Me Jean-Philippe Mayence. © Belga

Procès Wesphael : « il n’y a qu’une issue, l’acquittement »

Une joute longue, touffue, excitée : Me Mayence a lutté pendant six heures à la barre de la défense. Son client doit être acquitté, car la mort de Véronique Pirotton est due à une intoxication accidentelle. Trop d’alcool, trop de médicaments.

La plaidoirie de Me Tom Bauwens, du barreau de Bruxelles, a été le double inversé de celle de son jeune confrère de Liège, Me Diego Smessaert, à deux chiffres près. Treize pièces de puzzle, avant-hier, pour donner l’image globale de l’affaire, forcément accablante pour l’accusé, Bernard Wesphael. Hier, onze éléments destinés à graver dans l’esprit des jurés la contre-offensive de la défense après les divers « scénarios » avancés par les parties civiles et l’avocat général. Véronique Pirotton aurait été traînée de la chambre à la salle de bain, mais on n’a retrouvé aucune trace du tapis plain sur son corps (1). Pas de trace sur son visage de son contact avec l’armoire où elle a laissé du fond de teint à 20 cm du sol (2). Si agression et défense il y a eu, Bernard Wesphael, à part une gratte au poignet, est indemne (3). Pas de fibres appartenant à Wesphael sur la victime (4). Pas de traces d’objets brisés sur la prétendue scène de la bagarre (5). Difficile de se blesser à la tête en se débattant dans un lit (6). Ce n’était pas un « pull », mais un top vert qui a été retrouvé sous la couette (7). Une annexe du rapport de l’Institut national de criminologie et de criminalistique (INCC) sur les fibres, non versée au dossier, minore ses conclusions (8). Aucune fibre retrouvée sur le sachet en plastique retrouvé sur le visage de Véronique Pirotton (9). La ligne du temps établie par les policiers ressemble à une « courbe du circuit de Spa-Francorchamps (10). Les occupants de la chambre 604 ont entendu la police, mais pas la prétendue bagarre de la chambre 602 (11). Me Bauwens aurait bien continué sur sa lancée (12, 13, 14…). Mais il doit évoquer « son » dossier, le 8e carton qu’il désigne d’un geste ample derrière la cour et qui concerne la détention préventive de l’accusé.

La veille, l’avocat général avait dit qu’il n’y avait pas d’ « affaire Wesphael » mais un « banal meurtre passionnel ». Me Bauwens est allé plaider régulièrement en Flandre : « La défense n’a jamais changé de position. Ce n’est pas le cas du ministère public, qui a fini par renoncer à la préméditation. La juge d’instruction brugeoise et la procureur générale de Gand, en arrêtant Bernard Wesphael en « flagrant crime » ou « flagrant délit », alors qu’il était parlementaire, ont pris cette décision sur des bases très légères et ont tenté de faire concorder leur thèse. L’avocat évoque encore l’un ou l’autre épiphénomène ayant trait au suicide avant de céder la parole à Me Jean-Philippe Mayence.

Comme annoncé, la plaidoirie de ce dernier va être interminable, fréquemment interrompue, par des incidents de procédure : la remise par l’avocat général d’une nouvelle pièce au dossier (Le Compendium des médicaments), un GSM qui sonne, d’un membre du public, conduit hors de la salle par un policier, puis, celui du président lui-même, Philippe Morandini, qui ne peut pas se mettre lui-même dehors… Il y a du rire, de la nervosité, de la fatigue dans l’air.

Des récits « hallucinants »

L’avocat fait vivre un récit décousu, touffu, parfois crié, palpitant d’énergie, mais éparpillé, faisant monter un tourbillon de poussière derrière son galop échevelé. C’est une performance inhabituelle. Le jury est mobilisé par ce discours, suspendu aux lèvres de l’orateur. C’est la personnalité de celui-ci qui fait écran aux turpitudes supposées de son client. L’avocat met en avant ses propres valeurs, ses principes, sa déontologie. « J’ai horreur des hypothèses, des faux-fuyants », dit-il, en évoquant les récits « hallucinants » qu’il a entendus la veille. Cette scène de Véronique tirée de la chambre vers la salle de bain, c’est une trouvaille. Elle ne figure pas au dossier. Ensuite, c’est Bernard Wesphael qui est paré de toutes les vertus. « C’est un exemple de sincérité », quand l’avocat des parties civiles, Me Moureau, l’a traité d’homme politique, donc, de menteur. « Ma mère est la dernière Flamande à avoir été ministre de la Région wallonne (NDLR Jacqueline Mayence, PRL, 1983-1985). Elle a eu des soucis à l’intérieur de son parti parce qu’elle avait des convictions. Mais elle ne dépendait pas de la politique pour vivre. Lui, oui. Ses convictions l’ont poussé en dehors. Il n’appuie pas sur un bouton quand il faut. » Me Mayence suggère que son client a été broyé par la machine judiciaire, puis politique. « La procureur générale de Gand n’a pas tenu compte de son immunité parlementaire, mais après, il va falloir justifier ce « flagrant crime ». Le Parlement wallon suit à l’unanimité la juge d’instruction et la PG venues présenter le dossier. Ils ont voté à l’unanimité, ses potes, ses réseaux… », ironise le plaideur. « J’ai vu un homme détruit. Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois, j’avais le rapport d’autopsie, il avait pu péter un câble… Je lui ai proposé de plaider l’article 71, la force irrésistible. Avec la provocation et l’absence d’intention, il s’en tirait comme une fleur. Mais il a refusé. Ce n’était pas du déni, simplement, de la sincérité. Sa première pensée a été pour Victor : « Qu’est-ce qu’il va penser, il va croire que j’ai fait quelque chose… »

Les plaideurs de la veille avaient abondamment prévenu que Me Mayence allait chercher à les égarer dans une forêt de doutes. « Quel horrible mot que le doute, s’exclame l’intéressé ! » Et d’appeler les jurés à s’imaginer dans la peau d’un justiciable, cela peut arriver à tout le monde. Ils seraient soulagés que la justice les acquitte en cas d' »hypothèses insuffisamment justifiées ». Pour bien enfoncer le clou, il lit des passages entiers de l’interview que l’ancien magistrat brugeois, Jan Nolf, a donné au Vif/L’Express du 16 septembre dernier: « Le juré est le représentant du peuple. Il doit seulement apprécier s’il y a suffisamment de preuves pour condamner et s’abstenir en cas de doute. En tant que membre du jury, il a une vue d’ensemble du dossier. On peut avoir l’intime conviction que quelqu’un est coupable, mais rester juste, parce que l’acte de juger implique des conditions très précises. Dans un procès, il faut aussi « laisser du temps au temps », éviter de brûler des étapes d’information et de réflexion. Le juge doit constamment se remettre en question, donc, le jury aussi. »

C’est un cocu naïf : il ne voit rien, il accepte tout

Après cette mise en train, le travail de bûcheronnage peut commencer. Des étincelles et des éclats de bois volent dans tous les coins. En résumant très fort, Me Mayence, après avoir présenté Bernard Wesphael comme un homme droit et intègre, glisse par petites touches des tranches de faiblesse humaine qui sont loin de leu rendre antipathique, sans le grandir pour autant : « Qu’est-ce qu’il se défend mal ce couillon-là ». C’est un cocu naïf : il ne voit rien, il accepte tout. Il était débraillé ? « On va quand même lui dire de porter des chaussettes pour venir à la cour », confie-t-il à Me Bauwens, entre hommes. Plus grave : il ne montre pas ses sentiments, pas toujours. Vous oubliez cette scène où il pleure, dans le couloir de l’hôtel, à genou, les mains jointes ? Mais la violence, non, ce n’est pas lui. Véronique Pirotton, c’est avéré, pouvait devenir très agressive sous l’effet de la boisson. L’avocat carolo ne se donne pas la peine et l’insincérité de chanter les louanges de la victime : « Elle n’a jamais vraiment été amoureuse de lui. Elle jouait double, voire triple jeu : avec Francis D., son sex friend, avec Oscard D., « qui n’intéresse pas Mayence ». Les comparaisons animalières (le chien gentil qui mord, les matous se disputant une petite souris…), ce n’est pas le goût du plaideur. Il clive subtilement son auditoire : « Cela plait peut-être à certains dans le jury… ». A cet instant de sa plaidoirie, on se rappelle que le jury est composé de sept hommes et de cinq femmes. Autre thème sensible : l’argent. Véronique Pirotton s’intéressait au portefeuille de son mari, dans un souci de « protection de son enfant », concède l’avocat. « Wesphael était désintéressé et, d’ailleurs, prenez note de ceci, Madame la Greffière, il s’engage à ne pas prétendre à l’usufruit de la maison de Victor s’il est acquitté. » Bernard Wesphael voulait sauver celle qu’il aimait, alors que celle-ci ne parvenait pas à choisir entre deux, voire, trois hommes. Elle tenait un double discours jusqu’à ce que la cloison entre ses deux vies se brise… En septembre et octobre 2013, elle a eu 289 contacts téléphoniques avec Oswald Decock, 146 avec Bernard Wesphael, et 105 avec Francis D. Bernard Wesphael ignore cette dualité, mais il l’a déjà vue perdre le contrôle d’elle-même quand elle était saoule. Quand il la découverte privée de vie dans la salle de bain, « c’est normal qu’il ait pensé au suicide. »

L’avocat démonte une à une les étapes de la journée du 31 octobre en remet en doute la chronologie, les bruits entendus par les voisins, les lésions (uniquement dues aux manoeuvres de réanimation), l’interaction entre l’alcool et les médicaments… « La cause de la mort de Véronique Pirotton ? Selon la plus grande probabilité, c’est une mort naturelle. Si une petite possibilité existe, si petite soit-elle, que l’intoxication soit plausible, votre réflexion s’arrête ici », jette-t-il de toutes ses forces. Aucune relation causale ne s’impose dans la genèse de la mort. Les 35 lésions constatées n’étaient pas létales. L’hypothétique coussin ? Il n’est pas prouvé qu’il ait servi à l’étouffement, car des fibres n’ont pas été retrouvées dans la gorge. « Réfléchissez bien à la cause de la mort. Si elle est naturelle ou accidentelle, vous devez répondre par non à la question sur la culpabilité. C’est notre thèse depuis trois ans. Certains auraient bien voulu nous pousser à oser des questions subsidiaires (NDLR : poser au jury la question des coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner). Je n’ai pas de porte de derrière. Il n’y a pas eu de coups portés par Bernard Wesphael. Les expertises médico-légales et toxicologiques ne proposent que des hypothèses. »

Me Mayence s’en prend ensuite à son adversaire, paré de sa toge rouge, légèrement surélevé. Alain Lescrenier n’a pas été très élégant en évoquant l’âge d’un des experts de la défense. « Comment ne pas être vert de rage, fou furieux quand l’avocat général met en doute l’honnêteté intellectuelle, le serment ou l’âge de ses conseillers techniques, des sommités nationales auxquelles lui-même fait parfois appel ! C’est honteux ! ». Selon lui, les experts ont trouvé une explication à « toutes » les zones hématiques constatées sur le corps de Véronique Pirotton (les manoeuvres de réanimation). La chronologie des faits présentée par l’accusation ne tient pas debout et les témoins ne sont pas fiables. « On ne connaît pas la cause de sa mort. L’intoxication n’a été exclue par personne. C’est l’hypothèse la plus soutenue sur le plan scientifique. » Une intoxication accidentelle, qui permettrait de dire à Victor que sa mère n’a pas voulu partir. Dans ce cas-là, il n’y a qu’une issue : l’acquittement.

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