Depuis sa prestation de serment, Thomas Dermine ne ménage pas ses efforts pour boucler dans les temps le Plan de relance et de résilience exigé par la Commission européenne. © belga image

Plan de relance: nouveau plan et vieille clé D’Hondt

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Le secrétaire d’Etat Thomas Dermine (PS) avait annoncé vouloir éviter les réflexes belges pour confectionner le plan de relance de la Belgique. Il aura pourtant fallu un bon vieil accord entre Région flamande et Région wallonne dans le dos des autres exécutifs pour trouver la bonne formule…

Il fallait aller vite, car la Belgique était en retard, il fallait le faire bien, car l’Europe imposait des exigences, et il allait le faire mieux, car il voulait « réenchanter la politique ». Tout juste désigné secrétaire d’Etat à la Relance, dans un gouvernement dont il avait, en tant que principal conseiller de Paul Magnette, rédigé une bonne partie de l’accord, le Carolorégien Thomas Dermine affichait, cet automne, de grandes ambitions. Celle, d’abord, de mettre en oeuvre le volet belge de la Facilité pour la reprise et la résilience (FRR) de la Commission européenne. Ce volet, consistant en un Plan pour la reprise et la résilience (PRR), devait être négocié avec les entités fédérées et envoyé au plus tard fin avril à l’UE, qui le financerait à hauteur de 5,925 milliards d’euros. Le PRR ne compte que pour une partie des velléités gouvernementales, qui veulent porter le faible taux d’investissement public de la Belgique, d’aujourd’hui 2,6% du PIB, aux 4% de la moyenne des pays voisins d’ici à 2030.

C’est très inélégantu0022, a lancé Alexander De Croo à Elio Di Rupo.

L’ambition, ensuite, de marquer un basculement dans la façon dont la Belgique se gérait. « Un des enjeux de ce gouvernement, c’est de réenchanter la politique, il est important que l’on voie le changement », déclarait-il à nos confrères de L’Echo, le 21 novembre dernier. « En Belgique, on se concentre trop souvent sur les montants et pas assez sur les projets. On s’engueule longtemps sur la nature du plan et on ne passe pas assez de temps sur sa mise en oeuvre », ajoutait-il, comme pour en finir avec cette triste tradition des chamailleries intrabelges. « L’enjeu politique, ce n’est pas de se battre pour savoir combien chacun reçoit, mais d’utiliser ces 5,15 milliards (NDLR: réévalués à 5,925 depuis lors) dans les meilleurs projets et aller chercher un effet de levier maximal via d’autres financements, privé, régional et autres. Le but, c’est d’augmenter la taille du gâteau. Je peux vous dire que toutes les entités jouent le jeu. La pire erreur serait que chacun rentre ses projets indépendamment les uns des autres et qu’on se retrouve avec un saupoudrage sans cohérence », précisait-il encore.

La méthode promettait d’être novatrice. Des groupes de travail thématiques – il y en avait cinq, pour autant d’axes stratégiques (climat, durabilité et innovation ; transformation numérique ; mobilité et travaux publics ; social et vivre-ensemble ; économie du futur et productivité) – réuniraient l’Etat fédéral et les entités fédérées, et leur éviteraient ce fonctionnement en silos qui aurait coûté à la Belgique tant de contre-productives querelles.Mais, comme souvent en Belgique, entre l’ambition affichée et les avancées constatées, il y a au moins la distance d’une frontière linguistique. Les appels à projets ont bien été lancés par le secrétaire d’Etat. Le fédéral et les entités fédérées y répondirent, pour un montant global de… 24 milliards d’euros. C’est alors qu’il a fallu trancher, avec la plus traditionnelle des lames belges: la (vidéo)conférence entre chefs de gouvernements.

A l’ancienne

« Les groupes de travail se sont concertés un peu, mais ils ont en fait tourné dans le vide jusqu’au moment où, début janvier, Alexander De Croo a réuni les ministres-présidents », raconte l’un d’entre eux. Le Premier ministre a présenté différentes clés possibles de répartition des montants, sur lesquelles les ministres-présidents ont fini par donner leur accord: le fédéral mettra en oeuvre des projets à hauteur de 1,25 milliard, la Flandre de 2,255 milliards, la Région wallonne de 1,480 milliard, la Région de Bruxelles-Capitale de 395 millions, la Fédération Wallonie-Bruxelles de 495 millions et la Communauté germanophone de 50 millions. « Ni lors de la première réunion, jeudi 7 janvier, ni lors de la seconde, le lundi 11, qui a débouché sur un accord, nous n’avons discuté des projets ou dû trancher entre une initiative plutôt qu’une autre. Il y a eu une confrontation politique sur les montants, uniquement », ajoute un autre chef d’exécutif. La confrontation politique, du reste, aura été lourdement conditionnée par une alliance de circonstance entre Flandre et Wallonie, aux dépens de tous les autres. « Elio Di Rupo et Jan Jambon se sont vus pendant le week-end, et sont sortis avec un accord que les quatre autres entités ont dû avaler. Alexander De Croo a d’ailleurs dit à Elio que c’était très inélégant… », précise encore un participant. « En fait, la Flandre a déjà présenté son plan de relance, à la fin de l’été. L’enjeu pour elle consistait à voir quelle part de ce plan elle pouvait faire endosser par l’Europe via le PRR », en résume un autre.

Une fois la clé de répartition fixée, chaque entité, ensuite, a été invitée à présenter des projets comptant pour 130% de l’enveloppe qui leur a été attribuée. A charge pour chaque gouvernement de décider, en interne, de ce qu’il comptait glisser dans cette enveloppe. Amusant: chaque chef de gouvernement assure avoir sélectionné ses projets selon des critères objectifs, « contrairement aux autres qui l’ont fait à la clé D’Hondt, entre ministres… ».

Bref, les gouvernements des entités fédérées et le fédéral ont négocié entre eux la part qui leur reviendrait de l’argent européen, et les ministres des gouvernements fédérés et du fédéral ont négocié entre eux la part qui leur reviendrait de leur part de l’argent européen.

Et c’est ainsi que la Belgique a rattrapé son retard.

Après concertation et consultation d’une série d’acteurs (la Commission européenne, bien sûr, mais aussi le Conseil central de l’économie, le Conseil fédéral du développement durable, le Bureau du Plan, le Service public de programmation intégration sociale, le SPF Economie, l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, l’Inspection des finance) sera effectué un ultime tri, qui ne devra bouleverser ni l’équilibre des enveloppes, ni la répartition des thématiques (la Commission européenne exige qu’au moins 37% et 20% des dépenses du PRR soient consacrés respectivement à la transition écologique et à la transition numérique).

C’est ce tri final que Thomas Dermine sera chargé de faire parvenir à la Commission européenne avant le 30 avril prochain.

Et c’est ainsi que les exigences de l’Europe seront rencontrées.

Mais c’est ainsi, aussi, que s‘éloignent les promesses d’une méthode révolutionnaire, porteuse d’un réenchantement de la politique. « Nous n’avons jamais changé de méthode, j’ai toujours dit qu’en parallèle il fallait convenir d’une clé de répartition pour l’allocation des fonds européens. Je l’avais dit dès le 20 novembre au Comité de concertation », explique le Carolo. Comme pour se montrer résilient après quelques semaines de chamailleries intrabelges.

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