désinfection quotidienne des locaux.

Le recours au télétravail pour les employés et aux vidéoconférences nous a permis de voir que cela fonctionnait très bien. On maintiendra en partie ces mesures après la crise. Elles n’ont pas nui à l’esprit d’équipe qui anime l’entreprise. L’engagement de nos travailleurs était très valorisant. Les plus créatifs se sont mis en évidence.

Stratégiquement, cette crise nous a renforcés dans nos priorités : diversifier notre clientèle, renforcer notre ancrage local et développer notre présence dans le bio. Nous allons tous pouvoir aider à la reconstruction de l’économie nationale en privilégiant les productions locales. Cela pourra aider des sociétés comme la nôtre à grandir, donc engager du personnel supplémentaire et payer nos charges et nos impôts en Belgique.  »

Arthus de Bousies, Directeur général de la moutarderie Bister
Arthus de Bousies, Directeur général de la moutarderie Bister© DR

Automobile: Denis Gorteman CEO de D’Ieteren Auto: « Adapter nos métiers à la nouvelle réalité »

 » En plus des défis liés à l’électrification, la connectivité et l’automatisation des véhicules, au déploiement de nouvelles solutions de mobilité – donc de nouveaux concurrents – ou à une fiscalité toujours moins favorable à la voiture, voilà une baisse brutale et structurelle de nos activités. Au manque à gagner des semaines confinées s’ajoutent les pertes de pouvoir d’achat et de confiance, des changements de comportements, notamment le télétravail, qui impliqueront des reports, voire des renonciations, à l’acquisition de voitures. Nos services après-vente en seront aussi impactés.

Nous allons réduire nos dépenses, prioriser les projets et adapter nos modes de fonctionnement pour organiser une reprise efficace de nos activités, garder une rentabilité saine de nos affaires et maintenir notre capacité à investir. Nous avons revu notre stratégie marketing pour l’adapter au niveau des activités et répondre aux attentes des clients en matière de digitalisation, avec priorité au développement des ventes en ligne. Nous analysons les évolutions du marché des véhicules d’occasion et des nouvelles opportunités de développement qu’il représente.

Nos collaborateurs se sont retroussé les manches pour transformer nos métiers actuels et les adapter aux défis d’un secteur en mutation et à la nouvelle réalité économique. Cette crise nous montre que nous devons au quotidien mettre tout en oeuvre pour renforcer la résilience de nos activités. La clé est la parfaite adéquation avec les attentes du client, dans le respect des besoins du monde qui nous entoure, en prenant en compte les intérêts sociaux et environnementaux au même titre que les intérêts économiques. Il en va de la durabilité des entreprises et de notre mode de vie.  »

Denis Gorteman, CEO de D'Ieteren Auto
Denis Gorteman, CEO de D’Ieteren Auto© DR

Bancassurance: Marc Raisière CEO de Belfius: « Nous préparer à des scénarios extrêmes »

 » C’est la troisième crise majeure ces dernières années, après la faillite du secteur bancaire et la crise de l’euro. Je crains que nous en subissions d’autres. Nous devons donc nous préparer encore davantage à des scénarios extrêmes. Ces crises confirment que le monde bancaire forme l’un des piliers stratégiques de nos sociétés et l’importance d’un système bancaire très bien capitalisé, donc solide, pour aider particuliers et entreprises à surmonter les moments difficiles. Avec l’une des meilleurs solvabilités d’Europe, Belfius a le capital et les liquidités pour soutenir ses clients et permettre à notre économie de traverser cette crise.

La crise a montré aussi l’importance de nos collaborateurs, dont le profond engagement envers les clients m’a beaucoup touché. Le fait que 95 % d’entre eux télétravaillent ne nous empêche pas de fonctionner de manière remarquable, grâce aussi à des outils digitaux performants. Nous renforcerons leur utilisation. On voit également que nos clients n’ont jamais autant sollicité nos agences. Cela renforce ma conviction qu’aucun robot ne pourra remplacer la relation personnelle entre le banquier et son client.

Quant à la reprise, je crois qu’elle sera progressive mais forte. Le secteur bancaire et les gouvernements régionaux et fédéral devront déployer un double arsenal : une politique de crédit volontariste et un soutien à la solvabilité des entreprises. Avec, pour ce qui nous concerne, un focus particulier sur les entreprises belgo- belges, dans leur ancrage et leur développement. Car la crise a montré la nécessité de « rebelgiciser » des pans entiers de notre économie. Nous en discuterons bientôt.  »

Marc Raisière, CEO de Belfius
Marc Raisière, CEO de Belfius© DR

Chimie: Ilham Kadri CEO de Solvay: « Créer des liens pour réinventer le progrès »

 » Notre raison d’être s’est révélée plus d’actualité que jamais : créer des liens entre les gens, les idées et les éléments pour réinventer le progrès. La quasi- totalité de nos unités de production est restée en activité car nos solutions sont nécessaires dans la vie de tous les jours, et nous nous réinventons en produisant, pour la première fois de notre histoire, gels désinfectants, masques de protections réutilisables (avec Boeing), lubrifiants pour les respirateurs.

Comme beaucoup, nous devons adapter notre façon de travailler pour assurer la santé et la sécurité de nos employés. Nous avons été parmi les premiers à leur demander de télétravailler quand c’est possible. Actuellement, ils sont plus de 10 000 à le faire. La crise nous pousse aussi à utiliser de manière plus systématique les technologies numériques.

Les mégatendances qui sous-tendent notre stratégie seront renforcées après la crise : la lutte contre le changement climatique, la santé, la gestion plus efficace des ressources, l’électrification et la digitalisation. Le monde a besoin de nos solutions au quotidien, pendant et après cette crise. Nous continuerons donc à contribuer à l’économie post-coronavirus. C’est d’ailleurs ce qui donne du sens à mon travail.  »

Ilham Kadri, CEO de Solvay
Ilham Kadri, CEO de Solvay© DR

Cosmétiques: Philippe d’Ornano Président de Sisley: « Promouvoir un capitalisme de long terme, bâtisseur »

 » L’économie est le sous-jacent du soutien aux plus pauvres, de l’aide sociale, de la politique de santé, d’une société qui avance. Nous avons mis en place les mesures de protection recommandées, garanti les salaires des équipes, payé nos factures avec ponctualité, maintenu nos sites ouverts.

Si une entreprise comme la nôtre ferme ses sites, tous les fournisseurs se retrouvent en di?culté. Beaucoup de moyennes entreprise familiales ont cette même attitude. Elle sont représentées en France par le Meti (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire), que je copréside et qui veut préserver nos savoir-faire industriels sur nos territoires. Ça ne remet pas en cause la mondialisation ni le partage des tâches, mais il faudra ne pas rendre impossible, par une fiscalité disproportionnée, notamment sur la production, le maintien d’une activité industrielle, de création et d’innovation dans les pays européens. Il faut promouvoir un capitalisme de long terme, bâtisseur.

Si l’Europe veut être forte, elle doit déve- lopper plus d’entreprises moyennes et grandes, comme la nôtre, capables de faire face aux crises, de se développer à l’international et d’investir. Mes clients qui ont subi le capitalisme financier, victimes de rachats ?nancés par l’endettement par exemple, sont ceux qui ont le plus de di?cultés aujourd’hui.  »

Philippe d'Ornano, Président de Sisley
Philippe d’Ornano, Président de Sisley© OLEG COVIAN

Énergie: Grégoire Dallemagne CEO de Luminus: « Investir pour la neutralité carbone »

 » Nous avons produit et fourni l’énergie vitale aux services médicaux, aux ménages et maintenu la relation avec les clients. La digitalisation du travail a fait un bond dont il faudra tirer tous les avantages en matière d’organisation professionnelle et privée, de santé et de répercussions sur le trafic et l’environnement.

Le secteur fait aussi face à de sérieux défis. La consommation d’énergie a diminué de 15 % et les prix ont chuté, alors que la fourniture d’énergie était déjà soumise à de très faibles marges. De plus, en Belgique, les fournisseurs supportent les impayés sur la totalité de la facture, y compris les frais de réseaux, taxes et redevances. Ces défis vont peser lourdement sur les finances de notre entreprise et sur le secteur en général.

La mise à l’arrêt de l’économie a amélioré la qualité de l’air, réduit la pollution atmosphérique de 58 % en Europe et fait baisser les émissions de CO2. Nous prévoyons de continuer à investir massivement en Belgique pour construire un avenir énergétique neutre en CO2, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement économique. Nous aiderons nos clients à réduire leur consommation, leur facture énergétique et leurs émissions grâce à des solutions innovantes et aux énergies renouvelables.  »

Grégoire Dallemagne, CEO de Luminus
Grégoire Dallemagne, CEO de Luminus© DR

Grande distribution: Xavier Piesvaux CEO de Delhaize: « Etre au centre d’un monde plus vivable »

 » Plus que la crise financière de 2008, celle-ci va redéfinir notre manière de vivre. Comme individu, comme consommateur, comme citoyen… Et comme collaborateur de nos entreprises, dans notre rôle fondamental d’acteur économique et sociétal. C’est un énorme apprentissage.

Nos entreprises seront au centre des efforts pour un monde plus vivable. Dans nos organisations, où les gestes barrières deviendront la norme, dans les relations au travail, où le télé- travail éliminera les distances entre nos équipes, dans les relations avec nos clients, où le digital sera fondamental, et dans notre rapport avec l’environnement dont la protection sera revalorisée. Chez Delhaize, nous continuerons à promouvoir une alimentation équilibrée et de qualité, accessible à tous, tout en nous engageant en matière de durabilité.

N’oublions pas le rôle social de nos magasins : dans un monde où les gestes barrières devraient perdurer, où l’automatisation et le virtuel vont s’accélérer, favoriser le contact humain par le service et la sociabilité de nos équipes fera partie de notre à l’égard des communautés de clients.  »

Xavier Piesvaux, CEO de Delhaize
Xavier Piesvaux, CEO de Delhaize© DR

Loisirs: Jean-Christophe Parent Directeur général de Walibi Belgium: « Jouer un rôle plus social qu’économique »

 » La crise va tout changer. Il va falloir respecter les normes édictées par les autorités, et les processus sanitaires vont être modifiés dans les parcs. Les modes d’achat et les comportements aussi vont évoluer. Il faudra certainement réserver sa visite et on ne pourra plus venir dans les parcs de loisirs en grands groupes.

Nous avons déjà perdu 10 à 15 % de notre chiffre d’affaires et il nous en resterait 60 % à réaliser en juillet-août dans des conditions normales – ce qui ne sera a priori pas le cas. Mais les investissements se poursuivent et nous sommes toujours focalisés sur la construction d’une nouvelle zone pour 2021. Cette année, le personnel sera engagé en fonction de la fréquentation qui sera autorisée au sein des parcs mais on ne sait pas si nous pourrons recruter les saisonniers et étudiants comme d’habitude, leur vie étant aussi perturbée par la crise.

Pour ce qui est de l’avenir, je vois le secteur des loisirs jouer un rôle plus social qu’économique après cette crise. Les psychologues soulignent que pas mal de personnes ont perdu leurs repères, éprouvent des difficultés, sont angoissées. Je pense que nous pourrons apporter un peu de baume au coeur, d’enthousiasme et de sourire.  »

Jean-Christophe Parent, Directeur général de Walibi Belgium
Jean-Christophe Parent, Directeur général de Walibi Belgium© DR

Télécoms: John Porter CEO de Telenet: « Jouer un rôle essentiel dans la reprise »

 » Cette crise nous force à réfléchir à de nouvelles manières de travailler depuis le domicile, mais aussi au bureau. L’utilisation des technologies nous a amenés à redéfinir comment et où nous travaillons ensemble.

Nous avons aussi repensé la façon d’utiliser ces technologies pour inter- agir avec nos clients. Les relations avec nos prospects se font déjà en vidéo- conférences. Nous allons continuer, en utilisant aussi la réalité augmentée et les réseaux sociaux. Nos équipes, qui communiquaient avec les patrons de petites entreprises et de commerces en face à face, disposent de petites vidéos permettant de faire la démonstration des services que nous offrons et que ces entrepreneurs pourront utiliser pour reprendre leurs activités.

Je pense que l’industrie des télécommunications va jouer un rôle primordial dans la revitalisation de l’économie. Avant tout, elle devra s’assurer que le réseau fonctionne pour chacun. Telenet est partie prenante de la task force « Data and technology against Corona ». Notre système d’analyse de datas sera très utile au gouvernement qui pourra gérer la vitesse du retour à la normale, en termes de vie quotidienne et de déplacements.  »

John Porter, CEO de Telenet
John Porter, CEO de Telenet© DR

Tourisme: Eric Georges Directeur général de Club Med Benelux: « Intégrer sécurité, hygiène et environnement comme normes »

 » Notre chance est d’être assez costauds. Mais il est difficile d’avoir une vision à long terme. Le télétravail m’a permis de faire encore plus confiance à mes équipes. Sur le plan opérationnel, un village ouvert en Chine nous sert de modèle pour tester les nouveaux standards que nous avons définis. Nous espérons pouvoir en ouvrir un en France dès juin, pour préparer la réouverture progressive des autres.

Dans une première phase de déconfinement, nous prévoyons des vacances de proximité. Pour nous, acteur global implanté dans le monde entier, cela signifie une reprise locale. Les Japonais au Japon, les Brésiliens au Brésil et les Belges en Europe. Sans doute allons-nous d’abord ouvrir nos villages de montagne cet été dans les Alpes. Ils sont propices à la reconnexion avec la nature, les grands espaces, soi-même et nos proches. Nous ne devrions pas renouer avec les voyages internationaux avant la fin de l’année.

Les tendances profondes qui devraient se renforcer, nous les avions déjà ébauchées : qualité, dans des lieux exceptionnels, en toute liberté et dans le respect de l’environnement. Nos nouveaux sites privilégient d’ailleurs les espaces plus réduits, zen, familiaux. Même si la crise va faire très mal au secteur, il sera un acteur de la reprise : les gens auront besoin de retrouver leur liberté et une part d’insouciance – comme il y a 70 ans, à la fondation du Club Med par le Belge Gérard Blitz, après la guerre. Mais elles se vivront en intégrant la sécurité, l’hygiène et le respect de l’environnement dans les comportements. Cela deviendra la nouvelle normalité.  »

Par Philippe Berkenbaum, Cédric Boitte, Cilou De Bruyn, Caroline Dunski, Clément Jadot et Marie-Eve Rebts.

Eric Georges, Directeur général de Club Med Benelux
Eric Georges, Directeur général de Club Med Benelux© DR

Transport aérien: Arnaud Feist CEO de Brussels Airport: « Muer en plateforme logistique européenne »

 » Le secteur a été le premier touché et sera un des derniers à retrouver la normale. Les comportements des passagers pourraient se modifier, les voyages d’agrément diminuant d’abord au profit des déplacements professionnels et des visites de famille et d’amis à l’étranger. Le taux d’occupation des avions risque de diminuer, pour cadrer avec les mesures sanitaires qui accompagneront la relance du trafic passagers.

Pour nous, l’impact concernera principalement l’organisation des flux de personnes et de marchandises. La digitalisation des procédures devrait encore s’accroître et la transformation de notre business model s’accélérer : d’une infrastructure aéroportuaire, Brussels Airport poursuit sa mutation en un centre d’affaires et une plateforme logistique européens, reliés à un hub intercontinental et intermodal.

Nous devrions jouer un rôle essentiel dans la reconstruction de notre économie en permettant à nos entreprises de reprendre le commerce et les échanges avec l’étranger mais aussi au niveau du cargo, avec l’importation de biens et l’exportation de produits belges vers le reste du monde. « 

Par

Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport
Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport© DR

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