Les 19 officiers de l'état civil de la Région de Bruxelles-Capitale ont adressé une lettre au Ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V) © BELGA

Phénomène des « bébés papiers » : « Il y a un besoin criant de légiférer au plus vite »

Stagiaire Le Vif

Dominique Ernould est la porte-parole de l’Office des étrangers. Selon elle, les reconnaissances frauduleuses de paternité, dont le but est d’obtenir un titre de séjour légal, sont en augmentation constante ces dernières années. La loi ne prévoit encore rien actuellement, même si le sujet est bien prévu dans l’accord de gouvernement. Interview.

La problématique des « bébés papiers » a récemment refait surface dans le débat public. Les 19 officiers de l’état civil de la Région de Bruxelles-Capitale viennent de solliciter le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V) afin d’attirer son attention sur ce phénomène de plus en plus préoccupant, car il n’y a actuellement aucune base légale pour gérer cette problématique.

Le Vif : Dominique Ernould, pourquoi la situation des « bébés papiers » est-elle de plus en plus préoccupante ?

Dominique Ernould : Le but de cette reconnaissance n’est ni de créer une cellule familiale ni de s’occuper de l’enfant que l’on reconnaît. Ici, nous avons clairement affaire à un nouveau créneau migratoire, frauduleux qui est clairement en hausse depuis quelques mois. Dans toute fraude, il existe une filière. Le plus souvent, on est confronté à une femme enceinte sans titre de séjour régulier en Belgique et qui sollicite d’un Belge de reconnaître la paternité de son enfant. Automatiquement, la maman va donner naissance à un enfant belge grâce au père. Comme elle aura donné naissance à un enfant belge, elle pourra obtenir un titre de séjour en Belgique.

Pourquoi n’y a -t-il actuellement pas de législation en la matière ?

Peut-être que naïvement, dans le cas de la création d’une cellule familiale, le législateur n’avait jamais pensé qu’on pourrait un jour aller aussi loin dans la fraude. Maintenant il y a un besoin criant de légiférer en la matière. Ce qui a permis à ce genre de pratique de prendre de l’ampleur, c’est qu’on a commencé à conjuguer un lien de filiation à un droit de séjour, issue de la loi sur le regroupement familial instaurée en 2011 : une personne d’origine étrangère dont l’enfant est belge peut obtenir un titre de séjour en Belgique.

Quelle est la position de l’Office des étrangers quant à la problématique ? Soutenez-vous la lettre envoyée à Koen Geens par les 19 échevins de l’état civil ?

Nous soutenons évidemment la démarche, car elle rencontre tout à fait nos préoccupations. Nous sommes confrontés à un problème dont on ne connaît pas grand-chose et dont l’ampleur est probablement beaucoup plus grande que celle que nous voyons. Nous n’avons, comme vous le savez, pas de base légale pour aller en justice. Il est impossible pour nous de communiquer des informations fiables, chiffrées ou statistiques. La lettre envoyée au ministre de la Justice est une initiative des plus pertinentes.

Pourquoi le problème semble plus compliqué que celui des mariages de complaisance ?

On n’a peut-être pas encore légiféré, car ce phénomène touche quelque chose de primordial et de délicat : l’enfant au sein de la cellule familiale, ainsi que ses droits. Mais maintenant qu’on constate qu’il y a clairement des abus, il faudrait se pencher sur l’idée de dissocier le droit de la filiation avec le droit de séjour. C’est fondamental. La lettre envoyée par les échevins est donc une incitation au ministre de rendre effective une législation qui était de toute manière prévue dans l’accord de gouvernement. C’est une problématique complexe car transversale. Elle concerne à la fois la justice, l’immigration, l’état civil et le parquet.

Comment déceler une fraude ?

Nous partons d’indices qui pourraient nous faire penser qu’une fraude existe. Par exemple, si une des personnes qui demande une reconnaissance de paternité est déjà mariée avec une autre personne, la suspicion sera légitime, même si parfois, ça ne veut rien dire. Ne pas habiter ensemble ou reconnaître un enfant sans avoir l’intention d’habiter ensemble, sont autant de signaux qui peuvent cacher quelque chose. La très grande différence d’âge peut aussi s’avérer suspicieuse. Parfois, il y a même des parents qui ne se connaissent même pas. Un exemple : une administration communale nous a déjà expliqué qu’un papa s’est présenté pour reconnaître un enfant. L’agent communal lui a demandé de donner le nom et le prénom de la maman. Celui-ci a répondu : « Je ne pourrais pas vous le dire, elle est allée garer la voiture, elle va arriver ». Ici, c’est flagrant, mais d’habitude, c’est très difficile à déceler.

L’Office des étrangers est-il régulièrement confronté à ces problèmes au quotidien ?

Après avoir légiféré sur les mariages de complaisance, les fraudes se sont déplacées vers les fraudes de cohabitation. Aujourd’hui, ça s’est encore déplacé, vers les fraudes de paternité. C’est un peu comme une fuite d’eau, si vous la colmatez à un niveau, elle tente de s’échapper par un autre. Tous les créneaux pour obtenir un titre de séjour vont être utilisés.

L’échevine de l’état civil de Jette, Claire Vandevivere, a déclaré dans une interview accordée à La Libre, qu’il s’agissait « d’une instrumentalisation de la parentalité »…

Clairement. Je partage tout à fait cette affirmation. On n’a pas de chiffres concrets, mais quelques histoires nous sont connues. Nous avons le cas d’un père qui a reconnu 5 ou 10 enfants. Comment dès lors remplir correctement son rôle de père et assumer la charge de tant d’enfants de femmes différentes ? Le but ici n’est absolument pas d’encadrer et d’éduquer un enfant et de créer une cellule familiale. Il y a un abus de droit.

Quelles seraient les solutions les plus efficaces afin d’endiguer le problème ?

Légiférer, évidemment, mais dans un deuxième temps avoir la possibilité aussi de suspendre la demande pour permettre au parquet de mener une enquête pour empêcher ces obtentions frauduleuses de titre de séjour. Aujourd’hui, c’est automatique et beaucoup trop simple. De plus, on pourrait obtenir des annulations de reconnaissance de paternité, mais les conséquences pourraient être très lourdes, car que fait-on de l’enfant ? C’est une situation plus que compliquée.

Maxime Defays

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