Le secteur du recyclage crée de l'emploi, limite le gaspillage et allège le budget des moins nantis. © belga image

Penser la relance autrement: n’oublier personne sur le bord de la route

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

En temps de crise, les publics fragilisés le deviennent plus encore. En attendant le prochain choc, la lutte contre toutes les inégalités devrait être renforcée d’urgence.

Le préjugé est tenace: la transition écologique serait incompatible avec la lutte contre la pauvreté. Comme si les deux axes, complémentaires, n’allaient pas de pair. « Certains pensent que les investissements, impératifs dans les transports publics et les énergies renouvelables, coûteront tellement cher qu’il n’y aura plus de budget à consacrer aux plus démunis, détaille Olivier De Schutter, professeur à l’UCLouvain et rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté. L’autre argument généralement avancé consiste à dire que la transition écologique, longtemps perçue par le prisme de la taxation environnementale comme les écotaxes, incarne un agenda régressif sur le plan social. »

La crise a révélé des inégalités préexistantes qui passaient auparavant sous les radars.

Rien de plus erroné, aux yeux des auteurs du rapport sur la Belgique post-Covid: certaines initiatives réussissent à la fois sur le plan de l’emploi, de l’écologie et du soutien aux plus pauvres, par exemple dans les secteurs des énergies renouvelables, de la rénovation énergétique des bâtiments ou de l’agriculture diversifiée respectueuse des principes agroécologiques.

Le secteur du recyclage d’appareils électroménagers crée ainsi de l’emploi, limite le gaspillage et permet aux moins nantis d’acquérir plus facilement des appareils de seconde main. Si 10 000 tonnes de déchets sont incinérées, un seul emploi est créé pour assurer leur destruction ; six le sont pour la mise en décharge ; 36 dans une filière de recyclage et 296 par la réutilisation des biens. « Ces mesures sont à triple dividende, insiste Olivier De Schutter. De toute façon, la transition écologique n’aura pas le soutien de la population si elle ne s’accompagne pas de justice sociale. Réduire les inégalités est un pari gagnant pour toute la société. »

Or, sans pitié, la crise actuelle a mis en lumière la nécessité d’une société plus inclusive. Nombre de catégories de citoyens ont été oubliées lorsque le gouvernement a arrêté ses mesures de gestion du risque sanitaire: les plus démunis ; les sans-abri (comment respecter l’obligation de rester chez soi quand on vit dans la rue? ) ; les familles monoparentales, déjà défavorisées en temps normal ; les détenus, dont certains ont été libérés au pire moment du confinement et ont immédiatement rechuté ; les migrants, rassemblés dans des lieux de vie où les distances sociales sont impraticables ; les personnes handicapées ; les travailleurs atypiques, qui n’ont pu accéder au chômage temporaire pour force majeure ; les victimes de violences conjugales ; les personnes âgées vivant à domicile et dépendantes d’aides extérieures… « La crise a agi comme un révélateur d’inégalités préexistantes mais qui passaient jusqu’alors sous les radars, confirme Laure Malchair, directrice de l’asbl Confluences. Dans la mesure où les initiatives gouvernementales se sont appliquées à tous sans distinction et que la plupart des béquilles sur lesquelles s’appuyaient ces gens ont été supprimées, ils ont, plus que d’autres, subi les conséquences de la crise. »

Bénéficier d’aides

Puisque d’autres crises semblent inévitablement se profiler, les politiques de lutte contre toutes ces formes d’inégalités doivent impérativement être renforcées, préconisent les auteurs du rapport sur la Belgique post-Covid, avec une attention particulière pour ces « oubliés ». Cela vaut aussi pour toute mesure permettant de combattre les discriminations à l’embauche. Autre suggestion: vérifier proactivement si toutes les aides dont peuvent bénéficier les plus démunis leur sont effectivement allouées. Mieux, même: les leur attribuer automatiquement, sachant que bien des bénéficiaires potentiels ignorent jusqu’à l’existence de ces soutiens financiers.

Une autre mesure à étudier consisterait à suspendre la dégressivité dans le temps des allocations de chômage en cas de crise. « Il faut prendre acte du fait que le marché de l’emploi est sinistré et va probablement le rester longtemps, recommande Quentin Detienne, spécialisé en droit social à l’ULiège: on ne peut attendre du chômeur qu’il trouve rapidement un emploi qui n’existe pas ou plus. »

Des « territoires zéro chômeur »

Enfin, le rapport sur la sortie de crise préconise d’expérimenter en Belgique le concept des « territoires zéro chômeur ». Mis à l’oeuvre dans dix localités en France depuis 2017, ce dispositif désormais étendu à 50 autres localités finance, grâce à l’Etat et aux départements, des emplois à durée indéterminée qui ne sont pas solvables mais dont la création permet d’épargner à la collectivité les coûts importants du non-emploi. Les « territoires zéro chômeur » mettent au travail des personnes qui sont sans emploi depuis longtemps et dont les compétences peuvent se révéler utiles dans des postes qui répondent aux besoins économiques des territoires. « Cette démarche, précise le rapport, peut aussi concerner les métiers en pénurie, les métiers essentiels en période de crises, et les métiers liés à la transition. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire