Pierre Kompany et Mark Eyskens © Hatim Kaghat

Pierre Kompany et Mark Eyskens: « L’avenir de la Belgique est à nouveau au Congo »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Il y aura donc bien une commission parlementaire spéciale sur le Congo. Pierre Kompany (CDH) est né au Congo, et Mark Eyskens (CD&V) s’est rendu là-bas et a rencontré ses dirigeants à plusieurs reprises. Interview.

Si vous voulez parler du Congo, il peut être utile d’avoir vécu de près cette histoire, que ce soit sur place ou non. Mark Eyskens, 87 ans, est le fils de Gaston Eyskens, Premier ministre de la Belgique lorsque le Congo est devenu indépendant. Il s’est rendu au Congo à plusieurs reprises, en tant que ministre de la Coopération au développement (1979-1980), puis en tant que ministre des Affaires étrangères (1989-1992). Pierre Kompany est non seulement le premier bourgmestre « congolais » de l’histoire belge, mais aussi le père du footballeur Vincent, le premier capitaine « congolais » des Diables rouges. Rencontre avec Eyskens jr. et Kompany sr. , deux véritables gentlemen: expérimentés, courtois, cultivés, éloquents et, à leur manière, coquins. Pierre Kompany, les yeux pétillants, donne ainsi du « monsieur le premier ministre » à Mark Eyskens… qui ne le corrige pas. Voici quelques extraits d’une longue interview accordée à Knack.

Aujourd’hui, tout tourne autour de Léopold II, et jamais autour de Mobutu. Cependant, ses mains sont tachées de sang et lui aussi a amassé des fortunes sur le dos de son peuple. Mobutu était pourtant le grand ami de la Belgique.

Eyskens : Si vous jugez l’histoire selon les normes éthiques d’aujourd’hui, dans le passé, presque tout le monde était corrompu. Tous les empereurs romains et même Louis Quatorze étaient alors des bandits : ils considéraient les finances de l’État comme leur propriété privée. Tout comme les glorieux monarques bourguignons. Surtout au début de sa présidence, nous pensions que Mobutu était une bonne chose. Il avait apporté l’ordre et la paix et le pays semblait prospère.

Pas seulement au début : la Belgique a soutenu Mobutu presque jusqu’au bout. En 1981, le Premier ministre Wilfried Martens a déclaré lors d’une visite au Zaïre – c’était le nom du Congo à l’époque : « J’aime ce pays, son peuple et ses dirigeants.

Eyskens : Mobutu aimait rendre la vie difficile aux politiciens belges : il a nationalisé les entreprises belges et a même mis fin à notre aide au développement. Mais jusque dans les années 1980, il était en effet très apprécié en tant que président. J’ai rendu visite à Mobutu à plusieurs reprises, tant dans son palais de Gbadolite que dans sa résidence officielle à Kinshasa. Il m’a fait visiter son zoo privé. Mobutu parle français avec un accent bruxellois. Il parlait comme Paul Vanden Boeynants. Je lui ai également rendu visite dans son château à Uccle et dans son bel appartement de l’avenue Foch à Paris. Tout n’était que le luxe, calme et volupté. C’était sans limites.

Kompany : Il faut être honnête : jusqu’à la fin des années 70, début des années 80, personne n’a vu ce qui se passait au Congo. Il y avait de l’argent à foison. On a permis à ceux qui volaient depuis longtemps de continuer de voler. L’une des raisons pour lesquelles cela ne pouvait pas continuer ainsi était l’explosion de la population. Jusque dans les années 1960, Mobutu pouvait raisonnablement gouverner un pays de 13 millions d’habitants et en même temps continuer à s’enrichir aux dépens de l’État. Ce système s’est effondré lorsque la population est passée à 20 millions, puis à 40 millions. Aujourd’hui, il y a plus de 80 millions de Congolais, bientôt 100 millions. C’est çà notre problème.

Si le régime de Mobutu a perduré, c’est aussi parce que la corruption ne se limite jamais à une seule personne. A chaque corrompu, il y a des douzaines de corrupteurs. Mobutu n’aurait jamais pu placer tous ces millions qu’il a dérobés au Congo dans des banques européennes sans la coopération de ses amis en Belgique ou en Suisse. A un moment donné, ses avoirs étaient estimés à 15 milliards de francs suisses ! Comment s’en sortir avec 15 milliards si on n’a pas d’amis à l’étranger ? Je le répète: le fait que le Congo ait pu être dévalisé par la clique autour de Mobutu, ne pouvait se faire qu’avec l’aide occidentale et donc aussi belge.

Pierre Kompany et Mark Eyskens
Pierre Kompany et Mark Eyskens© Hatim Kaghat

Eyskens : Nous voulions rendre service au Congo en aidant Mobutu dans son départ prématuré. En tant que ministre des Affaires étrangères, j’ai discrètement négocié un changement de régime pacifique au début des années 1990. J’avais non seulement appelé les gens de Mobutu, mais aussi un représentant du président français Mitterrand – son fils Jean-Christophe, son conseiller pour les relations africaines – et l’ambassadeur américain. Mobutu était très malade et il avait peur de finir comme le dictateur philippin Marcos. Nous avons donc proposé à Mobutu qu’il soit autorisé à s’installer dans sa villa sur la côte des Açores et que ses comptes à l’étranger ne soient pas touchés. Il aurait été remplacé par le Premier ministre Kengo Wa Dondo, un homme sage qui nous a fait bonne impression. Nous avions affrété quatre ou cinq grands avions pour déplacer Mobutu et sa cour. Cinq heures avant le début de l’opération, Mobutu a tout fait sauter. Il n’avait pas confiance. Il a été chassé en 1997 et est mort peu après en exil au Maroc.

Pierre Kompany ne pense pas que ce soit une mauvaise idée que la Belgique s’excuse auprès du peuple congolais. « Des excuses, c’est gratuit, n’est-ce pas ? »

Eyskens : Je pense aussi qu’on peut faire des excuses. Surtout à l’époque de Léopold II, des atrocités ont été commises contre les droits de l’homme. Seulement la Déclaration universelle des droits de l’homme remonte à 1948, quarante ans après la mort de Léopold. Si vous utilisez cette déclaration pour éclairer tout le passé, alors presque tous les hommes d’État, rois ou hommes politiques des siècles précédents auront commis des violations des droits de l’homme.

Lire aussi: L’histoire du Congo est loin de se résumer à Léopold II (ligne du temps)

Bien sûr, la gestion de Léopold était terrible. Mais après l’indépendance du Congo, il y a eu aussi beaucoup de meurtres : des Belges et des Noirs y ont été assassinés, parfois de manière atroce. Cela va également à l’encontre des droits de l’homme. Si la Belgique s’excuse, le Congo ne devrait-il pas faire de même ? Quoi qu’il en soit nous devons attendre les conclusions de la commission d’enquête parlementaire. J’espère seulement que des Congolais siégeront également à ce comité, de préférence en tant que membres permanents ou au moins en tant que témoins.

Pierre Kompany et Mark Eyskens
Pierre Kompany et Mark Eyskens© Hatim Kaghat

Kompany : Des excuses devraient réchauffer les relations entre Belges et Congolais. La Belgique pourrait encore être le partenaire idéal pour le Congo. Aujourd’hui, la Belgique laisse les entreprises canadiennes et bien sûr les Chinois prendre le lead au Congo. Mais pensez-vous que les Congolais les préfèrent ? Ils supplient presque les Belges de reprendre leur place. La Belgique est marquée par le Congo. Mais le Congo reste aussi imprégné de la Belgique.

Eyskens : Une telle commission invite à se pencher sur le passé. Alors que l’avenir de l’Europe se trouve en Afrique. L’Afrique compte 2 milliards d’habitants, dont 4 milliards d’ici la fin du siècle. Que feront tous ces gens si le climat continue à dérailler ? Si l’Afrique se transforme en désert et que l’agriculture ne fournit plus rien à cause de la sécheresse, que les Africains pousser par la famine se déplacent vers le nord pour survivre ? L’Union européenne est donc confrontée à un défi colossal. Et pourquoi la Belgique ne peut-elle pas être pionnière dans ce domaine ? La Belgique a besoin d’une nouvelle politique africaine. (solennel) Un nouveau plan pour l’Afrique. En termes de richesse, le Congo est le Brésil de l’Afrique. Il faut faire quelque chose à ce sujet. Et la population est jeune et enthousiaste. Nous devons tirer les leçons des erreurs du passé : il ne doit pas s’agir d’une forme déguisée de néocolonialisme, mais d’un partenariat égalitaire avec une responsabilité partagée. Cela doit également être élaboré au niveau européen. J’espère qu’Ursula von der Leyen, dès que la crise de la couronne sera terminée, travaillera sur un « Africa Deal » après le « Green Deal ». J’espère que la nouvelle coopération entre la Belgique et le Congo deviendra un modèle à cet égard. J’ai un rêve.

Kompany : Votre rêve est le mien.

Vous connaissez Félix Tshisekedi, le nouveau président du Congo. Avec lui, la Belgique devrait conclure un tel traité. Pourquoi devrait-il être un meilleur partenaire que Mobutu ou les Kabila ?

Kompany : J’apprécie ce qu’il fait. Toute l’Afrique a suivi de près le procès à Kinshasa contre Vincent Kamerhe, l’ancien chef de cabinet de Tshisekedi. Fin juin, Kamerhe et son principal acolyte, un homme d’affaires libanais, ont été condamnés à vingt ans de travaux forcés. C’est du jamais vu : un haut dirigeant d’un régime africain est accusé de corruption et le président ne lui tend pas la main. Chaque Africain comprend ce que ce verdict congolais signifie pour l’ensemble du continent : l’époque de la corruption touche lentement à sa fin.

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