Pascal Delwit

PS et Ecolo au prisme de la Vivaldi (carte blanche)

Pascal Delwit Professeur de science politique à l’Université libre de Bruxelles (ULB)

PS et Ecolo marqueront de leur emprunte cette législature. Pour les vert, la fermeture des centrales nucléaires en 2025 et le dossier des nuisances sonores aériennes seront des étalons. Pour le parti socialiste, l’enjeu est presque existentiel. Analyse du politologue Pascal Delwit.

PS et Ecolo au prisme de la Vivaldi (carte blanche)

Nous sommes le lundi 27 mai 2019 dans un studio. Il est très tôt. Les invités commentent les résultats de la veille. D’aucuns dissertent sur la fable d’une Wallonie toujours plus à gauche et d’une Flandre toujours plus à droite. A mes côtés, Jean-Marc Nollet vient d’arriver.

Ecolo n’a pas fait le résultat qu’il escomptait en Wallonie, mais le bond est néanmoins important par rapport à 2014. A Bruxelles, les verts terminent mêmes premiers au scrutin législatif, ce qui leur permet de décrocher un quatrième siège au détriment du PS. Nous devisons et Nollet calcule. Il me montre un papier. Accompagné d’une mimique qui signifie l’évidence même, il y est inscrit : « Gouvernement : PS-sp.a, MR-VLD, Ecolo-Groen et CD&V ». Je lui dis que ce ne sera pas simple à convaincre le CD&V et les libéraux flamands. Nous en restons là. La publicité est terminée.

Le PS, morose

Chez les responsables socialistes, l’ambiance est autrement morose. Le PS vient d’enregistrer la pire performance de son histoire. Ses deux concurrents électoraux, le PTB et Ecolo, ont fortement progressé. Tout juste, le parti a-t-il sauvé la mise à Bruxelles où, au scrutin régional, il devance Ecolo lui permettant d’avoir la main dans l’élaboration du pacte de majorité et de conserver la ministre-présidence. En coulisse, les récriminations à l’égard de la campagne battent leur plein. Mais, ce qui préoccupe le plus les édiles du PS est une promesse et un propos clairs : le caractère mutuellement exclusif entre la présence de la N-VA et du parti socialiste au gouvernement fédéral. « Le prochain gouvernement fédéral, ce sera avec la N-VA sans le PS, ou avec le PS sans la N-VA. » a clamé le président Elio Di Rupo. Les responsables socialistes présents ont bien noté que la N-VA est contournable, que la présence du CD&V n’est pas même absolument indispensable, mais ils anticipent que « vendre » cela dans l’espace politique et médiatique flamand sera hautement complexe. « Si nous avions anticipé ce résultat, jamais nous n’aurions fait d’exclusive sur la N-VA » confie une très haute éminence socialiste quelques jours plus tard. Après avoir dénoncé pendant quatre ans le « mensonge » de Charles Michel qui avait aussi annoncé qu’il ne gouvernerait pas avec la N-VA, le PS apparaît en posture délicate.

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A l’aune de ce schéma initial, les jalons du PS et d’Ecolo dans le processus pour dénouer la crise diffèrent. Pour l’essentiel, les verts francophones conserveront leur posture : ils se déclareront prêts à prendre leurs responsabilités dans un exécutif sans la présence de la N-VA. Ce positionnement sera d’autant plus simple à tenir que, dans l’imaginaire de l’entourage du roi et des principaux responsables de partis flamands, les verts n’entraient pas en considération pour former une majorité. Ecolo a eu la cohérence pour lui, facilitée par l’idée qui voulait qu’in fine N-VA et PS gouverneraient de conserve.

Mouvements spectaculaires

Pour le PS, peu aura été épargné à ses membres et à ses cadres. Paul Magnette et ses dirigeants ont tantôt rappelé l’exclusive à l’endroit de la N-VA, tantôt signalé… qu’il n’y en avait pas ; tantôt annoncé le caractère indispensable de la présence des verts, tantôt oeuvré pour d’autres formules. Et dans la séquence contemporaine, les mouvements ont été spectaculaires. En juin, c’est la « tripartite traditionnelle ou les élections« . Fin juillet, une « réforme de l’Etat s’impose » et les discussions vont bon train avec la N-VA, avant de bifurquer vers la Vivaldi. Certes, la situation était très complexe mais difficile d’isoler la cohérence dans le cheminement du PS.

Comme attendu, l’accord de majorité est très général et en dit plus par ce qui n’y est pas que par son contenu. De nombreux points devront être débattus et éclaircis en cours de législature. Surtout, l’articulation entre les annonces et la confection des budgets est très attendue. Il échappe à peu d’observateurs que cet agencement sera très compliqué à mettre en oeuvre, a fortiori en période de récession. C’est à l’épreuve des politiques publiques que l’on pourra porter une appréciation.

Une répartition socialiste qui étonne

Vu sous l’angle du parti socialiste, l’attribution des postes et les personnes choisies ont étonné. Assez logiquement, Paul Magnette n’a pas décroché le « 16 ». Il n’y avait pour ainsi dire aucune chance qu’il puisse échoir à une personnalité francophone en l’absence des premier et deuxième partis néerlandophones. En revanche, la faiblesse des compétences attribuées aux ministres socialistes frappe. Le PS n’enlève aucun grand poste régalien – Affaires étrangères, Justice et Intérieur – et aucun poste à dimension internationale, notamment en relation avec l’Union européenne – Premier ministre et Affaires étrangères. Avec la présence de Charles Michel comme Président du Conseil européen et de Didier Reynders à la Commission européenne, ce secteur est entièrement trusté par les libéraux. Le PS n’a pas davantage obtenu de postes d’arbitrage en matières d’argent – Budget et Finances – et il ne décroche pas le principal ministère en matière sociale – Santé et Affaires sociales. Avec sept sièges de moins que le PS, l’OpenVLD enlève le « 16 », la Justice et le Budget !

La capacité d’action à la Défense est mineure. Elle n’est pas exceptionnelle à l’Economie, même s’il est possible de faire de la communication sur les droits des consommateurs. Au ministère du Travail, il y aura un enjeu sur l’interprétation de la loi de 1996, notamment via des circulaires. Aux pensions et à l’intégration sociale, il y aura des enjeux importants, mais le PS se verra rappeler en permanence qu’il avait promis de ne pas monter dans un gouvernement sans ramener l’âge légal de la pension à 65 ans. De façon inattendue, le président du PS a affirmé qu’il s’agissait d’un « mauvais combat de campagne électorale », d’un mauvais « symbole » alors même qu’Elio Di Rupo en avait fait un point nodal, Paul Magnette lui-même aussi et qu’il s’agissait d’un des 170 engagements du PS [1].

Par ailleurs, l’augmentation de la pension minimale sera un combat politique et budgétaire difficile, dont l’avant-formation du gouvernement a déjà donné les contours. La lutte ne sera pas moindre dans le cadre du « plan de Relance » entre entités fédérées et entité fédérale, et entres interlocuteurs politiques pour chacun avoir sa part du gâteau.

Enfin, la présidence de la Chambre est un poste sans grand enjeu. Il est donc loin le temps où, durant la législature 2011-2014, le PS pouvait concomitamment décrocher le « 16 », les Affaires sociales et la Santé, les Entreprises publiques et la Coopération au développement, en sus de la présidence de la Chambre.

Le casting ministériel socialiste a surpris sans surprendre. Traditionnellement, le choix des ministres est adossé aux territoires de provenance et aux rapports à la concurrence politique [2]. Les ministres sont régulièrement des personnalités fortes. Le choix de l’équipe ministérielle du PS échappe largement à cette configuration.

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Ludivine Dedonder est inconnue dans l’espace francophone. Compagne du bourgmestre de Tournai, elle contournait l’esprit de l’article L1125-3 du code de la démocratie locale et de la décentralisation, en siégeant comme échevine dans le collège des bourgmestre et échevins. C’est pour sortir de cette situation malsaine qu’elle fut promue candidate aux élections fédérales.

Originaire de la petite fédération de Dinant-Philippeville, Pierre-Yves Dermagne est aujourd’hui le plus proche allié de Paul Magnette au PS. Régionaliste wallon assumé, il quitte le gouvernement… wallon, où il avait en charge les pouvoirs locaux et le logement, pour rejoindre le niveau fédéral. N’ayant jamais siégé à la Chambre, il est propulsé Vice-Premier ministre et ministre de l’Economie.

Bruxelloise, Karine Lalieux est indubitablement un grand format. Députée fédérale pendant vingt ans, très respectée pour sa connaissance des dossiers, elle fut souvent annoncée ministre mais bloquée par la concurrence de Laurette Onkelinx et la promotion de la diversité. Ayant fait le deuil d’une carrière ministérielle, elle s’était recentrée sur la présidence de l’important CPAS de la ville de Bruxelles. Lors de l’élection à la présidence de la fédération bruxelloise à l’été 2019, elle avait rejoint Rachid Madrane, malheureux challenger d’Ahmed Laaouej.

Thomas Dermine a un parcours très différent. Diplômé Ingénieur commercial et de Science politique de l’ULB, il a été consultant chez McKinsey avant d’être chargé, dans le cadre du plan Catch, du redéploiement à Charleroi après la fermeture de l’entreprise Caterpillar. Quatre ans plus tard, le bilan est maigre. Qu’importe, son ascension est fulgurante. Et lorsque que Paul Magnette accéda à la présidence, il intronisa Thomas Dermine Directeur de l’Institut Emile Vandervelde. Cette promotion a provoqué des remous. Dermine s’était déclaré « centriste », « libéral en économie » et avait jugé que le « clivage gauche/droite était dépassé« . Membre de think thank ou fondations plutôt éloignés des horizons de la gauche [3], managérial dans son approche, très loin du profil d’une reconquête de l’électorat populaire ou des classes moyennes salariées, Thomas Dermine n’était pas membre du PS. Il évoqua lui-même un nouveau défi progressiste. Qui plus est, il était propulsé à d’importantes fonctions en parallèle : Vice-Président du Conseil d’administration de la RTBF ou encore membre du Conseil d’administration de Brussels South Charleroi Airport.

La nomination d’Eliane Tillieux, ancienne ministre régionale wallonne, à la présidence de la Chambre a décontenancé. Eliane Tillieux n’avait dû sa présence sur la liste fédérale à Namur qu’à un arbitrage d’Elio Di Rupo. En dure lutte avec Jean-Charles Luperto pour la tête de liste à la région, elle avait dû concéder cette place au bourgmestre de Sambreville. N’ayant jamais siégé auparavant à la Chambre, cette nomination a d’autant plus étonné que Tillieux avait mené le PS au plus bas dans la ville de Namur aux communales et dans la province aux fédérales, sans compter la promotion parallèle de Dermagne.

Au PS, les absents en disent long

Au final, ce casting en dit sans doute plus par les absences que par les promus : absence d’Ahmed Laaouej, chef de groupe à la Chambre, parlementaire fédéral le plus expérimenté et au fait des dossiers, absence de ministre issu de la fédération liégeoise, absence de jeune prometteur, et donc, aucun ministre susceptible de donner le change aux deux principaux concurrents du PS d’un point de vue électoral, Ecolo et le PTB.

Pour remplacer Pierre-Yves Dermagne, Paul Magnette a opté pour Christophe Collignon, le fils de l’ancien ministre-président de la Région wallonne Robert Collignon. Christophe Collignon n’avait pas su hériter de la ville d’Amay, où Jean-Michel Javaux (Ecolo) tailla les croupières au PS. Il s’était rabattu sur Huy, au prix d’un marchandage peu glorieux avec le bourgmestre socialiste sortant Alexis Housiaux. Il attendait son héritage dans une carrière ministérielle. Ce fut très long à son goût, mais c’est désormais chose faite.

Casting plus attendu chez Ecolo

Le casting d’Ecolo est plus attendu. Député fédéral de la province de Namur depuis 2007, Georges Gilkinet est un parlementaire reconnu dans ses dossiers et a accompagné le duo de co-présidents dans la négociation. Il devra faire la différenceverte à la Mobilité, un portefeuille complexe. En situation délicate depuis le refus de la nommer à la Cour constitutionnelle, Zakia Khattabi a néanmoins été promue ministre. Sénatrice puis députée fédérale, Khattabi avait coprésidé aux destinées d’Ecolo entre 2015 et 2019. Bruxelloise issue de la diversité, au fait de ses dossiers, sa présence est logique en l’absence de claire alternative à Bruxelles. Elle aura néanmoins la tâche très difficile de personnifier les avancées en matière d’environnement au plan fédéral sans en avoir vraiment les moyens. Le dossier des Centrales nucléaires ressortit au ministère occupé par Tine Vanderstraeten. Et l’essentiel du Green Deal européen pourrait lui échapper. Enfin, Sarah Schlitz est l’étoile montante du parti à Liège, où comme le PS, Ecolo doit faire face à la forte progression du PTB. Petite fille d’Henri Schlitz, l’ancien bourgmestre socialiste de la cité, Sarah Schlitz était devenue députée suite à la démission forcée de Muriel Gerkens, après avoir fait acte de candidature au Conseil provincial. Dans ce casting, il n’y a pas de hennuyers. Mais Jean-Marc Nollet est co-président du parti et Bénédicte Linard est Vice-Présidente du gouvernement de la Communauté française.

Dans la configuration que nous avons esquissée, Ecolo et PS devront marquer de leur empreinte le gouvernement dans la négociation de l’accord de gouvernement pendant la législature. Ce n’est pas gagné mais certains dossiers leur en laissent l’opportunité. Pour les vert, la fermeture des centrales nucléaires en 2025 et le dossier des nuisances sonores aériennes seront des étalons. Pour le parti socialiste, l’enjeu est presque existentiel. A bout de souffle, délité organisationnellement, obligé de faire appel à des consultants pour relancer et imaginer un projet pour la Wallonie, le PS apparaît comme un parti défait, incapable de rencontrer les défis qui se posent à lui. Le premier sondage d’intentions de vote postérieur à la formation du gouvernement lui a par ailleurs rappelé qu’il ne devait compter sur aucune lune de miel avec le lancement du gouvernement fédéral .

[1] Engagement 150. In Pari socialiste, 170 engagements pour un futur idéal, 2018, p. 142.

[2] Pascal Delwit, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 2012.

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[3] Thomas Dermine est notamment David Rockefeller Fellow de la Trilateral Commission (2019-2022)..

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