Nous avons les moyens de lancer un dépistage massif. Faisons-le !

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Deux chirurgiens de l’hôpital Saint-Pierre, en première ligne de la lutte contre le coronavirus depuis le début de l’épidémie, ont lancé un appel urgent au dépistage systématique du virus auprès des patients et du personnel soignant. La chef de groupe CDH à la Chambre, Catherine Fonck, elle-même médecin, leur a emboîté le pas.

Pour elle, il faut tester massivement tout le personnel soignant, mais aussi les professionnels qui continuent à fournir des services essentiels, durant le confinement. C’est primordial et urgent.

Pourquoi tester la totalité du personnel soignant ?

Catherine Fonck : Aujourd’hui, les seuls soignants qui peuvent être testés sont ceux qui présentent des symptômes sévères de Coronavirus. Une étude parue dans la revue américaine Science il y a quelques jours révélait pourtant que 86 % des porteurs du virus Covid-19 sont asymptomatiques. Bien sûr, ceux-ci sont certainement moins contagieux qu’un malade qui en est au stade de la pneumonie et qui crache ses poumons. Mais on ne peut affirmer, sur le plan scientifique, que les porteurs saints ne transmettent pas le virus. Il est donc urgent de dépister le personnel soignant, pas seulement les infirmièr(e)s des soins intensifs, mais celles et ceux des autres services, les aides-soignants, les infirmièr(e)s à domicile, de rue, celles et ceux qui travaillent dans les homes… Si on ne teste pas tous ces professionnels de la santé, en isolant ceux qui se révèlent positifs, on va laisser le virus se propager, auprès d’une population déjà fort fragilisée, et ce malgré le confinement. Dans les services cliniques hors Covid-19, à domicile ou dans les homes, la plupart n’ont même pas de masques. Il ne faut pas oublier non plus que si ces soignants tombent massivement malades, c’est tout le système de santé qui peut s’écrouler.

A-t-on les moyens aujourd’hui de dépister massivement le coronavirus ? Pourquoi cela prend t-il tant de temps ?

Y a-t-il eu, à un moment donné, une pénurie relative de réactifs ? Oui. Pourquoi la Belgique n’en a-t-elle pas commandé en temps utile lorsqu’on a vu le Covid -19 se propager en Asie puis en Italie ? Je n’ai pas la réponse. On aurait pu davantage anticiper cette pénurie, c’est certain. Mais on ne va pas polémiquer maintenant. A-t-on désormais les moyens de développer un dépistage massif en Belgique ? La réponse est oui. La production de réactifs a repris de façon importante en Chine. Il faut en commander urgemment. En outre, vous le savez, l’Université de Namur a mis au point un procédé de diagnostic du Covid-19, validé par la KUleuven, permettant de ne plus être dépendant du commerce des réactifs. Plusieurs hôpitaux sont en train de développer ce type de tests dans leurs labos et c’est tant mieux. Nombre de pays étrangers s’intéressent au procédé.

Faut-il forcément s’inspirer des pays, comme la Corée du Sud ou Singapour qui ont testé massivement leur population ?

C’est évident. Ils ont obtenu de meilleurs résultats que dans le reste du monde pour mieux contrôler la propagation du virus. Ils ne se sont pas limités au confinement et aux mesures barrières, comme le lavage des mains, le port du masque, la distanciation sociale… Ils ont parallèlement développé un dépistage massif, en isolant les cas positifs et en testant leurs contacts pour les isoler à leur tour. Cette technique de verrouillage par rapport à l’épidémie a fait ses preuves. On serait sot de ne pas suivre ces bons exemples asiatiques. Un dépistage plus massif est essentiel même si on est confinement total, ce qui n’est même pas encore le cas chez nous. Car des professions essentielles devront toujours s’exercer, que ce soit dans le domaine médical, des forces de l’ordre ou de la distribution alimentaire. Même si des mesures sont prises, ce sont autant de vecteurs de propagation potentiels. Il est grand temps de contrôler cela. Avant d’équiper leur comptoir de plexiglas de protection, les pharmaciens ont longtemps été exposés, notamment parce que les gens ne pouvant plus aller chez leur médecin se sont rués dans les pharmacies. On ne sait lesquels sont porteurs du virus, alors qu’ils continuent à travailler.

Il faut aussi gérer la fin du confinement… La France a prévu d’augmenter les tests à ce moment-là. Bien vu ?

Ce sera trop tard. Ce n’est pas à la fin du confinement qu’il faudra multiplier les tests, c’est dès maintenant. D’abord, plus on testera la population, moins longtemps durera le confinement. Et puis, quand on va relâcher le confinement, on n’est pas certain qu’il n’y aura pas de résurgence ou de rebond du virus, peut-être même dès cet été. Il faut donc aussi anticiper ce risque-là. On ne peut le faire qu’en mettant en place un dépistage massif dès maintenant, pas en chipotant à la fin du confinement. Car, quand on sortira du confinement, il s’agira de tester rapidement et efficacement tous ceux qui présenteront le moindre petit symptôme, du genre un simple rhume, ainsi que leurs contacts, si on veut éviter une nouvelle épidémie. Pour cela, le système doit être bien rôdé. Idéalement, on devrait tester tout le monde, mais ça, ce serait compliqué.

La Belgique dispose-t-elle des moyens physiques et humains de procéder à dépistage massif, en tout cas des professionnels qui sont exposés ?

Oui. Le virus se propage très vite. Il faut être plus rapide que lui. C’est une course contre la montre. Outre la commande de réactifs, il faut aussi des ressources humaines, ne fut-ce que pour démultiplier les tests selon le procédé mis au point par l’Université de Namur. Il faut une douzaine de laborantins pour faire 500 tests quotidiens. Mais ces ressources humaines, on peut les mobiliser, surtout dans une situation d’urgence comme celle que nous visons. Des labos et des scientifiques capables de réaliser le test namurois, il y en a un paquet en Belgique. Pourquoi ne pas lancer un appel aux labos et biochimistes du pays ? Selon moi, ce n’est pas insurmontable. Ne pas le faire, c’est jouer avec la vie des gens.

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