Projet Rive Gauche à Charleroi. © charleroi.be

Le commerce local et de proximité n’a pas la cote en Belgique

Stagiaire Le Vif

La France connaît une diminution de la fréquentation de la plupart de ses grandes enseignes d’hypermarchés, une tendance entre autres expliquée par le regain d’intérêt pour les commerces de proximité. Chez nous, les grandes surfaces et les grands centres commerciaux ont toujours autant la cote, au point d’atrophier fortement le tissu économique local.

Le groupe français de la grande distribution « Auchan » a rendu publics ses résultats annuels la semaine dernière. Ce qui en ressort est assez clair : ses super et hypermarchés connaissent des jours très difficiles, alors qu’ils constituent depuis toujours le coeur de ses activités commerciales. Cette tendance n’est pas seulement propre à l’entreprise nordiste, mais se remarque dans toute la France.

L’Hexagone est pionnier en matière de super et d’hypermarchés, un modèle qui s’exporte encore et toujours en masse à l’étranger. On remarque que la fréquentation de plusieurs grands noms de la grande distribution (Auchan mais aussi Carrefour et Leclère) est en baisse, ce qui a provoqué un impact sur leur chiffre d’affaires. Le format de grande distribution, qui a depuis longtemps refaçonné tant en France qu’en Belgique le paysage urbain et périurbain coule des mauvais jours chez nos voisins.

Cette chute de la fréquentation et ce « désamour » des grandes surfaces françaises peut s’expliquer par différents facteurs. Le « drive », formule qui permet à un consommateur de venir récupérer ses courses après les avoir commandées sur le site Internet du distributeur, existe certes depuis longtemps, mais connaît un essor important ces dernières années. Le succès des nouveaux acteurs du Web principalement pour les biens du secteur non-alimentaire (Comme Amazon, par exemple) a également fait éloigner les consommateurs des grandes surfaces. Enfin, le commerce de proximité revient de plus en plus à la mode en France, comme en témoigne le nombre de petites enseignes qui fleurissent un peu partout dans le pays, à Lyon notamment.

Le phénomène est également très présent en Amérique du Nord. Les grands centres commerciaux des États-Unis et du Canada sont de plus en plus souvent désertés, voire dans un état de délabrement, et le retour au commerce de proximité est de plus en plus une réalité.

IKEA Mons, ou la destruction du commerce de proximité

Chez nous par contre, on assiste en quelque sorte à l’effet inverse. Le pays voit poindre un peu partout sur son territoire de plus en plus de grandes enseignes et des centres commerciaux, qui condamnent presque totalement les commerces locaux et de proximité, en atteste par exemple l’ouverture le mois dernier du géant suédois IKEA à Mons, qui avait fait le bonheur de centaines de personnes venues assister à son inauguration « à l’américaine ». Mais l’implantation d’un nouveau magasin du leader mondial de l’ameublement avait aussi fait grincer quelques dents. L’impact sur le commerce local (et même au-delà) sera important.

« L’ouverture d’IKEA, contrairement à ce qu’on a pu nous faire croire, aura évidemment des conséquences et un impact sur l’emploi local », nous apprend Alexandre Bertrand, économiste, professeur de gestion et spécialiste du développement économique local. « Il y a un jeu de vases communicants. Ce que l’on crée d’un côté, on va le détruire de l’autre. Il y a un transfert de la consommation, donc du pouvoir d’achat, d’un point A vers un point B. Il fait par conséquent déplacer aussi l’emploi ».

Selon plusieurs études sérieuses, si une grande surface de type « hyper » Carrefour crée un emploi, elle en détruit 3,5 dans le petit commerce situé à 20km aux alentours de son implantation. Ce constat vaut aussi pour IKEA.

« Le problème avec les grandes chaînes, c’est qu’elles pratiquent le développement horizontal, c’est-à-dire qu’elles vendent de l’alimentaire, de la parapharmacie, du textile, des jouets pour enfants, des ordinateurs, de l’essence, de la presse. IKEA, lui, va concurrencer non seulement les magasins de meubles, mais aussi le secteur du design… et même de l’alimentation, avec ses restaurants à bas prix », regrette M. Bertrand.

« Le discours politicien est pervers, car rétrograde. Ils se targuent que des implantations comme celles-ci contribuent à la création d’emplois, alors qu’elles favorisent plutôt la concentration d’emplois dans un seul lieu, et a inhibé la répartition géographique de la valeur.Pour moi, l’intervention du politique dans la vie économique locale aujourd’hui est une aberration. On est face à des apprentis sorciers de l’économie », ajoute-t-il.

Jean-François Dondelet est le secrétaire politique du syndicat des indépendants et des PME. Pour lui, le « phénomène IKEA » à Mons est visible aussi à de nombreux autres endroits :  » A Louvain-la-Neuve, le centre commercial « l’Esplanade » fait beaucoup de mal à une ville comme Wavre par exemple, où il y a pas mal de commerces de proximité. À Charleroi, c’est pareil avec le nouveau complexe « Rive gauche ». Les petits commerces de la ville souffrent déjà des travaux qui ont lieu en plein centre. Il y a quelque temps, on avait réalisé une étude qui montrait que la surface commerciale implantée à Charleroi n’attirerait pas non plus une clientèle suffisante. Il y a donc pas mal d’interrogations par rapport à ces phénomènes de concentrations de shopping centre ».

La surface commerciale inoccupée en Wallonie est d’ailleurs toujours de plus en plus importante. En 2008, 7,5% de la surface commerciale n’était pas exploitée. En 2013, elle est de 12%.

Liège et Namur comme bons élèves

Évidemment, la tendance n’est pas généralisée et certaines villes tirent leur épingle du jeu. L’intérêt est d’analyser le phénomène au cas par cas.

« À Namur et à Liège, on assiste à la pérennisation du commerce de proximité dans le centre-ville. Il existe une certaine forme de survivance du commerce local. Par contre, dans d’autres villes, c’est la catastrophe. À Dinant, le centre-ville est complètement moribond. Il y a là-bas un exode de la clientèle vers des pôles périphériques », nous apprend Jean-François Dondelet.

De plus en plus d’initiatives locales tout de même

Aujourd’hui, il existe pourtant de plus en plus d’alternatives à la consommation. On constate un peu partout dans le monde les mêmes expériences, mais sous formes différentes.

« Des initiatives existent. Par exemple sous la forme de coopératives citoyennes d’achat ou alors des groupements d’achat. On peut trouver de plus en plus de « repair café », des lieux où on répare des objets en groupe, au niveau local. On assiste également à l’émergence de quelques alternatives de types « supermarchés coopératifs », comme le « Bees Coop », le premier supermarché participatif à Bruxelles », précise Alexandre Bertrand.

Des initiatives entrepreneuriales, à l’image de magasins bio, magasins en vrac, épiceries alternatives ou encore épiceries de quartier sont en plein boom. La plupart des commerces avaient déserté les petits villages ou les quartiers, mais désormais leur retour est un grand succès.

« Il y aura certainement un retour au commerce de proximité »

« Il y aura certainement un retour à la proximité parce que les modèles de concentration auxquels on assiste aujourd’hui sont des systèmes qui ne sont pas destinés à vivre sur le long terme. Ce sont des investissements qui sont dénués de stratégie commerciale. Ces modèles connaissent de nombreuses faillites. C’est pour ça qu’on en revient au modèle d’antan. Pourquoi vouloir à tout prix favoriser l’émergence de méga shopping centre alors qu’on pourrait très bien redynamiser le tissu existant pour qu’il puisse se maintenir… », se questionne Jean-François Dondelet.

« Une vraie politique communale doit être mise en place, dont le but serait de redynamiser le commerce issu du centre-ville. Actuellement, la majorité des communes prélève des taxes sur les implantations commerciales, mais rien n’est fait en retour, car rien n’est fait pour le développement local. Il devrait y avoir un effet retour de ces prélèvements communaux », conclut-il.

Maxime Defays (stg.)

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