Carte blanche

« Pacte d’Excellence: pourquoi pas élitaires ? »

Le Pacte d’excellence et le débat de fond qui l’entoure rendent le sujet brûlant. D’autant qu’il est brouillé par la communication ministérielle : ses certitudes et ses chiffres endorment les médias et les parents. Ce point de crispation ébranle jusqu’aux acteurs de terrain, moins consensuels que prévu.

Le contexte scolaire actuel m’incite à emprunter l’adjectif du titre à Jack Lang, ancien ministre français de l’Éducation nationale (1992-1993 et 2000-2002). D’après Le Petit Robert (à qui j’emprunterai toutes les définitions), élitaire signifie « qui appartient à une élite ». Nom tabou. Le Pacte d’excellence et le débat de fond qui l’entoure rendent le sujet brûlant. D’autant qu’il est brouillé par la communication ministérielle : ses certitudes et ses chiffres endorment les médias et les parents. Ce point de crispation ébranle jusqu’aux acteurs de terrain, moins consensuels que prévu. Une fois de plus, deux idéologies s’affrontent : la libérale (fondée sur l’épanouissement de l’individu dans la société et issue du libéralisme) et l’égalitaire (qui privilégie l’égalité de tous, issue de la social-démocratie…et de Condorcet). Ces deux pédagogies s’annulent-elles? « Le clivage gauche-droite est stérile » vient de rappeler Jean-Michel Blanquer, le nouveau ministre français de l’Éducation. Une question alors saute aux yeux : existe-t-il un moyen terme?

Aux yeux des populistes, toute élite souffre d’une connotation défavorable : c’est « l’ensemble des personnes considérées comme les meilleures, les plus remarquables d’un groupe, d’une communauté ». Les élites n’ont pas souvent bonne presse, même si elles sont nécessaires. Car qui occupera les postes de décision ? Des citoyens bien formés, compétents et confirmés. L’élitisme opère une sélection, « au détriment du plus grand nombre ». Il est jugé antidémocratique. Par réaction, J. Lang prônait une espèce d’élitisme pour tous, malgré la contradiction des termes. À vrai dire, chacun ne recherche-t-il pas le meilleur boulanger, plombier, chanteur, avocat, médecin? S’il donne le meilleur de lui-même, le professeur essaie de rendre chaque élève le meilleur possible selon ses désirs et ses capacités. Cette ambition nécessite une confiance mutuelle et un goût de l’effort partagé. Ce n’est pas gagné d’avance. Dans l’hexagone, le gouvernement actuel s’empresse de digérer l’échec du collège unique (une forme de tronc commun) et les ultimes aberrations de Mme Vallaud-Belkacem (2014-2017). N’est-ce pas le moment en Belgique francophone d’approfondir la même réflexion?

Nos penseurs les plus inspirés ont sorti un lapin de leur chapeau : l’excellence. Proche de mon « élitarisme », le « degré éminent de perfection qu’une personne…a en son genre » a séduit d’emblée. Quel programme enthousiasmant! Si son succès développe l’esprit critique et touche tous les niveaux, il révolutionnera l’enseignement et le monde qu’il prépare. Alors fini le nivellement par le bas? Quand l’homme de terrain découvre les arcanes du Pacte, il déchante. Car en soi l’excellence est une passion, celle de très bien faire, et non une idéologie aveugle. Or qu’observons-nous dans le secondaire? Les professeurs pleins d’espoir en 1990 et les enseignants consultés par le ministre Hazette en 2003 épinglaient déjà tous les maux actuels: il fallait commencer par renforcer les savoirs en amont, tout au long de l’école fondamentale. Les instituteurs, victimes de leurs directives, en étaient les premiers demandeurs. Mais rien n’a changé par la suite, sauf le ministre (remplacé plus de 20 fois en 42 ans).

Pire, le nombre des problèmes non résolus s’est multiplié. Le décret Missions (1997) prévoyait des Humanités technologiques (avec des cours généraux et de la culture générale) : qui les a étouffées? Les professeurs de 1re année du secondaire constatent depuis bientôt 30 ans que 15 à 25% des élèves sortent du primaire sans savoir lire (ce n’est pas déchiffrer). Ni calculer : certains arrivent en rhéto sans maîtriser la règle de 3. La remédiation au 1er degré est inefficace : si les savoirs de base étaient acquis à 12 ans, elle ne devrait cibler que des cas particuliers. La pertinence du non-redoublement n’a jamais été évaluée non plus. En dépit des avertissements des enseignants, cette mesure est prolongée jusqu’à 15 ans, âge auquel les élèves subiront leur premier examen. Il est piquant de noter combien la gestion financière -80 millions d’économies (comment ce montant est-il obtenu, McKinsey?)- sert l’idéologie! Enfin voici dévoilé, dans les grilles horaires, un bloc « sciences humaines » (histoire-géographie-économie-social) : resucée de l’insipide étude du milieu? La transversalité généralisée a du bon, mais un professeur avisé ne la pratique-t-il pas à l’intérieur de sa discipline?

Aux fondamentaux traditionnels de l’école primaire (lire, écrire, compter) s’est ajouté récemment, avec ou sans arrière-pensée, le respect d’autrui (France) ou le vivre ensemble (Belgique). N’est-ce plus la famille qui inculque cette valeur? D’où vient que certains enfants, au lieu d’être mal éduqués, ne sont pas éduqués du tout? L’école reflète la société, chuchote-t-on. Les responsables de l’éducation n’ont donc rien anticipé ni ceux de l’instruction. Les politiques, s’avérant impuissants, s’en sont remis d’abord aux pédagogues, théoriciens surdiplômés des compétences mais sans expérience de la classe réelle. Puis à des « acteurs de terrain » triés sur le volet (par qui? comment ? représentatifs ?).

Quelle solution dégager? Si elle était facile, on le saurait. L’histoire nous apprend que la question a déjà été posée maintes fois dès l’Antiquité. Il reste que ce (mal) foutu tronc commun, allongé ou pas, démotive les élèves : les bons sont freinés par ceux qui traînent, les faibles en attente d’autre chose s’ennuient, se dégoûtent, décrochent. Pour leurs professeurs, mission impossible. À moins de vouloir des moutons de Panurge, le tronc commun n’atteindra aucun objectif d’excellence. « Quand tout se vaut, rien ne vaut. » (Claude Javeau, sociologue)

Pourtant la ministre s’entête, manipule, parfois elle menace : une mesure retirée du Pacte, ce serait le château de cartes qui s’écroule. L’astucieux montage était donc si fragile pour provoquer une telle panique? Malgré la somme de travail déployée dans ce vaste chantier depuis Mme Milquet (2015), les résistances au Pacte imposent de s’interroger : qui tire les ficelles? Intriguée par les incessantes réformes subies par ses enfants, Carole Barjon, journaliste française et parent d’élèves, a mené une enquête approfondie : « Mais qui sont les assassins de l’école? » (Robert Laffont, 2016). Cette femme révoltée conclut : ceux qui voulaient rendre l’école moins inégalitaire en sont arrivés à la rendre injuste. Les ressemblances avec l’école belge sont frappantes. Quelles oligarchies agissent dans l’ombre chez nous? Sont cités l’Institut Émile Vandervelde (PS), le SeGEC (proche du CDH), la franc-maçonnerie, les pédagogues de l’ULiège, le tout coiffé par les marchandages secrets des technocrates et des partis politiques. Comment ne pas imaginer une alliance objective, voire une collusion, entre ces instances?

Une troisième voie, non dogmatique, pragmatique, progressiste, n’est-elle pas envisageable? Elle respecterait la diversité des intelligences et des talents. Elle contenterait tous les élèves en appétence. Qu’il s’agisse de latin ou de cours techniques avancés -pour ne nommer que les disciplines les plus en péril-, cette piste médiane et de bon sens assurerait la mixité sociale tant de fois idéalisée : ces « chemins différents » (Guy Martin, directeur général honoraire de l’enseignement provincial liégeois) seraient ouverts à tous, quelle que soit leur origine, et chacun pourrait choisir sa filière à sa guise, sans déterminisme social. Équité plutôt qu’égalité ! In medio virtus (La vertu se tient au milieu). Puisse mon credo servir de chambre d’écho aux oreilles attentives et mobiliser les énergies positives!

Par Jean-Marie Pironet, agrégé en philosophie et lettres

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