Marc Goblet. © Belga

Marc Goblet : le petit prince sanguin (portrait)

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Marc Goblet, ancien secrétaire général de la FGTB est décédé ce mercredi 16 juin. Il avait 64 ans et avait quitté ses fonctions de secrétaire général il y a cinq ans suite à des problèmes de santé. Portrait.

L’ancien secrétaire général de la FGTB et député PS Marc Goblet est décédé ce mercredi. C’est ce qu’a annoncé le groupe PS à la Chambre. Depuis son retrait de la tête de la FGTB, il était devenu parlementaire fédéral PS, un parti pour lequel il avait déjà été échevin dans sa commune d’Herve.

Le Vif avait réalisé un portrait de lui en novembre 2016 suite à son départ de ses fonctions de secrétaire général, il y a cinq ans, pour raisons de santé.

« Pas de boogie woogie avant vos prières du soir… » Marc Goblet se rassied, content, sous les applaudissements d’un parterre acquis à sa rouge cause. Les spectateurs hésitent entre soupir et sourire : à dire vrai, on ne le retiendrait pas pour l’émission The Voice ! Qu’importe. Ce n’est pas ce que l’on attend d’un secrétaire général de la FGTB.

De la voix, cet admirateur du chanteur Cali en donne ailleurs. Depuis qu’il a été élu secrétaire général de la FGTB, en octobre 2014, la Belgique entière a compris que cet homme à écharpe rouge parlait haut et cash. Et qu’il en serait toujours ainsi. Dans ses prises de parole, l’expression « je vous le dis clairement… » revient d’ailleurs souvent. C’est très clair, en effet : on l’a vu avec le plan d’actions syndicales de novembre et décembre 2014.

L’homme est unidirectionnel et ne s’en cache pas : une fois qu’il s’est forgé une idée, il ne doute plus. Jusqu’à l’obstination. Il y a quelques années, en pleine campagne électorale, il avait imaginé de lancer une caravane publicitaire sur les routes de sa région. Le jour dit, une seule voiture était au rendez-vous : la sienne. Avec deux personnes à bord, son ami Jean-Claude Bottelbergs et lui. Réduite à sa plus simple expression, la  » caravane » s’est tout de même mise en route…

Une admiration sans borne et de virulentes critiques

La sincérité de son engagement et son jusqu’au-boutisme idéologique lui valent, selon les camps, une admiration sans borne ou de virulentes critiques. « Sa conception de la société est dépassée, tempête un écologiste : il en est toujours à la lutte des classes. Il n’a rien d’un progressiste. » L’homme a en tout cas été caricaturé dans les médias à une vitesse rare, alors que les leaders syndicaux ne l’étaient plus depuis des lunes.  » Il est la caricature de sa propre caricature, explique un libéral : primaire dans ses raisonnements, il hait les libéraux par principe. Au point que, chaque fois qu’il passe à la télévision, le MR gagne des points. »

Au moins, chacun sait à quoi s’en tenir avec Marc Goblet et la majeure partie des troupes de la FGTB lui en sait gré. « Il apporte un discours très clarificateur à l’intérieur de la FGTB et du front commun syndical, observe Felipe Van Keirsbilck, le secrétaire général de la CNE (CSC). Avec lui, on sait où on va. » En débarquant au Groupe des 10, cette instance fédérale qui réunit les représentants des employeurs et des syndicats, avec son discours sans fioritures et son accent trempé dans le fromage de Herve, cet amoureux de Cuba, plus habitué aux usines qu’aux salons feutrés, a marqué une brutale rupture de style. « C’est un chien dans un jeu de quilles, détaille Eric Wiertz, communicateur à la Ville de Herstal. Mais il ne fera rien pour changer. Ses costumes sont trop petits ? Il s’en fiche. Avec lui, ou c’est bon, il signe et on n’en parle plus, ou ce n’est pas bon et il le dit franco.  » A sa première apparition au Groupe des 10, le nouvel homme fort de la FGTB s’est présenté en essayant de casser l’image qui lui colle à la peau : celle d’un homme de terroir et de terrain, bourru, sans nuances et prompt à déclencher des grèves. « Les patrons, comme tout le monde, sont remplis de préjugés, coupe Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. Mais sur le fond des dossiers, Marc est inattaquable. »

Un homme de pouvoir

La matière, ce bosseur invétéré la maîtrise parfaitement, ce qui lui permet de ne dépendre de personne. Devant le bureau de la FGTB, il est capable d’expliquer tout l’accord sur les fins de carrière en une heure, sans une note, et dans le moindre détail. Il prépare d’ailleurs chaque réunion avec le plus grand soin. « C’est un organisateur maniaque, qui perd ses moyens quand on le prend au dépourvu, témoigne un Hervien. C’est sa faiblesse. Il a peu d’humour et aucun esprit de répartie. Et si on le bouscule, il devient parfois agressif, même avec les siens. »

Car Marc Goblet est d’abord un homme de pouvoir. Donc, un homme de contrôle. « Qu’il tire les ficelles partout où il le peut est une évidence, résume un socialiste liégeois. Marc n’est pas un enfant de choeur. Il utilise le pouvoir quand il l’a et ne le laissera pas filer. » A Herve, où il fut, un temps, échevin socialiste, on se souvient de lui certes comme d’un élu actif et efficace, mais aussi comme d’un homme redouté par tous les échevins, alors même que le PS n’était pas majoritaire. C’est que ce supporter du club de basket de Pepinster en impose et est coutumier des coups de gueule. « Ils sont moins fréquents ces derniers temps », glisse l’intéressé. Peut-être. Mais ils sont mémorables.

On est avec lui ou contre lui, sans autre forme de nuance. « Jadis, nous avions passé des accords avec l’ancien ministre socialiste Yvan Ylieff sans en parler d’emblée à Marc, confie le socialiste verviétois Claude Desama. Il nous en a voulu pendant des mois. » La rupture avec son frère Jean-Claude, liée au projet (raté) de relance d’épiceries sociales en région liégeoise, est du même acabit : depuis lors, ils ne se parlent plus.

Enfant, Marc Goblet, cadet d’une fratrie de quatre, était appelé « le petit prince ». Celui auquel on passe tout. Ce « petit prince » a grandi dans un cocon familial tissé de fibres sociales. Son père Simon, d’abord mineur et délégué syndical, s’est ensuite engagé à la Centrale générale de la FGTB, et au PS. La maison familiale, en pays de Herve, était peuplée de voisins qui venaient chercher qui une allocation de chômage, qui un renseignement pour la mutuelle, qui une carte du parti. Par la force des choses, Marc Goblet est devenu une action commune socialiste à lui tout seul.

Titulaire d’une formation de chauffagiste, il a vite déboulé à la FGTB où son père l’avait appelé. « Simon avait mis à la tête de la Centrale générale des gens avec lesquels il était convenu qu’ils n’empêcheraient pas le gamin de prendre le poste quand il serait prêt, raconte un métallo liégeois. Dans la famille Goblet, il y a un côté dynastique. A la Centrale générale de Liège, personne n’a remis en cause l’ascension de Marc. Et son fils Geoffrey, déjà dans la place, est formaté pour suivre le même parcours. Marc a juste dû se faire respecter dans l’appareil syndical. Il n’a jamais dû se battre. » Son sens de la famille ne peut en tout cas être pris en défaut : l’ex-compagne de son fils et sa compagne actuelle ont trouvé leur place à la FGTB.

Talents de négociateurs

Respecté dans la sphère syndicale, ce lecteur de romans noirs l’est, entre autres, pour ses talents de négociateur. En trente-deux ans de pratique à Liège, celui que certains appellent le bulldozer n’a pas enregistré un jour d’arrêt de travail. Conscient de la nécessité d’assurer la pérennité des entreprises, il comprend vite où il y a des espaces de négociation et où il n’y en a pas. Mais il y a quelques principes sur lesquels il ne transigera pas. Et quand il demande 10, ce n’est pas pour obtenir 5. Mais au moins 9,5.

Le Val Saint Lambert lui doit sa survie. Il s’est tout autant impliqué chez InBev, Cuivre et Zinc ou dans le secteur des carrières. On l’a vu rencontrer des repreneurs qui débarquaient pour deux heures au Sheraton de Zaventem et les convaincre des atouts d’une entreprise en zone de turbulences. « Il démarchait même les invests pour trouver des plans de stabilisation des entreprises », enchaîne Jean-François Ramquet, secrétaire régional de la FGTB Liège-Huy-Waremme.

Dans les secteurs sur lesquels il veillait, les employeurs l’écoutaient, se rappelle Francis Tihon, qui a précédé Marc Goblet à la Centrale générale de Liège. Et l’appréciaient. « C’est un garçon sensé avec qui on peut discuter, affirme Victor Brancaleoni, administrateur délégué des carrières de Sprimont et de Chanxhe. Grâce à lui, je me suis réconcilié avec les syndicats. » Sur le terrain de la négociation avec les chefs d’entreprise, Marc Goblet a indéniablement fait ses preuves.  » Nous avions des visions opposées mais nous avons conclu des accords et nous les avons respectés, déclare Philippe Godfroid, président de l’Union des Classes moyennes. Même les accords oraux. Avec Marc, il suffit de se taper dans la main. » Il est d’une indécrottable loyauté.

Le numéro d’Elio dans son gsm

Homme de pouvoir, intelligent et stratège sans avoir l’air d’y toucher, cet adepte du vélo et de la natation est évidemment aussi un homme de réseau. Socialiste de la première heure, il a été conseiller communal puis échevin à Herve, avant de présider la section PS de Verviers. Proche de Michel Daerden mais aussi de Jean-Pascal Labille, patron des Mutualités socialistes, le « gourou de Herve » a dans son portable les numéros de gsm de tous les ténors du parti. Il ne se gêne pas pour en appeler l’un ou l’autre, le président Elio Di Rupo en tête, quand il estime que le PS fait fausse route. « Marc est l’un des artisans de la dérive des continents entre PS et FGTB », signale Francis Gomez, le président des métallos liégeois. Cette analyse ne fait pas l’unanimité. L’attachement de Marc Goblet au PS et ses appels à voter socialiste font grincer quelques dents, à la FGTB et ailleurs, même si ses relais politiques ont souvent aidé à débloquer des dossiers. Lui martèle que ce lien lui permet de faire bouger les choses plus efficacement qu’une autonomie affichée. « C’est un socialiste de gauche », précise Nico Cué, le patron des métallos francophones de la FGTB.

On l’apprécie d’ailleurs au PTB car « il incarne la résistance », assure Raoul Hedebouw, son porte-parole. Et la constance : invité, le 1er mai, à prendre la parole à 10 heures sur le podium du PS, il dit exactement la même chose, une demi-heure plus tard, sur le podium du PTB. A sa manière, c’est un tribun. Mais ils sont quelques-uns à sourire quand il prend le micro, sûrs qu’il ne se limitera pas au temps qui lui est imparti. « Ses discours ? On dirait des sketches, s’amuse un socialiste. Il fait de la charpie des textes qu’on lui écrit tant il se laisse emporter. »

Marc Goblet n’aime rien qui lui rappelle la brièveté de ses études. Du coup, il critique vite les universitaires. « Il y a une forme de blessure chez lui par rapport à sa formation initiale, résume un député socialiste. Une sorte de jalousie rentrée. » Au sein du Groupe des 10, Marc Goblet ne veut pas passer pour un péquenot. Sa méconnaissance du néerlandais l’énerve. « Longtemps, le fait qu’il soit du terroir et ancré dans ses réalités lui a donné une légitimité. Mais au niveau fédéral, cela ne suffit plus », pointe un socialiste liégeois. Est-ce pour cela qu’on le sent autant sur ses gardes ? Il jure que non. Mais sa récente découverte de la concertation sociale fédérale le déconcerte. « Ici, on ne négocie pas, on marchande », soupire-t-il.

Le regard de son père

Dans les bureaux de la FGTB fédérale, Marc Goblet, très attaché à l’unité fédérale, s’emploie à répliquer à Bruxelles les méthodes et l’atmosphère de travail qu’il avait instaurées à Liège : en bref, un système qui laisse la place aux conflits d’idées sans entamer la camaraderie. Et la sauce semble prendre – à moins que ce ne soit encore la période de grâce : en quelques mois, il a réussi à fédérer les membres d’un syndicat un peu cabossé par les huit années précédentes. « Il a remis de l’ordre, proclame un métallo liégeois. Le climat est plus apaisé. Et on est tous d’accord sur le but à poursuivre. » Nul n’est dupe, pas même lui. Il sait que certains l’attendent au tournant, qui considèrent que le costume de secrétaire général est trop large pour lui. Qu’il fallait à la tête du syndicat quelqu’un qui n’ait pas l’âge d’être grand-père ; qui soit un rien moins machiste et un peu moins sûr de lui. Il sait que d’autres comptent sur lui, par contre, pour ramener la FGTB à une conduite plus prévisible, ce qui n’était plus guère le cas. « Quand on devra parler de la réforme de la FGTB, plus tard, on verra, avance Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral. Pour le moment, on est face à des enjeux externes. »

Ce poste exposé au sommet du syndicat, Marc Goblet aurait pu ne pas le prendre. La tentation était-elle trop forte ? « La FGTB ne me doit rien mais je lui dois tout, répond-il. Et puis, c’est la preuve que mon père, qui m’a mis le pied à l’étrier syndical, ne s’est pas trompé. » A cet instant, mais à cet instant seulement, on devine une faille dans le métal du bulldozer.

Cela n’empêche pas ce fan de Fernandel, Bourvil et de Funès de s’amuser dès qu’il est entouré d’amis ou de sa famille, qui compte suprêmement. Bon vivant, il aime pêle-mêle le vin de Vacqueyras, les enfants qu’il aimante, le festival d’Avignon. Et la cavalcade de Herve. Une année, il y a invité des responsables politiques à manger le plus vite possible un fromage de Herve. « Selon le principe « la peur n’éloigne pas le danger », il n’a peur de rien », sourit Jean-Pascal Labille. Sauf pour sa famille. Et sa petite-fille Mélanie : il n’y a qu’avec elle qu’il part perdant dans la négociation.

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