Les membres du CD&V réunis autour du nouveau président Joachim Coens © Belga

Pourquoi étendre l’arc-en-ciel au CD&V n’est pas évident

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Si le CD&V vient compléter l’arc-en-ciel, l’informateur Paul Magnette (PS) aura une majorité plus grande, mais pas plus opérationnelle pour autant.

Sur papier, c’est un ajout qui peut sembler logique pour l’informateur Paul Magnette (PS) et pour les inconditionnels d’une coalition arc-en-ciel. Sans le CD&V, la coalition a à peine un siège en trop. Ce n’est presque pas faisable, certainement dans une majorité où les tensions politiques sont enracinées depuis le début. Dans les années à venir, n’importe quel libéral flamand n’aura plus qu’à voter contre telle ou telle mesure « de gauche » fustigée par la majorité des leaders d’opinion et des économistes du nord du pays, et il ne manquera pas de récolter les applaudissements de la presse flamande. Il pourrait même se rendre incontournable dans son propre parti, si la manoeuvre est bien gérée. Il ne fait pas de doute qu’il y en aura bien un pour se distinguer de la sorte.

D’où l’extension pas illogique aux démocrates flamands du CD&V. Si on ajoute les douze démocrates-chrétiens flamands, on aura une majorité nettement plus confortable de 13 sièges, et la Flandre sera au moins représentée par 38 députés, ce qui est encore loin de la majorité des sièges du groupe néerlandophone, mais on ne gouvernera plus vraiment « contre le nord du pays », comme ce serait le cas pour la majorité limitée d’aujourd’hui.

« Si nous sommes nécessaires »

Cependant, l’entrée du CD&V a une conséquence étonnante pour environ la moitié de tous les partis d’un tel gouvernement violet-vert-orange. Interrogé par Knack, Bruno Tobback (sp.a) avait déjà fait remarquer : « Conner Rousseau (NDLR : le président du parti) a confirmé que nous ne participerons pas ‘pour combler le trou’. Nous ne nous joindrons à une coalition que si nous sommes nécessaires et si nous pouvons faire une différence sur le fond. »

Bien sûr, en tant que député flamand, Tobback n’est pas directement impliqué dans les négociations fédérales, mais l’ancien président du sp.a connaît la musique. Il s’agit des mots « si nous sommes nécessaires ». Dans une coalition violette avec le CD&V – encore une fois : avec une majorité de 13 sièges – le sp.a qui compte 9 sièges n’est plus strictement nécessaire pour obtenir une majorité. Ce problème se pose aussi pour Groen (8 sièges), l’Open VLD (12 sièges) et même pour le CD&V, qui vient dépanner une coalition déjà en chantier, mais trop juste. L’arrivée du CD&V renforce donc l’éventuelle coalition-Magnette, mais affaiblit d’un seul coup la position de quatre partis gouvernementaux. Détail piquant: des quatre partis flamands du gouvernement. Les trois partis francophones – le PS avec 20 sièges, le MR avec 14 sièges et même Ecolo avec 13 sièges – ne sont pas concernés. Avec le CD&V, les quatre partis politiques flamands possibles seraient affaiblis d’un coup: mathématiquement (et donc politiquement) ils ne sont plus strictement nécessaires.

C’est un mécanisme fondamental dans une démocratie parlementaire gouvernée par un gouvernement de coalition. Elle ne peut fonctionner politiquement correctement que si le départ de l’un des partis participants entraîne effectivement la chute du gouvernement. Dans le cas d’un gouvernement avec le CD&V, les quatre partis flamands sont « castrés » d’un seul coup. Même si l’un d’entre eux claque la porte – ou est poussé vers la sortie par d’autres partis – le départ n’a pas d’importance, et le gouvernement peut simplement prendre le relais après une crise gouvernementale inévitable.

Le pouvoir des nombres

Ce n’est pas sans importance dans un gouvernement où les contradictions politiques internes sont encore très importantes pour le moment, et le cabinet n’est viable que s’il existe une volonté de tous les partis d’atteindre ensemble un certain nombre d’objectifs (le  » projet  » du gouvernement) et terminer le mandat de préférence ensemble. Mais la bonne volonté seule ne suffit généralement pas. En politique belge, le pouvoir est souvent un meilleur argument que la volonté, surtout quand il s’agit de crises politiques. Dans une démocratie parlementaire, avec son jeu de majorité et de minorité, cela se résume toujours au pouvoir des nombres. Ce sera encore plus le cas dans un avenir proche, lorsqu’on se chamaillera à propos d’un nouveau budget extrêmement difficile et qu’il faudra s’entendre au sein du gouvernement pour savoir qui devra faire les efforts les plus importants en termes de marché du travail, d’environnement, de climat ou d’asile, et comment tout cela sera distribué au niveau communautaire. Un petit parti du gouvernement fédéral devrait pouvoir dire à un moment donné, lors de discussions cruciales : « Jusqu’ici et pas plus loin ». Aussi et même certainement, dans un gouvernement de coalition bigarré avec des alliances internes ad hoc susceptibles de changer.

Certes, il y a un an, la N-VA pensait faire jouer le pouvoir des nombres durant la crise de Marrakech, mais comme les élections étaient  » proches « , elle a choisi de maintenir le gouvernement Michel « tombé » en affaires courantes. Non seulement le gouvernement a continué en boîtillant, mais la prise de décisions politiques a été paralysée : un système parlementaire sans gouvernement viable est handicapé.

Les partis majoritaires qui voudraient se joindre à une coalition où ils n’auraient pas à être pris en compte mathématiquement en cas de crise grave, doivent être bien conscients de ce qu’ils font. L’histoire des (trop) petits partis gouvernementaux est sombre. Entre 1988 et 1991, par exemple, il y a eu le gouvernement (Wilfried) Martens-VIII : un cabinet chrétien-socialiste complété par les nationalistes flamands modérés de la Volksunie (VU). Même sans les 16 sièges VU, les quatre partis gouvernementaux classiques de la Chambre de l’époque (212 sièges) possédaient une majorité confortable de 134 sièges. Lorsqu’à l’approche des élections, la VU a provoqué une émeute communautaire au sujet des livraisons d’armes de FN Herstal, la VU a pu disposer : le reste du gouvernement a continué (pendant un certain temps).

L’aventure ne s’est bien terminée pour personne, et certainement pas pour les partis majoritaires flamands, qui ont tous perdu beaucoup de voix le 21 novembre 1991. Pour la Volksunie, les pertes étaient désastreuses : le parti a perdu plus d’un tiers de ses sièges parlementaires (de 16 à 10) et est passé en dessous du seuil de 10%. En d’autres termes, le petit parti gouvernemental qui a essayé de jouer dans la cour des grands et qui espérait faire son beurre électoral d’une crise auto-provoquée a perdu tant de voix et de sièges qu’il a été plongé dans une crise existentielle, qui l’a finalement conduit à son effondrement. Et à la naissance de la N-VA.

Vain espoir

C’est au moins aussi grave si, à un moment donné, les grands partis de la majorité estiment que les « petits » se sont déjà trop mal comportés : ils sont simplement poussés vers la sortie. Cela s’est même produit dans le  » club d’amis convivial » ambitionné par le gouvernement de Verhofstadt Ier (1999-2003).

Dans ce cabinet aussi, les contradictions entre la droite et la gauche étaient, en réalité, beaucoup plus grandes et plus nettes que ce dont beaucoup de gens se souviennent. Pas tant le PS, mais Ecolo faisait monter la moutarde au nez de l’opinion publique flamande, et Groen risquait de se laisser entraîner dans cette spirale négative. Lorsque la ministre de la Mobilité Isabelle Durant (Ecolo) adopte une position intenable pour pratiquement tous les autres partis du gouvernement, Ecolo « a quitté » le gouvernement Verhofstadt. En réalité, le parti a été remercié pour les services rendus. Cela se produit le 5 mai 2003, moins de deux semaines avant les élections du 18 mai.

Au fond, les écologistes avaient assez de sièges (20) pour faire tomber le gouvernement Verhofstadt (94 sièges sur 150) à la dernière minute, mais Agalev (le nom de Groen de l’époque) a sauvé sa peau et n’a pas suivi Ecolo dans l’opposition, de sorte que le gouvernement a pu se rendre joyeusement aux urnes. Les écologistes ont payé deux fois ce départ tardif. Agalev n’a pas atteint le seuil électoral, a perdu 9 sièges et a disparu de la Chambre – jusqu’en 2007, apprendrait-on par la suite. Ecolo est passé de 11 à 4 sièges.

Pour jouer dans cour des grands, il faut s’assurer qu’on est assez fort pour faire mal aux autres. Sinon, pour reprendre les mots de Tobback, il ne reste plus qu’à « combler le trou ». Dans l’espoir habituellement vain que l’électeur sera indulgent et compréhensif.

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