Nono Battesti. © DR

Nono Battesti, danseur et chorégraphe: « On se sent en permanence différent »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Pour Nono Battesti, danseur et chorégraphe d’origine haïtienne, il y a bien une forme de racisme passif dans la société, consciente ou inconsciente. L’avenir est au métissage, dit-il.

Les Afro-descendants sont sous-représentés dans les postes à responsabilités, y compris dans la culture. Cela vous étonne ?

Pas vraiment. La Belgique se revendique comme très ouverte et éclectique et, effectivement, tout est très sympa et tout le monde se connaît, ce qui est positif. Mais lorsqu’il s’agit de décrocher des subsides ou d’accéder à des postes à responsabilités, c’est ce même esprit de camaraderie qui joue : ce sont donc les copains des copains qui les obtiennent. Or, il y a très peu d’Afro-descendants dans ces réseaux-là car l’éclectisme de la Belgique est relativement neuf. Dans l’artistique, c’est vrai qu’on observe un grand mélange de cultures, mais il concerne des gens de passage. Pas des gens qui s’installent dans les structures ni des postes décisionnaires.

Pour un Afro-descendant, y accéder est donc difficile ?

C’est pratiquement mission impossible. Quand on se présente pour un poste à responsabilités – et je l’ai vécu -, on est très vite discrédité, les recruteurs s’interrogent sur le sérieux de vos qualifications et de vos formations. On est beaucoup plus regardant face à un étranger. C’est un racisme passif : on ne s’en rend pas compte mais tout ce qui est étranger bouscule. Pour arriver en tant qu’étranger à un poste à responsabilités, il faut faire deux ou trois fois plus ses preuves qu’un Blanc dans un pays occidental.

Les Afro-descendants sont pourtant très présents dans les programmations artistiques…

Sur les scènes, on fait appel à nous parce que nous sommes exotiques, donc intéressants. Dans le milieu artistique, c’est beaucoup moins « gênant » – je mets des guillemets car ce n’est pas une gêne – d’être noir ou étranger que dans d’autres secteurs, parce qu’on regarde plus l’oeuvre que la personne. Mais dans l’administratif, c’est comme si nous n’avions pas notre place. Les clichés restent : les Noirs écriraient moins bien. Ou ils seraient moins ponctuels. Ce sont des clichés latents. J’espère qu’ils sont en voie de disparition. En attendant, les jeunes Noirs créent de plus en plus leur job eux-mêmes. Je fais partie de ceux-là. A un moment, on ne peut plus se permettre d’attendre qu’on veuille de nous. En créant notre propre affaire, au moins, on a une chance.

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Comment percevez-vous ce racisme passif ?

Moi, je fais partie des plus chanceux. Je suis arrivé d’Haïti à 4 ans pour être accueilli dans une famille blanche vivant en Brabant wallon. Toute ma culture est blanche. Pourtant, on se sent en permanence différent. Dans la file d’un supermarché, il arrive qu’une dame serre son sac plus fort lorsqu’elle me voit, comme si j’allais le lui voler. On voit dans l’oeil des autres qu’on est différent. Soit cela suscite le rejet, soit la valorisation, parfois teintée d’hypocrisie : avoir un ami noir, c’est bien ! C’est surtout dans les démarches administratives que ce racisme passif est flagrant. On me prend de haut, comme si je n’étais pas capable de comprendre ce qu’on me dit. Le message qu’on m’adresse, presque infantilisant, c’est parfois :  » Danse et on s’occupe du reste !  » Certains en sont inconscients. D’autres, par contre… On a tous des clichés : les Noirs sont aussi racistes. Mais il faut dialoguer. Moi, je suis pour la vie métissée. Le non-dialogue bloque la pensée.

Avec le métissage croissant des populations, ce racisme ne va-t-il pas peu à peu s’effilocher ?

Je le pense. Je crois aussi que ce racisme, c’est un problème d’hier. On a d’autres problèmes de survie, aujourd’hui. On doit vivre ou mourir ensemble, mais en tout cas ensemble.

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