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Pieter Timmermans (FEB): « Il faut réunir tous les ministres de la mobilité de ce pays pendant un week-end »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

La Fédération des entreprises belges demande aux gouvernements de ce pays de donner une priorité absolue à la mobilité. « Gouvernements, ministres, résolvez ce problème », déclare son administrateur délégué Pieter Timmermans. « Tous les voyants sont au rouge. »

Pieter Timmermans: La situation dépasse les bornes. En mars 2016, la FEB a présenté son plan de mobilité. 200 personnes ont assisté à la présentation, dont toute une série de politiques. Tous étaient d’accord avec les idées que nous avions exprimées. Je leur ai dit : Tous ensemble, vous êtes le gouvernement de mobilité de ce pays. Entrez en action.

Et?

Il ne s’est rien produit. En septembre, nous avons écrit aux quatre ministres de la Mobilité. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu de réaction. Du coup, je me suis adressé au premier ministre. D’après les chiffres de l’OCDE, l’immobilité nous coûte 8 milliards d’euros par an, soit 2% du produit intérieur brut (PIB). Autrefois, il y avait une heure de pointe le matin et le soir, aujourd’hui on est arrêté entre les deux aussi. En moyenne, nous passons plus de 44 heures par an dans les embouteillages alors qu’une heure d’immobilité d’un chauffeur de camion coûte entre 60 et 70 euros.

En même temps, il y a un manque criant d’investissements en infrastructure. En 1980, l’état belge a consacré près de 5% à l’infrastructure, aujourd’hui c’est 2%. Aujourd’hui, nos budgets d’investissement servent uniquement à entretenir une infrastructure de plus en plus ancienne. Il n’y a pas d’argent pour de nouveaux projets, alors qu’ils sont urgents. Depuis combien de temps parle-t-on du Réseau Express Régional (RER) ? Tous les voyants sont au rouge.

D’où votre tweet, étonnement virulent : « Combien de temps encore les quatre ministres de mobilité vont-ils essayer d’inventer l’eau chaude chacun dans leur coin ? Il faut un plan de mobilité interfédéral ».

Il y a trois secteurs stratégiques pour lesquels les gouvernements de ce pays devraient établir un plan d’avenir ensemble: la mobilité, l’énergie et la numérisation. En Allemagne, Angela Merkel a annoncé sa sortie nucléaire en 2011, et deux ans plus tard, les Allemands avaient déjà installé un corridor énergétique reliant le nord au sud du pays. L’énergie éolienne générée sur le littoral germano-danois est transportée directement vers les usines BMW en Bavière.

L’Allemagne aussi est un pays fédéralisé, avec de nombreuses entités fédérées – ce n’est donc pas le problème. La question c’est si on peut et veut coopérer. La Flandre souhaite ajouter quelques bandes supplémentaires sur le Ring de Bruxelles, et en même temps le gouvernement bruxellois décide de rétrécir l’accès à Bruxelles depuis Liège et Louvain de six à quatre bandes. Mais le Ring de Bruxelles ne commence pas à Zaventem et ne s’arrête pas à Grand-Bigard, non ? C’est une partie de tout le réseau routier, et donc un problème pour tout le pays.

Votre plan de mobilité n’est pas une matière classique pour les partenaires sociaux.

Pourtant, le débat sur la mobilité est lié à la relation entre l’employeur et l’employé. Regardez notre proposition de permettre les livraisons de nuit. Plusieurs entreprises sont demanderesses. Vous avez probablement déjà été agacé par les camions qui bloquent une bande de circulation en chargeant et en déchargeant, certainement les jours où passe le camion-poubelle. C’est parce que dans de nombreuses villes, on ne peut livrer qu’à partir de 8 heures. Pourquoi les entreprises ne pourraient-elles pas livrer à un moment où il n’y a presque pas de voitures, donc en dehors des heures de travail réglementaires ? La nuit, par exemple. À Londres, c’est déjà le cas.

Vu les protestations contre les vols de nuit de DHL, ce n’est pas évident.

Là aussi, les nouvelles technologies nous aident. Les entreprises comme Siemens développent des camions silencieux. Il y aura des points de chargement et déchargement en périphérie où l’on transférera la cargaison sur des camionnettes silencieuses de nouvelles générations. Nos entreprises comprennent très bien qu’on n’accepte plus que nos centres-ville soient tenus éveillés par les moteurs bruyants. Ces nouvelles technologies arrivent – mais il faut déjà réfléchir maintenant à la façon d’en tirer profit.

La FBE défend également une taxe kilométrique intelligente, non seulement pour les camions, mais pour toutes les voitures. Il y a probablement longtemps que votre maison a plaidé pour un nouvel impôt.

Vous devez bien lire notre proposition : nous voulons diminuer la taxe existante sur la possession d’une voiture et la remplacer par un impôt sur l’utilisation. Et de façon intelligente : tout le monde ne doit pas payer autant. Ce n’est donc pas une mesure fiscale plate, mais une solution destinée à améliorer la mobilité. À la campagne, il n’y a pas d’embouteillages, donc là-bas les conducteurs paient moins. Si vous roulez en ville, vous payez plus aux heures de pointe. Ainsi, nous incitons les gens à se déplacer en voiture de préférence en dehors des heures de pointe.

Les changements arrivent très rapidement. Votre enquête révèle que ce n’est qu’une question de temps avant que les entreprises utilisent massivement les drones et les voitures autonomes.

Ma plus grande crainte c’est que les innovations technologies se font tellement vite que le législateur belge soit désespérément obsolète, ce qui empêche la société de répondre rapidement à certaines innovations. Si c’est le cas, nous prendrons un retard collectif.

Nous vivons à une époque disruptive. À l’étranger, des entreprises tentent déjà l’expérience de faire livrer des paquets par des drones. En septembre, la FBE a organisé un forum sur l’innovation, et il en a été question. C’est déjà le cas en Allemagne, Amazon le fait aussi. Ce ne sont que les débuts, mais nos entreprises y voient des opportunités, par exemple pour garantir des livraisons rapides aux heures de pointe.

D’après une grande majorité de nos dirigeants d’entreprises, les voitures autonomes apparaîtront, si ce n’est pas à court terme, ce sera à moyen terme. Cela signifie qu’il est temps de réfléchir à modifier la législation, de sorte que dans quelques années un code de la route dépassé ne freine pas le lancement de ces voitures ?

Je demande donc à nos politiques de réfléchir de façon plus créative et innovatrice avec tous les intéressés. Les trains sont bons pour le transport rapide à longue distance entre les deux grands centres, mais pas pour le transport local dans les zones peu peuplées. Pourtant, il y a encore des tracés qui ne transportent que sept personnes. Ce sont des transports publics déficitaires. Pourquoi ne pas asphalter ces tracés et y faire rouler des bus électriques ? Des bus scolaires ? Des taxis ?

Pour cela, il faudrait que la SNCB et De Lijn ou la TEC collaborent intensément. Et vous savez bien que ces sociétés, n’en sont pas capables, et leurs ministres de tutelle non plus.

N’est-il pas grand temps que la collaboration entre les différentes sociétés de transports publics devienne plus évidente? Par exemple en asphaltant le tracé de train ? Malheureusement, la réaction standard à ce genre de proposition demeure : « Nous n’acceptons pas de démantèlement du réseau ferroviaire dans notre région. » Pardon, mais on le remplace par quelque chose de bien mieux, car notre solution – un tram – est plus écologique, meilleur marché, plus personnalisée, moins bruyante et le tracé existant est réutilisé intelligemment, sans construire de nouvelles routes. Donc j’appelle les responsables politiques à faire preuve de créativité. Pourquoi tous les ministres compétents de ce pays ne se réuniraient pas pendant un week-end, avec la documentation nécessaire et beaucoup de bonne volonté.

Ce n’est plus possible en Belgique. L’état fédéral n’a rien à dire sur les régions.

Cela n’apporte rien aux entreprises et aux employés, non? Pensez-vous qu’il y ait encore un seul dirigeant d’entreprise dans ce pays – et j’oserai même parier : encore un citoyen – qui voit de l’intérêt à un système où chaque ministre continue obstinément à lâcher ses idées sur un problème de société global dans son coin ? « La politique » n’éveillerait-elle pas beaucoup plus d’enthousiasme auprès de la population si on présentait un projet collectif qui ferait disparaître les files et résoudre l’immobilité ?

Vous savez que les projets comme ceux-ci peuvent combler l’écart entre le citoyen et la politique: un engagement concret de tous les gouvernements de ce pays qui regardent dans la même direction sur le plan de la mobilité, et font en sorte que le pays ne soit plus immobile. Tout le monde parle de la congestion du trafic. Tous les économistes de transport déclarent que ce ne sont pas une ou deux mesures isolées qui vont résoudre le problème.

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