Bernard Wesphael au septième jour de son procès. © BELGA/Thierry Roge

Procès Wesphael: compte-rendu d’une extraordinaire séance en présence de l’amant

Perversité et dégoût à la cour d’assises de Hainaut. L’amant de Véronique Pirotton déshabillé psychologiquement par le président de la cour d’assises, Philippe Morandini.

Extraordinaire séance à la cour d’assises de Hainaut. Il fallait crever l’abcès Oswald Decock, l’accusé absent de la chambre 602 de l’hôtel Mondo, omniprésent dans l’enroulement dramatique de la mort de Véronique Pirotton, que l’accusation attribue à son mari, l’ancien député wallon Bernard Wesphael.

L’amant importun et insistant, psychologue de profession. Liégeois, lui aussi. Il arrive dans la salle d’audiences de Mons, à 19h33, par une porte latérale, des lunettes d’intello, une barbe soignée de deux-trois jours, des chaussures cognac aux pieds, un demi-sourire aux lèvres. Il balance avec désinvolture une mallette luisante en cuir vieilli et s’abandonne au dos confortable du fauteuil pivotant des témoins. Face au président, droit devant le redoutable Philippe Morandini. Qui entreprend de faire raconter son histoire avec Véronique Pirotton. Ce pourrait être une comédie en trois actes: le mari trompé, les portes qui claquent, comme celle par où Oswald a été introduit, les bons mots. Mais, au début de l’après-midi, la cour a déjà entendu Régine D. tombée sous l’emprise d’Oswald Decock après la mort de Véronique, tremblante encore, soutenue par une assistante de justice (aide aux victimes). Après leur rupture, il lui envoyait des trucs bizarres, dont un moulage de sa propre main garnie de poils. L’auditoire est prévenu. On sait que, sous le vernis social, c’est un drôle de coco, avec de drôles de manies. Mais à ce point! Démonstration in vivo, jusqu’à ce que tonne la voix du Commandeur. En un sens, justice est faite.

L’audition du 28 septembre avait pourtant commencé dans le calme, avec patience, sinon fatigue, après une déjà longue journée, où ses amis, ses amours, avaient formé un cortège de mots à la défunte. Son petit ami de jeunesse, un grand Monsieur. L’écrivain Pierre Mertens, vibrant. Des amies sincères et pudiques. Il flottait encore un peu de cette tendre affection quand Oswald Decock, attendu comme une rock star, a débarqué dans la salle surchauffée. D’emblée, il s’installe au milieu du jeu. Il articule ses phrases avec assurance, fait attendre ses réponses, répète les questions avec un air ahuri de comédie. S’imagine-t-il dans un mano a mano avec le président?

Il raconte sa rencontre avec Véronique Pirotton en 2008, via un site de rencontre. Véronique qui, raille-t-il un peu, lui fait passer un « examen d’embauche » dans un café liégeois de la place Cathédrale. Pendant trois ans, ils ont mené une vie « riche et intéressante » jusqu’à ce que « quelque chose l’interpelle par rapport à sa consommation d’alcool », « excessive dans des moments de désarroi ». Elle voulait un enfant. Il en avait déjà deux. Elle voulait aussi se marier. « Je n’ai pas rencontré ces deux désirs ». Oswald marque un temps d’arrêt. Il est ému. Leur histoire se termine le 2 décembre 2011. Une date qu’il a retenue. Ce soir-là, averti par un « pressentiment », il descend en ville alors que sa compagne, avec laquelle il ne vivait pas, lui avait dit vouloir rester à la maison. IL tombe sur elle en compagnie d’un homme, Francis D., « qui l’avait fait beaucoup souffrir. » Oswald remonte en vitesse chez Véronique pour prévenir son fils, Victor, un gamin de dix ans, que sa mère est avec Francis D. Ensuite, il retourne au café. Quelques heures plus tôt, devant la cour, Francis D. a donné sa version des événements: « Il importunait Véronique et j’ai fait barrage de mon corps. Je l’ai mis en position horizontale de sécurité ». Pauvre Decock écrêté. « J’étais en état de choc, révèle-t-il. Suite à cette agression, j’ai rompu avec Véronique. Quelques jours plus tard, avec des amis, je suis venu chercher mes affaires chez elle ».

Morandini lui rappelle « qu’on n’est pas là pour parler de vous mais pour parler de Madame Pirotton. » Le témoin poursuit quand même: « Elle me contacte dans un grand désarroi, elle s’en veut de ce qui s’est passé, elle ne veut pas me quitter. » Jusqu’au début 2012, Véronique Pirotton et Oswald Decock n’ont plus de contacts. Ils se rencontrent par hasard au Jardin Botanique, en juin, et elle lui apprend alors qu’elle va se marier avec Bernard Wesphael. Oswald est « étonné ». « Vous êtes content pour elle ou pas? », demande le président. « J’accuse réception de cette information-là ». Le mariage a lieu en août. Ils se croisent à nouveau, par hasard. « Quelque chose de différent se passe entre eux… » Ils reprennent leurs relations, le 15 octobre, à l’insu de leurs conjoints respectifs, en essayant « de ne pas éveiller de suspicions », explique Decock. « Elle vit une grande désillusion avec son mari. Il ne lui offre pas la sécurité qu’elle espérait », explique-t-il. Lui non plus mais il la soutient « en tant que partenaire et en tant que psychologue ».

Le président le titille sur son absence de discrétion quand il va déposer une lettre parfumée et explicite dans la boîte aux lettres de Véronique Pirotton, que découvre Bernard Wesphael. Oswald Decock ne voit pas où est le mal. Morandini fait une allusion à sa « documentation »: l’incroyable matériel qui se trouve dans ses ordinateurs. Suite à cet épisode, Bernard Wesphael apprend l’existence de Decock et oblige sa femme à déposer plainte contre lui pour harcèlement, une plainte qu’elle retire quelques jours plus tard, seule. « Comment évolue Véronique », s’inquiète Morandini? Oswald Decock boit longuement l’eau au goulot de sa bouteille, se rince discrètement la bouche et répond: « Pas bien. » Il poursuit: « Son mari la harcèle de questions, elle dit non mais laisse des indices comme le Petit poucet. Elle a peur. Il n’est pas violent, pas physiquement, du moins. » « En septembre 2013, la voyez-vous régulièrement », interroge le président? « C’est une très bonne question, réfléchit Oswald. Elle veut se séparer de Bernard Wesphael mais c’est compliqué vis-à-vis de l’extérieur, de Victor et puis, Bernard s’accroche. » Oswald prend un ton de pythie: « Plus Véronique s’approche de la séparation effective, plus elle est en danger. »

Nous voilà au mercredi 29 octobre. La jeune femme est parvenue à ses fins, elle est soulagée, Bernard va partir, elle part se reposer à Ostende, sereine et apaisée. Pour vivre ensuite avec Oswald Decock? « Ce n’est pas explicite », répond l’intéressé, qui est constamment en contact avec elle par GSM. Véronique ne l’invite pas à le rejoindre à Ostende. Elle ne lui dit rien non plus que Bernard est annoncé. « Nous avons notre conversation », pose alors Oswald D avec un brin de théâtralité. « Quelle conversation , le reprend le président Morandini? Votre conversation! » Celle qu’Oswald a enregistrée à l’insu de sa maîtresse et qu’il a fournie à la police, amputée des deux tiers, « pour se protéger » et parce qu’il a « des craintes pour elle ». « Les paroles s’envolent, les enregistrements restent », ajoute-t-il. Il a gardé l’essentiel, le significatif.

Morandini joue nerveusement avec une élastique. La pression monte. « Madame Pirotton était d’accord que vous l’enregistriez? Elle était d’accord? Elle était au courant? » Non… Ce n’est pas encore l’explosion. Il fat d’abord vider la question de la rencontre téléphonique de Wesphael et de Decock, le 30 octobre, qui a suscité, selon Bernard Wesphael, des tensions entre sa femme et lui. Ce jour-là, Oswald D. appelle sur la ligne fixe de l’hôtel Mondo et est transféré à la chambre 602, où, selon sa première version, c’est Véronique qui décroche et dit « Victor, Victor… » pour tromper Wesphael, qui se trouve à côté d’elle, suspicieux. Elle raccroche. Il reforme le numéro une seconde fois et tombe sur Wesphael qui lui dit: « Je sais qui vous êtes… »

A ce moment anodin de l’interrogatoire du témoin, le président de la cour d’assises va exploser. Alors qu’il demande à Decock pourquoi il a le téléphone de son rival, ce dernier plaisante: « Je l’appelle tous les jours ». « Je ne suis pas là pour rire, répond froidement Philippe Morandini. Quelqu’un est décédé, je vous demande un peu de respect pour la société que je représente ici. Ecoutez-moi, Monsieur, vous risquez la peine que l’accusé encourt: trente ans. Votre cinéma, j’en ai plus qu’assez. Cette vérité, on y arrivera, avec ou sans vous. » « Je peux continuer? », repart Oswald Decock, inconscient du danger qui pèse sur lui. Un faux témoignage devant une cour d’assises – c’est à ça que faisait allusion Morandini- c’est le même tarif que celui de l’accusé.

En appelant l’hôtel Mondo, Decock a eu au bout du fil, non pas Véronique Pirotton, comme il l’avait prétendu, mais bien Bernard Wesphael, à qui il a dit, en croyant parler à Véronique: « C’est ton grand méchant loup ». Oswald avoue qu’il a été choqué d’entendre son rival. « Je reste avec ce paquet-là sur moi ». Il sent Véronique en danger. Pourquoi ne prend-il pas alors contact avec la police? « Pourquoi? », répète-t-il après le président. « Je ne fais rien parce que je suis un peu tétanisé par la situation. »

Philippe Morandini expédie la fin de son réquisitoire, en ne s’adressant plus au témoin. « Le lundi, interrogé par la police d’Ostende, il accuse une certaine personne, donne des copies de SMS, explique qu’il est inquiet. Il est perquisitionné. Il a des ordinateurs un peu partout, un disque dur caché derrière un fauteuil. Il ne dit que ce qu’il veut bien dire à la juge d’instruction parce qu’il s’estime au-dessus des lois. » Ensuite, c’est au tour de l’avocat général, Alain Lescrenier, de jeter sa pelletée sur « un psychologue, un thérapeute de violences conjugales »: « Rien ne vous alertait dans ce couple? Vous mettez un peu d’huile sur le feu… » Me Mayence lui fait redire que, contrairement à sa première déclaration, c’est bien Wesphael qu’il a eu en premier au bout du fil dans la chambre 602, et non Véronique Pirotton. Il demande que ce revirement soit acté. Il regrette qu’Oswald Decock n’ait été entendu qu’une seule fois, le 4 novembre 2013. Un des nombreux manquements de l’enquête, selon lui. L’autre avocat de Bernard Wesphael, Me Tom Bauwens, secoue plusieurs fois la tête, en signe de désolation.

Quant à Oswald D., à qui la parole est offerte une dernière fois, il fait cet aveu: « Le jour où j’ai repris Véronique, toute cette année-là, j’ai ressenti une angoisse. J’avais imaginé une scène conjugale mais pas ça. » Me Philippe Moureau, l’avocat des parties civiles, s’adresse alors aux jurés restés muets pendant toute cette scène, qui a duré presque deux heures: « Ne vous trompez pas. Il n’y a pas que Monsieur Wesphael qui était à Ostende au moment de la mort de Véronique Pirotton. Par contre, je suis consterné de voir que les deux hommes qui disent l’avoir aimée ont une attitude si absente d’émotion et si contrôlée. Ce n’est pas ça qu’elle aurait voulu. » Ce qui fait bondir Me Mayence: « Bernard Wesphael est présumé innocent. » « Ils n’ont pas le même parcours de vie. Je ne pouvais pas laisser passer cela », expliquait-il hors prétoire. Aujourd’hui, le procès va reprendre, le vrai, celui de son client. Rien ne sera plus comme avant.

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