Caroline Pauwels © .

« Quand la science domine trop la société, je me sens oppressée »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

« On sent partout que notre société est tendue », déclare Caroline Pauwels, alors qu’elle entame son deuxième mandat comme rectrice de la VUB. Comme le philosophe français André Comte-Sponville, elle trouve qu’il faut cesser de semer continuellement l’angoisse dans la société. « La fugacité fait partie de la vie. »

Il y a un an, Caroline Pauwels évoquait le cancer qui la frappe – et comment elle ne lutte pas contre la maladie, mais pour la vie. « Je suis toujours en traitement. Toutes les deux semaines, je dois me rendre à l’hôpital. La maladie n’a pas disparu, et elle n’est pas stabilisée non plus. »

Avez-vous une chance de guérir ?

Cette chance est faible. Pourtant, je continue passionnément à vivre, car pour affronter cette crise, je – ou notre société – n’a pas besoin de la peur. Hier, je lisais encore quelques textes de Jozef Deleu, un ami proche. Il écrit qu’il faut du courage pour espérer, plus que pour désespérer.

Et qu’est-ce que cela signifie pour cette crise de coronavirus ?

Qu’il y a trop de récits négatifs dans les médias, tels que les répétitions continuelles des chiffres de contamination ou les histoires d’horreur des maisons de repos. Il y a aussi des histoires positives à raconter. Elles donnent de l’espoir, mais il faut du courage pour les relayer. Je sens qu’aujourd’hui la communauté universitaire est fatiguée, y compris par le manque de perspective, mais n’oublions pas toutes les belles choses qui ont eu lieu ici. Comme nos étudiants en médecine qui aidaient en soins intensifs durant le confinement, ou comme nos professeurs et étudiants sont passés au numérique en un clin d’oeil.

La foi en la science est-elle en train de s’émietter ?

Au début de la crise du coronavirus, tout le monde écoutait les virologues, mais la confiance s’est émiettée. La science doit connaître sa place. Elle est au service de la société. Mieux vaut chercher un équilibre entre la science et la politique. Quand la science domine trop, je me sens oppressée.

Vous plaidez pour la proportionnalité ?

Et pour la clémence. La clémence, c’est mieux que la polarisation. À moment donné, nous devrons retrouver un juste milieu pour trouver un compromis et progresser, car l’extrémisme mène à l’immobilité.

Vous n’êtes pas favorable à une université purement numérique, telle qu’ils vont l’instaurer à Cambridge ?

Cambridge est un tout autre modèle. Là-bas, ils ne travaillent jamais avec de grands groupes d’étudiants. Notre Jeune Académie, qui unit jeunes professeurs et chargés de cours, plaidait pour un campus numérique. C’est une position valable, mais en tant qu’université nous estimons qu’il faut garder le contact physique. Celui-ci fait partie du bien-être des gens.

Vous optez donc pour une combinaison des deux: ledit blended model.

Nous ne savons pas encore exactement à quoi ressemblera notre futur projet pédagogique, mais avant le coronavirus, nous travaillions déjà sur le projet weKONEKT.brussels ou le community learning. Cela signifie que la VUB s’évade de son campus, et entre dans la ville de Bruxelles pour y dispenser un enseignement physique. Je continue à y croire. Cette année académique, les étudiants en sciences économiques et sociales suivront cours dans un nouvel endroit au coeur du quartier européen, mais aussi à l’AB, au Bozar, à Flagey, et au Parlement flamand. Je trouve qu’être une université bruxelloise constitue une valeur ajoutée. Nous avons un caractère urbain et une population diverse. Certains voient ça comme un handicap, je le vois comme une opportunité d’accélérer la diffusion des connaissances.

Reviendra-t-on un jour à l’avant corona ?

Non, et soyons contents. Je ne veux pas retourner aux cours en auditoire à mille étudiants. Je préfère une interaction respectueuse et pédagogique entre chargé de cours et étudiants. C’est possible en numérique, mais pas sans contact physique.

Vous trouvez que l’université doit s’engager davantage.

Une université ne peut être une tour d’ivoire. C’est pourquoi nous misons très fort sur les Objectifs de développement durable (NDLR : les objectifs établis par les États membres des Nations unies pour 2030). C’est notre nouveau positionnement stratégique. C’est pourquoi nous ouvrons l’année académique à six endroits différents qui symbolisent les six facettes de notre engagement : People, Peace, Planet, Prosperity, Partnerships et Poincaré, le thinktank de la VUB, qui stimule la recherche libre, et la pensée critique. Ces six facettes guident à la fois nos recherches fondamentales et appliquées et notre enseignement.

Ces six P ressemblent à une astuce marketing.

C’est une manière de mettre tout le monde sur la même longueur d’onde. Prenez par exemple People et diversité : dire qu’il y a beaucoup plus de racisme et de discrimination dans notre société que ce que pensent la plupart des gens est très important en soi. Ce n’est qu’alors qu’on peut s’attaquer au problème.

Comment allez-vous vous y prendre ?

Mon premier rectorat mettait l’accent sur le genre, mais c’est trop restrictif. La diversité est plus large. Le professeur Jean Paul Van Bendegem a raison quand il signale le problème de discrimination liée à l’âge. Et durant le confinement, nous nous sommes rendu compte à la VUB que notre connexion avec les étudiants allochtones était beaucoup trop faible. Nous avons également perdu beaucoup d’étudiants plus défavorisés, parce que nous ne pouvions plus les atteindre. Nous ne savons même pas combien.

Comment allez-vous y remédier?

Nous allons notamment mettre en place un fonds d’urgence pour les aider financièrement. Beaucoup d’entre eux travaillent et ont perdu leur job suite à la crise du coronavirus, ce qui fait qu’ils ont du mal à rembourser leurs prêts étudiants.

Dans notre pays, on déboulonne les statues de Léopold II. À l’université d’Édimbourg en Écosse, on veut retirer les statues du philosophe controversé David Hume. N’est-ce pas plus facile de condamner des vestiges racistes du passé plutôt que de lutter contre l’intolérance d’aujourd’hui ?

Je comprends qu’il y ait une génération de jeunes allochtones qui en ait assez. Nous devons peut-être tirer des enseignements de la lutte pour plus de droits des femmes. Vous savez que je suis favorable aux quotas. Ils ont certainement aidé.

Mais après tant d’années de lutte, les femmes sont toujours sous-représentées, y compris aux universités. Si les étudiants allochtones doivent attendre aussi longtemps…

Je crains que nous n’ayons pas ce temps, ni d’ailleurs pour s’en prendre à la crise climatique. C’est pourquoi nous devons nous mouiller maintenant.

Au sujet de l’affaire Reuzegom (NDLT : le nom d’un club d’étudiants de la KuLeuven où un étudiant a trouvé la mort lors de son baptême), croyez-vous qu’il y a en Flandre une élite qui pense pouvoir se permettre plus que les autres?

(sèchement) Il y a certainement des gens qui se sentent mieux que les autres, mais je ne les qualifierais pas d’élite. Soyons tous un peu plus humains, comme le demande notre présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Le cynisme est trop présent dans notre société. L’humanité et la clémence n’empêchent pas l’excellence.

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