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Maisons de repos : « les mesures du gouvernement n’ont aucun sens »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Il y a deux semaines, nous révélions que la situation dans les maisons de repos était plus que préoccupante. Mesures tardives, manque de matériel, personnel et résidents à bout, pas de tests… Depuis, les autorités ont annoncé une série de mesures. La situation s’est-elle améliorée ? Pas vraiment, regrette Julie, une jeune kiné travaillant dans une maison de repos bruxelloise. Témoignage.

Depuis les mesures annoncées par les autorités, la situation s’est-elle améliorée ? Ou y a-t-il toujours un décalage entre les annonces des décideurs et ce qui se passe sur le terrain ?

Quand on voit que le gouvernement a envisagé de rouvrir les visites, je pense que tout est dit. Je ne sais pas si c’est de l’ignorance, ou se mettre un voile sur les yeux parce qu’on a pas envie de voir ce qui se passe dans les maisons de repos…

Nos ainés ne sont-ils pas assez importants pour que l’on sache s’ils sont malades ou pas ? C’est révoltant.

Depuis deux semaines, la situation n’a pas vraiment changé dans notre maison de repos. Le personnel n’a pas été testé. On manque toujours de matériel comme les masques ou l’oxygène. Les résidents qui ont des symptômes Covid ne sont toujours pas emmenés à l’hôpital. Nos résidents sont à risque et on les laisse dans les homes : non seulement ils risquent de contaminer les autres, mais on ne peut pas non plus les soigner. Et les tests envoyés en laboratoire ne sont pas systématiquement analysés. Nos ainés ne sont-ils pas assez importants pour que l’on sache s’ils sont malades ou pas ? C’est révoltant. Sur le terrain, c’est la population qui se bat, qui fait en sorte que les résidents aillent mieux. On travaille beaucoup plus, on essaie d’innover… et en retour, on ne se sent pas entendus.

Le gouvernement a promis un testing massif dans les maisons de repos. Pourtant, vous dites que les tests effectués sur les résidents ne sont pas tous analysés par le laboratoire…

Malgré les promesses du gouvernement et notre demande persistante depuis plus d’un mois, le personnel soignant n’a toujours pas été testé dans notre maison de repos.

On a essayé de mettre des choses en place avant le gouvernement et on se fait bloquer en plein élan. On fait des tests pour savoir, pour avancer et au final on n’a pas tous les résultats. On a fait des batteries de tests fin de semaine dernière sur les résidents. Quand les analyses ont été envoyées au laboratoire, ils ont refusé de les analyser. On ne sait pas pourquoi : nouvelles directives, sous-effectif, manque de réactifs, pas assez de symptômes… ? Le laboratoire ne répond pas au téléphone, et quand on arrive enfin à les contacter ils nous disent juste que les symptômes ne sont pas suffisants. De plus, on ne sait pas du tout ce qu’il advient des échantillons envoyés. On est dans le flou parce qu’on ne sait pas ce qu’ils ont fait de ces tests. Vont-ils les analyser plus tard ou les jeter ? On ne sait pas. Ce n’est pas cohérent. À partir du moment où le résident a été frotté, et où on a commencé le processus, pourquoi l’arrêter en plein milieu ? C’est du gâchis.

Certains reportages, notamment à la télévision, montrent des témoignages dans des homes où les mesures annoncées semblent bel et bien être en place. Mais chez vous, cela tarde. Pensez-vous qu’il y a de grandes différences entre les maisons de repos ?

Je ne sais pas comment cela se passe dans les autres homes. Une amie travaille dans une autre maison de repos où tout le monde a été testé fin de semaine passée. Mais ils se posent la question quant à la fiabilité des tests, car ils avaient une quinzaine de résidents en isolement et aucun d’entre eux ne s’est révélé positif. Statistiquement, c’est improbable. Mon amie a perdu le goût et l’odorat, elle tousse, mais elle est aussi négative. On sait qu’il y a 30 à 40% de « faux négatifs ». Mais vu qu’apparemment on manque de tests, on ne va probablement pas se faire retester. C’est un cercle vicieux : on ne fait pas retester, mais on a des symptômes, on ne sait pas si c’est un faux négatif…

C’est frustrant de travailler dans ces conditions ?

Évidemment. On essaie de faire bouger les choses, de tout faire dans les règles de l’art et au final, on se sent incompris. On a l’impression qu’on insulte notre travail. On travaille comme des fous, on se tape des insomnies, on est stressés, on s’échine pour que les résidents aillent bien. J’ai le sentiment qu’on a mis complètement les maisons de repos de côté. On se bat seuls, et c’est difficile. Personnellement, je n’arrive pas me résigner et à me dire qu’il faut juste suivre les directives, parce qu’elles n’ont aucun sens, qu’elles sont prises trop tard. On est révoltés.

On essaie de faire bouger les choses, de tout faire dans les règles de l’art et au final, on se sent incompris. On a l’impression qu’on insulte notre travail.

Depuis la première suspicion Covid, on a perdu 20 résidents, c’est énorme. Aujourd’hui, certains vont mieux. On a un peu plus d’espoir ces derniers jours, car certains résidents qui étaient en isolement vont pouvoir en sortir. On s’accroche à ça. Parce qu’on travaille tous sous tension, on essaie d’être solidaires, et en même temps on a l’impression qu’on nous met des bâtons dans les roues avec des décisions gouvernementales qui n’ont pas de sens.

Psychologiquement, ce n’est vraiment pas évident. Parce qu’on fait un métier pour soigner les gens, et là on les voit mourir. C’est dur. Pour ma part, je travaille en tant que kiné depuis même pas un an, je n’avais pas prévu que ma carrière prenne ce tournant-là.

Maisons de repos :
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Concernant l’annonce des visites par le Conseil national de Sécurité, comment a-t-on réagi dans le secteur des homes ?

Au niveau de la population, on arrive à une phase de stabilisation. Mais vu que l’épidémie a démarré plus tard dans les homes, on n’est même pas encore théoriquement au pic. Quand on voit le gouvernement proposer des visites, sur base de conditions qui ne peuvent pas être vérifiables, avec des résidents fragiles et à risques, cela n’a pas de sens.

Les résidents ont vu l’information à la télévision, mais on a dû leur expliquer que ce n’était pas possible. Du coup, on est obligé de gérer cette annonce auprès des résidents, mais aussi des familles qui demandent des visites. On doit justifier pourquoi on est contre. Si on ouvrait, au-delà du risque d’infection, cela veut dire qu’il faut encadrer ces visites, alors qu’on est en sous-effectif. C’est se tirer une balle dans le pied.

Quand on voit le gouvernement proposer des visites, sur base de conditions qui ne peuvent pas être vérifiables, avec des résidents fragiles et à risques, cela n’a pas de sens.

Ils ont forcément été déçus, cela a été un peu un ascenseur émotionnel, mais on essaie de temporiser, en étant beaucoup dans le relationnel, dans l’écoute et dans le social. On essaie de trouver des solutions pour pallier le manque des proches. On fait de notre mieux pour qu’ils gardent le moral, mais on ne sait pas du tout quand on pourra refaire des visites. Ce n’est pas pour tout de suite.

Comment vous entrevoyez l’étape du déconfinement ?

On parle du déconfinement de la population, mais dans les homes, on n’en est clairement pas encore là. On n’a pas atteint le stade de stabilisation.

Pour moi, il y a eu un vrai retard par rapport au confinement. Quand je vois le nombre de gens se balader tranquillement parce qu’il fait beau pour aller se prendre une glace, parfois à plusieurs… Je suis scandalisée. Il aurait fallu des attestations comme en France, que ça soit plus drastique.

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