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Christel, témoin du féminicide de sa mère: une impossible reconstruction

Catherine Vuylsteke Journaliste Knack

Lorsqu’elle avait 14 ans, son père a tué sa mère d’un coup de feu. Après quelques relations destructrices, Christel, 56 ans, pense qu’elle est restée cette jeune fille craintive, qui a peur de tout perdre et d’être abandonnée.

Cette histoire n’est pas facile à raconter. Christel paiera ses confidences de trois jours de migraines. Mais elle a malgré tout souhaité aller de l’avant. Elle espère pouvoir ainsi aider ses compagnes d’infortune. Par moments, elle se sent paralysée par la peur. Ces derniers temps, cela se produit de plus en plus souvent, même si elle essaie de réprimer cette émotion. « J’imagine que c’est terminé, que je vais mourir en n’ayant jamais connu le bonheur. »

Toute sa vie, elle a maîtrisé l’art de la banalisation. Les personnes atteintes d’un cancer, les enfants qui meurent de faim : c’est plus grave. Cette réaction peut être qualifiée de « mécanisme de survie », car Christel n’a jamais eu beaucoup le choix. Son premier souvenir est celui de coups de feu dans la chambre parentale. D’oreillers qui volent en éclats et d’un couvre-lit troué. Elle a 4 ans et est assise sur le lit avec sa mère. Avec l’arme habituellement accrochée au mur de la chambre, son père a voulu montrer qui était le chef.

Christel, témoin du féminicide de sa mère: une impossible reconstruction

Témoin

Il n’était pas toujours ainsi. C’est l’alcool qui le rendait agressif. Christel se souvient de lui comme d’un homme étrange qui pariait sur les courses de chevaux, buvait du champagne au casino de Middelkerke et fréquentait les maisons closes. Elle était la petite fille de son papa, une enfant haute comme trois pommes qui lui allumait ses cigarettes, au milieu des rires de l’assemblée.

Elle se souvient de sa mère comme d’une femme belle et élégante, qui aimait le luxe. Jusqu’à ses 10 ans, ils ont habité à l’arrière de la boulangerie pour ensuite déménager dans une villa. Peu après, son père a acheté un nouveau fusil. La crème de la crème, se vantait-il, avec un viseur et un canon scié. Il le conservait dans le grenier pour le cas où il en aurait besoin.

Pendant son enfance, Christel a toujours été un témoin. De son père qui fulminait, râlait, frappait, renversait la table lorsqu’il soupçonnait sa femme de vouloir l’empoisonner. Son histoire n’est qu’une suite d’hématomes, de larmes et de lunettes de soleil, même par mauvais temps. Tout le monde était au courant de ce qui se passait, mais personne ne réagissait. Les gens préfèrent ne pas s’occuper des affaires des autres.

Le père passait aussi sa colère sur Christel. Il ne l’a jamais frappée, mais il l’a brisée psychologiquement. En reprenant les cadeaux qu’il lui avait offerts et en les démolissant. Ou en menaçant de tuer son chien.

Coup de feu

Août 1979. Christel se souvient encore de ce soir-là. Elle a 14 ans et est déterminée à s’en aller. Pour de bon. Loin de cet endroit horrible, avec une mère qui se plaint continuellement, une salle de bains défoncée et des vêtements en lambeaux. Ce genre de choses ne se passe pas chez ses amies, c’est pourquoi elle aime tant passer la nuit chez elles.

Dans la chambre voisine, elle entend une énième dispute. Elle est fâchée, en ouvre la porte. C’est à ce moment-là qu’il tire. Christel voit le corps de sa mère tomber sur le sol.

Elle vit désormais chez sa grand-mère. « Quand vas-tu au cimetière ? », demande-t-elle régulièrement. C’est sa seule référence aux événements tragiques.

Lors du procès, deux ans plus tard, son père est condamné à vingt-cinq ans de prison. Au bout de onze ans, il est libéré. Christel ne lui a jamais rendu visite en prison. Elle n’a répondu qu’à une seule lettre. Quand sa grand-mère l’a découvert, elle a dû arrêter. En 2015, père et fille se rencontrent – son entourage pense que cela lui fera du bien. Il lui demande si elle se rend compte à quel point ce fut difficile pour lui de passer toutes ces années derrière les barreaux.

Des hommes comme son père

Dans les années 1980, Christel se marie avec son ami d’enfance. Agée d’à peine 20 ans, elle met au monde deux enfants, mais a de plus en plus l’impression que son mari et elle ne sont pas sur la même longueur d’onde. Dix mois après son divorce, elle rencontre quelqu’un d’autre, un homme à deux visages : côté face, un compagnon sobre et gentil, côté pile, un individu querelleur et ivre qui casse tout. Son nez, ses côtes, son coccyx.

Christel passera vingt-cinq ans avec cet homme, vingt-cinq ans de visites à la police et aux urgences de l’hôpital. Les uns après les autres, les soignants lui conseillent de s’en aller, mais Christel reste. Jusqu’à ce que son bourreau se lasse et disparaisse.

Les conséquences ne sont pas anodines : hyperventilation, syndrome de stress post-traumatique et fatigue chronique. Des problèmes qui ne disparaîtront jamais totalement. Elle n’arrive pas à s’expliquer pourquoi elle n’est pas partie. Il lui arrive de penser qu’elle est restée la petite fille qui a tout perdu en une seule journée et qui n’a pas pu dire au revoir. L’enfant qui a toujours peur. Peur d’être abandonnée et de tout perdre à nouveau. Le psychologue qui la suit depuis de nombreuses années pense qu’elle cherche avant tout ce qu’elle connaît : des hommes qui ressemblent à son père.

Elle n’arrive pas à s’expliquer pourquoi elle n’est pas partie

De toute sa vie, Christel n’a eu que trois relations. Les choses ne se sont guère améliorées avec la troisième, il y a deux ans. Cet amour-là s’est aussi évaporé. Dans un certain sens, tous ces hommes se ressemblent. Aucun d’eux n’a connu une enfance normale. Ils s’apitoient sur eux-mêmes, aiment mener la grande vie, sont alcooliques et agressifs.

Aujourd’hui, Christel vit dans une maison chichement meublée, avec un beau potager, un chat et un chien adorables. Elle entretient des relations difficiles avec ses enfants, mais son petit-fils la trouve formidable. Et réciproquement. Lorsqu’il vient chez elle, elle revit. Alors, tout le reste disparaît.

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