Carte blanche

Le sexisme et le harcèlement font partie intégrantes du fonctionnement de nombreuses institutions universitaires européennes

Dans Le Vif/L’Express du 21 février dernier, nous publiions une enquête intitulée « Sexisme : omerta au Collège d’Europe ? « . Nous avons reçu cette réaction, sous forme de carte blanche. Son auteure demande l’anonymat, mais elle a contacté la rédaction en dévoilant son identité et ses fonctions, que nous avons vérifiées avant de publier son texte. Elle a étudié au Collège d’Europe, à Natolin, en Pologne. Elle confirme la teneur de notre dossier. Qu’elle étend à l’ensemble des institutions universitaires d’Europe.

En lisant votre article intitulé « Sexisme: omerta au Collège d’Europe ? », ma première réaction a été la surprise : « Du sexisme au Collège ? » Ayant étudié sur le campus de Natolin, à Varsovie, il y a un peu moins de 10 ans, ma deuxième réaction a été le déni : « Jamais je n’avais été harcelée à Natolin ». Comme le sujet m’intéresse, et que je me définis comme féministe, j’ai relu votre article avec un peu plus d’esprit critique. Ma réaction réfléchie se trouve dans les paragraphes qui suivent : elle confirme ce que les étudiant·e·s qui vont ont contacté ont exprimé.

Mon expérience au Collège n’a pas vraiment été idyllique. Je ne vais pas dresser ici un portrait complet mais trois anecdotes feront l’affaire. Je me souviens de cette chercheuse qu’un professeur traitait avec mépris. Elle assistait au cours en version « secrétaire », le professeur lui donnant ses instructions d’un geste de la main autoritaire. Je me souviens aussi du bar, où j’ai rarement mis les pieds car, dès le premier jour, il m’a semblé être un haut lieu de « chasse », où je me sentais très mal à l’aise. Ce qualificatif fera certainement crier certain·e·s ancien·ne·s car le bar du campus de Natolin est plus généralement vécu comme un endroit sacré où la plupart des étudiant·e·s passent leurs soirées et où certain·e·s dansent pour la première fois avec leur futur·e partenaire de vie (le nombre de couples qui se forme au Collège est impressionnant). Je me souviens aussi de l’obligation rétrograde de porter une robe longue lors du bal de fin d’année. A nouveau, cela fera crier certain·es. Je me souviens des commentaires de quelques amies qui aimaient l’idée de la robe longue parce qu’elles trouvaient cela « élégant ». Personnellement, j’ai détesté que l’on m’impose un standard de l’élégance basé sur des critères de genre.

Mais la réaction de ces ancien·ne·s qui s’offusqueraient de ma description du bar du campus ou du bal de fin d’étude, tout comme la réaction de celles et ceux qui se sont offusqué de ce que certain·e·s étudiant·e·s contactent Le Vif/L’express, n’impliquent pas nécessairement que le sexisme et le harcèlement n’existent pas au Collège. Au contraire, ces réactions peuvent simplement être le reflet d’un manque de conscience de ce que sont le sexisme et le harcèlement. Peut-être parce qu’encore aujourd’hui, le sexisme et le harcèlement font partie intégrantes du fonctionnement de nombreuses institutions universitaires européennes. Peut-être parce que ces ancien·ne·s étudiant·e·s du Collège ont évolué dans ces institutions avant d’entrer au Collège et en ont acquis et accepté les codes. Si c’est le cas, il est grand temps d’agir !

C’est pour cette raison que j’ai décidé de partager mon récit. Mon expérience personnelle correspond à l’hypothèse que je pose plus haut : j’ai étudié dans diverses institutions d’Europe continentales (presqu’une dizaine, avant et après le Collège lorsque j’ai rédigé ma thèse de doctorat). Et, pendant des années, je n’ai pas conscientisé le sexisme et le harcèlement auxquels j’ai été confrontée en tant que victime ou témoin. Comme de nombreuses collègues, j’ai vécu ce sexisme et ce harcèlement au jour le jour. J’ai reçu de manière régulière des commentaires inappropriés de la part de supérieurs hiérarchiques sur la manière dont je m’habillais, la manière dont je marchais, et d’autres traits physiques, évidemment sans lien avec mon travail. Je les ai vécus en tentant de les nier, de les minimiser : « ce n’était pas bien grave ». J’ai été le témoin de comportements de harcèlement moral vis-à-vis de collègues ou d’étudiantes dont la voix n’a jamais été entendue. Les témoignages de ces collègues et étudiantes, courageuses, qui souhaitaient agir pour que d’autres ne subissent pas ce qu’elles avaient vécu, ont été étouffés entre les murs fort épais des instances universitaires. Honteux et inacceptable, triste et révoltant. J’ai observé sans pouvoir aider ni mes étudiantes, ni mes collègues. J’ai pensé que l’Université n’était probablement pas le lieu pour entendre ces étudiantes. Elles auraient peut-être dû se rendre à la police, malgré les pressions directes ou plus subtiles subies.

Plus tard, j’ai traversé la Manche pour me rendre au Royaume-Uni et mon nouvel environnement de travail beaucoup moins sexiste a fait office de « miroir ». J’ai enfin pris conscience de la charge émotionnelle qu’avaient été ces années universitaires dans certaines institutions où aucune procédure claire n’existait en matière de sexisme et de harcèlement, où ces mots n’étaient jamais prononcés malgré les nombreux faits. Aujourd’hui, je travaille dans une institution de renom, l’une de ces célèbres universités britanniques qui se trouvent souvent dans le top du classement universitaire. J’y apprécie, chaque jour, un environnement de travail ouvert sur les difficultés, agressions, harcèlements et autres réjouissances que peuvent subir étudiant·e·s, chercheur·e·s, professeur·e·s ainsi que tou·te·s les membres du personnel administratif et technique. Je chéris les procédures mises en oeuvre par mon université actuelle pour prévenir, contrer et sanctionner les comportements de harcèlement.

J’aimerais tant que toutes les universités du continent qui n’ont pas encore adopté de procédures claires, transparentes, justes et efficaces en matière de harcèlement prennent exemple sur les procédures qui existent à Oxford et Cambridge. Bien entendu, je ne pense pas que ces procédures soient la panacée. Elles ne suppriment ni le sexisme ni le harcèlement. Mais en reconnaissant ces agissements et leurs effets néfastes tout en offrant des outils pour agir, elles contribuent à changer les mentalités et à protéger les victimes. De mon point de vue, elles sont un pas nécessaire dans la prévention et la lutte contre ces pratiques. Elles montrent aussi l’exemple à suivre, ce qui de mon point de vue est un des rôles de l’université. Ces procédures disent à tou·te·s ceux et celles qui harcèlent : « sexisme, harcèlement : tolérance zéro ! ». A tou·te·s les victimes, ces procédures disent : « Vous n’êtes pas seul·e·s ! Vous serez écouté·e·s ! »

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