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« Les achats de Noël profitent de moins en moins au commerce belge »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

La période de Noël est-elle toujours rentable pour nos commerçants ? Face aux géants de l’achat en ligne qui prennent des parts de marché depuis l’étranger, le secteur et les pouvoirs publics doivent réagir, plaide Dominique Michel, administrateur délégué de la fédération Comeos.

Les affaires sont-elles toujours aussi rentables pour nos commerçants en période de Noël ?

Noël reste une période très importante pour tous les commerçants. Certains font même un tiers de leur chiffre d’affaires en fin d’année. En décembre 2018, 441 millions d’euros ont été dépensés en Belgique. Mais ce montant global diminue : fin 2015, il s’élevait à 631 millions. Sur les 441 millions, 97 ont été dépensés en ligne, soit quelque 20 % des achats. Si on exclut les 150 millions d’euros dépensés dans l’alimentaire, la part des achats en ligne grimpe à 30 % en période de Noël. Les magasins physiques restent donc primordiaux, mais le e-commerce monte en puissance depuis environ huit ans. Sur toute l’année, on estime que 8 à 9 % des achats ont lieu en ligne en Belgique.

En Belgique, on a des handicaps structurels. On court un marathon avec dix kilos de pierres dans le sac.

Une proportion plus faible que dans les pays limitrophes ?

Oui, si vous allez aux Pays-Bas, elle est bien plus élevée. On a pris le train de l’e-commerce beaucoup plus tard, tant les commerçants que les consommateurs. Ce qui est important, c’est de voir ce qui part à l’étranger et ce qui reste en Belgique. D’après nos calculs, on estime qu’un achat en ligne sur deux profite à des acteurs situés à l’étranger. Nous ne prenons pas en compte la nationalité du e-commerçant ; ce qui nous importe, c’est de savoir si l’activité engendrée par l’achat en ligne a bien lieu en Belgique. Enormément de sites qui vous livrent par un  » .be  » sont en réalité aux mains de sociétés néerlandaises.

La période de Noël profite-t-elle à moins d’acteurs qu’auparavant ?

Tous les achats digitaux, tout ce qui implique l’utilisation d’une énorme logistique, entraîne la consolidation et la création d’entités de plus en plus grandes au détriment de plus petits acteurs. Ceux qui veulent survivre doivent se démarquer par un produit ou un service différencié. Sans cela, on assistera dans les prochaines années à une uniformisation du commerce qui sera catastrophique pour l’emploi en Belgique.

Ces dernières années, de nouvelles périodes de promotion proches de Noël, comme le Black Friday, ont gagné la Belgique. Contrainte ou opportunité pour nos commerçants ?

Quand c’est arrivé en Belgique, il y a quatre ans, nous avions décidé de ne pas communiquer sur le sujet pour voir comment les choses allaient bouger. Mais l’année suivante, c’était la folie. Clairement, il y a une course vers le bas au niveau des prix. Pour certaines entreprises, c’est positif, car ça leur permet de créer du trafic à une période de l’année jusque-là relativement calme. Mais tout ce que vous vendez en novembre, vous ne le vendrez pas au mois de décembre. Comme l’a révélé un de nos récents sondages, 20 % des entreprises organisent le Black Friday parce qu’elles se disent obligées de le faire, 40 % le font de leur plein gré et les autres hésitent ou ne le suivent pas. Les avis sont donc très partagés. Le vrai problème, c’est que l’on est à présent en  » période de soldes  » presque toute l’année. A terme, ça risque d’être dommageable pour tous.

Dominique Michel, administrateur délégué de Comeos, fédération belge du commerce et des services.
Dominique Michel, administrateur délégué de Comeos, fédération belge du commerce et des services.© dr

L’organisation de ces opérations induit-elle aussi une augmentation des coûts pour les commerçants ?

Dès que vous avez d’énormes pics en matière de commande, vous devez avoir des gens en plus pour travailler le soir ou la nuit. Or, en Belgique, on est très mal équipés en raison de notre réglementation sociale hyperrigide. On est dans un système hérité du xxe siècle qui n’est plus adapté aux réalités d’aujourd’hui, à l’inverse des Pays-Bas. Résultat : si vous commandez un produit chez un commerçant belge, il peut prendre une semaine avant d’arriver. Au départ des Pays-Bas, le même produit arrivera dans les 48 heures. C’est la raison pour laquelle on a une telle déperdition du chiffre d’affaires vers l’étranger. On ne peut pas reprocher à l’acheteur moyen de choisir le commerçant qui lui livre son produit le plus rapidement et au meilleur prix.

Que manque-t-il à la Belgique pour prendre sa part dans l’e-commerce ?

Il faut reconnaître que les commerçants belges ont démarré beaucoup trop tard et trop lentement. Il y a quatre ou cinq ans, certains chefs d’entreprises étaient encore persuadés, à tort, que l’e-commerce ne marcherait jamais pour leur secteur d’activités. Même problème en ce qui concerne l’utilisation de l’intelligence artificielle : aujourd’hui, les grands commerçants disposent de milliers de données sur leurs consommateurs mais ils les utilisent encore très peu, à l’inverse des Amazon ou Google. Du côté des pouvoirs publics, on a des handicaps structurels. On court un marathon avec dix kilos de pierres dans le sac. Prenons l’exemple du travail de nuit : en Belgique, il commence dès 20 h 01. Si vous voulez faire travailler des gens de 20 à 22 heures pour préparer des colis, c’est du travail de nuit, avec toutes les restrictions et complications que cela implique. Aux Pays-Bas, le travail de nuit ne commence qu’à minuit, ce qui change tout. La France, la Grande- Bretagne ou l’Italie veulent instaurer une taxe digitale. La Belgique, elle, n’envisage pas de le faire. Pourtant, là où un grand acteur digital mondial paiera 8 à 10 % de taxes, l’impôt des sociétés s’élève à 25 % en Belgique.

Quel bilan tirez-vous de cet immobilisme ?

Nous avons fait le calcul du nombre d’emplois perdus pour cette raison : si le pays ne laissait pas s’échapper un achat sur deux, mais une proportion bien plus faible, on estime que 20 000 personnes travailleraient en plus dans le commerce belge à l’heure actuelle. Si cette tendance se poursuit, on assistera à une accélération de la déperdition du chiffre d’affaires. Un peu comme un paquebot qui heurte un rocher. Au début, ça ne pose pas trop de problème, jusqu’à ce que le niveau de l’eau atteigne un niveau critique. Quand un point de non-retour est franchi, le bateau coule.

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