Carte blanche

Nécessité et urgence d’un débat public sur l’ « application Corona »

En Chine, en Israël, en Russie, en Corée du Sud, à Singapour et à Taiwan, une forme de technologie très spécifique est déjà utilisée dans la lutte contre le virus : la soi-disant « application Corona ». Entre-temps, l’idée s’est également répandue dans nos régions.

Dans divers pays voisins, les gens travaillent d’arrache-pied sur cette application pour smartphone, et la Commission européenne elle-même a diffusé une recommandation à ce sujet. Dans notre pays, de nombreuses entreprises ont déjà soumis des propositions pour de telles applications au Ministre De Backer. Le virologue Marc Van Ranst (membre du groupe d’experts du Gouvernement) a récemment déclaré que nous ne sommes pas loin de déployer une telle technologie en Belgique.

Comment fonctionne l’application ?

L’idée est relativement simple. Vous téléchargez l’application sur votre téléphone mobile, et vous participez ainsi à un réseau mobile spécifique créé via l’application : votre téléphone se connecte à d’autres appareils qui disposent de l’application dans votre quartier. Si vous êtes infecté par Covid-19, votre appareil peut envoyer cette information aux autres appareils ; si un membre de votre réseau est infecté, vous pouvez recevoir cette information vous-même. Notez qu’il existe plusieurs variantes : certaines applications fonctionnent avec l’intelligence artificielle, d’autres non ; certaines sont basées sur Bluetooth, d’autres sur GPS.

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À première vue, la nouvelle application semble très intéressante pour réduire le virus et guider la transition vers l’ère du post-confinement. Cela permettrait d’avoir une vision claire du nombre de personnes infectées, de sorte que les infections puissent être détectées plus rapidement et les personnes infectées plus efficacement isolées. Néanmoins, l’application fait face à un peu de résistance, surtout en Europe. Aux Pays-Bas, par exemple, des collègues ont écrit une lettre à leur Gouvernement pour faire part de leurs préoccupations. Dans la foulée, nous nous tournons vers les Autorités belges compétentes : utilisez l’ « application corona » avec précaution et discernement ! Elle soulève non seulement des problèmes juridiques, mais aussi éthiques, sociaux, politiques et techniques – que l’usage de l’application soit volontaire ou obligatoire n’y change rien.

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Peut-on rendre une telle application obligatoire ?

Tout d’abord, il n’y a aucune preuve que l’application soit efficace. Il existe un risque réel de faux positifs. Par exemple, l’application peut détecter que vous vous êtes approché d’une personne infectée, alors qu’en réalité il y avait un mur entre vous. L’inverse est également possible : vous pouvez être infecté sans que votre application ne vous en avertisse, ce qui vous fait croire que vous n’infecterez pas les autres.

Pour qu’une telle application fonctionne efficacement, non seulement tous les groupes de population doivent être bien représentés, mais avant tout, il doit y avoir suffisamment d’utilisateurs. Cependant, tout le monde n’a pas de smartphone. Et si l’efficacité de l’application est basée sur un choix volontaire, il est peu probable que suffisamment de personnes utilisent la technologie. Une alternative est d’obliger l’application. Mais peut-on vraiment prendre cette proposition au sérieux dans une société moderne, libre et ouverte ? Devoir utiliser une application obligatoirement est très problématique sur le plan éthique et juridique.

Et nos droits fondamentaux ?

Une récente enquête d’opinion auprès de la population sur ce type d’application a démontré que de nombreux citoyens sont préoccupés par leur vie privée. Nous partageons pleinement cette préoccupation et les dernières semaines ont montré que plusieurs propositions pour de telles applications sont contraires à la Loi. De plus, il y a aussi des désaccords. Les développeurs et les entreprises estiment que nos droits ne sont pas menacés, tandis que les experts contestent si les lois sur la protection de vie privée peuvent être respectées.

Les problèmes juridiques ne concernent pas seulement la vie privée. C’est une chose qu’un Gouvernement démocratique en temps de crise puisse imposer des restrictions à certains droits fondamentaux tels que l’autodétermination ou le droit d’association ; C’en est une autre de faire reposer ces restrictions sur une simple application, alors que le risque est grand que cette application ne fonctionne pas correctement. Par exemple, est-il légitime de ne pas être autorisé à se promener ou à faire du vélo avec les membres de votre famille sur la base de l’application ? Et supposons que l’application vous interdise ce droit fondamental, alors qu’il s’avère que vous n’êtes pas infecté. Qui en est responsable ? Qui pouvez-vous poursuivre pour cette violation ? Comment faire cela ?

Le manque de transparence – aussi bien dans le fonctionnement de l’application que dans l’action du Gouvernement – interroge. A ce stade, par exemple, les actions concrètes de la Task Force « Data Against Corona » du Ministre De Backer demeurent peu lisibles ; Il en résulte que le contrôle public – et la responsabilité politique – s’avèrent difficiles à exercer.

La technologie est socio-politique

L’application peut également avoir des effets sociaux. Par exemple, son utilisation peut perpétuer la discrimination existante. Par exemple, il existe un risque qu’un employeur soit guidé par l’application pour vous donner un emploi ou non, même si cela est indépendant des capacités pertinentes. Plus largement, cela risque également de saper la confiance en nos semblables, par exemple en évitant les gens tant que nous ne savons pas quel signal leur smartphone envoie.

Enfin, des questions politiques se posent également. Les données transmises par nos téléphones seront-elles collectées ou non par le Gouvernement ? Si oui, combien de temps les données seront-elles conservées ? Deux semaines, trois mois, un an ? Si nous choisissons de construire une infrastructure qui se concentre sur l’utilisation de ces applications, nous devons également nous interroger sur l’avenir de cette infrastructure. Ne risquons-nous pas d’utiliser soudainement la même application pour d’autres problèmes sociaux futurs ? Supposons qu’il y ait un crime qui n’a rien à voir avec l’épidémie de corona. Les gens ne seront-ils pas enclins à retrouver les téléphones des personnes qui se trouvaient à proximité du crime sur la base de l’application corona ?

En outre, il existe également un risque que le Gouvernement poursuive sa politique sur la base de données – possiblement incomplètes et non représentatives – issues de l’application, perpétuant ainsi une tendance problématique existante : croire erronément que de telles données peuvent guider sans ambiguïté les choix politiques.

Ne vous fixez pas aveuglément sur la technologie

Ces problèmes soulignent non seulement la nécessité d’une équipe multidisciplinaire autour de l’application, mais provoquent également l’appel suivant à nos politiciens : ayons un débat parlementaire approfondi sur l’ « application Corona », qui soit nourri par des voix multiples et diverses. Avant que l’application puisse être introduite, la question fondamentale se pose de savoir si elle est nécessaire. N’y a-t-il vraiment pas d’alternatives moins drastiques ?

Sinon, vous devez garder à l’esprit que l’efficacité de l’ « application Corona » ne dépend pas uniquement du bon fonctionnement de la technologie elle-même. Une telle application doit toujours faire partie d’un ensemble plus large de mesures qui sont en tout cas nécessaires pour lutter contre la pandémie. Tout d’abord, la capacité de test doit être suffisamment élevée. S’il n’y a pas assez de gens qui savent s’ils sont infectés ou non par le Covid-19, l’application n’a aucun sens. Deuxièmement, il y a le problème de la responsabilité individuelle. Une application ne sera efficace que si l’utilisateur le permet. Ceux qui sont allés faire un barbecue avec des amis pendant le week-end de Pâques seront les mêmes qui contourneront joyeusement l’application.

Que l’application fonctionne ou non (à Singapour, ils commencent déjà à abandonner l’idée après des résultats décevants), il est plus important de réaliser que beaucoup ne voudront pas l’utiliser – pour des raisons tout à fait légitimes. Et que ceux qui pourraient tirer le meilleur parti d’une application efficace – des personnes handicapées aux personnes âgées ou défavorisées – sont souvent exactement ceux qui n’y auront pas accès.

Enfin, bien sûr, la responsabilité politique compte également. Certes, il est primordial que les politiciens réfléchissent au sens et contresens possibles dans la mise en oeuvre des nouvelles technologies pour contenir la pandémie. Cela ne change rien au fait qu’ils doivent continuer à considérer des problèmes et des solutions qui vont au-delà de l’application et qui sont également beaucoup plus fondamentaux qu’une telle application : comment organiser la solidarité au sein de l’Union européenne ? Comment transcender les lignes de fracture idéologiques et politiques des partis pour une politique efficace ? Comment pouvons-nous garantir que les groupes concernés reçoivent une compensation et une reconnaissance appropriées ?

100 universitaires co-signent cet appel

Auteurs

Lode Lauwaert (philosophe, KU Leuven)

Massimiliano Simons (philosophe, UGent)

Nathalie Smuha (juriste, KU Leuven)

Cosignataires

Ine Van Hoyweghen (sociologue, KU Leuven)

Kristien Hens (philosophe, UAntwerpen)

Mark Van Aken (technologue, KU Leuven)

Brahim Bénichou (juriste, KU Leuven)

Gert Verschraegen (sociologue, UAntwerpen

Helder De Schutter (philosophe, KU Leuven)

Sabine Van Huffel (ingénieur biomédical, KU Leuven)

Paulus Van Bortel (philosophe, KU Leuven)

Gertrudis Van de Vijver (philosophe, UGent)

Johan De Tavernier (éthicien, KU Leuven)

Jan Vanthienen (informaticien politique, KU Leuven)

Rosamunde Van Brakel (criminologue, VUB)

Yves Moreau (informaticien bio, KU Leuven)

Marlies De Munck (philosophe, UAntwerpen)

Dominiek Hoens (philosophe, RITCS)

Marc Van den Bossche (philosophe, VUB)

Vincent Vandeghinste (technologue linguistique, KU Leuven)

Anton Vedder (éthicien IT/juriste, KU Leuven)

Adeline Hoffelinck (archéologue, UGent)

Antoon Braeckman (philosophe, KU Leuven)

Yves Poullet (juriste, Université de Namur)

Serge Gutwirth (juriste-criminologue, VUB)

Tim Christiaens (philosophe, KU Leuven)

Hans Geybels (théologien, KULeuven)

Rita Verhelst (bio-technologiste, HoGent)

Joyce Leysen (pédagogue socio-culturel, KU Leuven)

Anne-Mieke Vandamme (virologue, KU Leuven)

Veerle Provoost (éthicien bio, UGent)

Jan Masschelein (pédagogue, KU Leuven)

Paul Verhaeghe (psychanalyste, UGent)

Mark Coeckelbergh (philosophe, Universiteit Wenen)

Didier Pollefeyt (éthicien, KU Leuven)

Herman Bruyninckx (roboticien, KU Leuven)

Danny Wildemeersch (pédagogue, KU Leuven)

Jan Opsomer (philosophe, KU Leuven)

Luc Bonte (KAWET)

Liesbeth Schoonheim (philosophe, KU Leuven)

Hugo De Man (ingénieur, KU Leuven)

Axel Gosseries (philosophe, FNRS/UCLouvain)

Geert Van Calster (juriste, KU Leuven)

Tinne De Laet (ingénieur, KU Leuven)

Bart Thijs (bibliométricien, KU Leuven)

Robin Vanderborght (politologue, Universiteit Antwerpen)

Olivier Pereira (cryptologue, UCLouvain)

Karel Van Nieuwenhuyse (historien, KU Leuven)

Roland Breeur (philosophe, KU Leuven)

Liza Cortois (sociologue, UHasselt)

Hendrik Blockeel (informaticien, KU Leuven)

Gustaaf Cornelis (philosophe, VUB)

Florian Jacques (juriste, Université de Namur)

Carl Devos (politologue, UGent)

Sonja Lavaert (philosophe, VUB)

Gregory Lewkowicz (philosophe de droit, Université libre de Bruxelles)

Frank Maet (philosophe, LUCA-KU Leuven)

Rob Heyman (coordinateur Kenniscentrum Data & Maatschappij)

Frédéric Vandermoere (sociologue, UAntwerpen)

Ico Maly (scientifique culturel, Tilburg University)

Paul Cortois (philosophe, KU Leuven)

Sigrid Sterckx (philosophe moral, Ugent)

Mattias Desmet (psychologue, UGent)

Toon Benoot (pédagogue social, UGent)

Elise Degrave (juriste, Université de Namur)

Pieter Ballon (informaticien, VUB)

Laurens Naudts (juriste, KU Leuven)

Kaat Wils (historien, KU Leuven)

Abe Geldhof (psychologue, UGent)

Marijn Hoijtink (politologue, Vrije Universiteit Amsterdam)

Pierre-Yves Schobbens (informaticien, Université de Namur)

Liesbet Heyvaert (linguiste, KU Leuven)

Steven Vanden Broecke (historien de sciences, UGent)

Marie-Christine Janssens (juriste, KU Leuven)

Rudi Laermans (sociologue, KU Leuven)

Nancy Vansieleghem (pédagogue, LUCA)

Kim Hendrickx (sociologue, KU Leuven)

Charles Pence (philosophe, UCLouvain)

Ad van Campenhout (enseignant de dessin, Campus Sint-Lucas Gent)

Hugues Bersini (directeur AI-lab, ULB)

Nicolas Standaert (sinologue, KU Leuven)

Louis Favril (criminologue, UGent)

Niels van Dijk (philosophe de droit, VUB)

Leni Van Goidsenhoven (scientifique culturelle, UAntwerpen)

Marc Boone (historien, UGent)

Steven Schelkens (chercheur en communication, KU Leuven)

Jens Declercq (ingénieur, KU Leuven/Hogeschool Vives)

Henk Vandaele (philosophe, Hogeschool Vives)

Pieter Aertgeerts (juriste, KU Leuven)

Griet Galle (philosophe, KU Leuven)

Amélie Lachapelle (juriste, Université de Namur)

Els Kindt (juriste, KU Leuven)

Hendrik Vos (politologue, UGent)

Thierry Dutoit (ingénieur, Université de Mons)

Jan De Bruyne (juriste, KU Leuven/UGent)

Patrick Verlaak (artiste visuel, LUCA School of Arts)

Hilde Bonte (ingénieur, KU Leuven)

Pierre Dewitte (juriste, KU Leuven)

Reitske Meganck (psychologue, Ugent)

Caroline Calomme (juriste, KU Leuven)

Gita Deneckere (historien, Ugent)

Patrizia Zanoni (antropologue, UHasselt)

Stephanie Rossello (juriste, KULeuven)

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