Laurent Taskin. © DR

Laurent Taskin : « Une pratique propre à un certain type d’entreprises » (entretien)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Professeur de management à l’UCLouvain, Laurent Taskin estime que les notations de salariés et leurs dérives, observées dans l’économie de plateforme, ne gagneront pas les entreprises traditionnelles.

Le système de cotations des salariés est-il répandu en Belgique ou lui préfère-t-on les entretiens d’évaluation ?

La pratique traditionnelle, pas mal remise en question, est un entretien périodique, par exemple une fois par an, consistant à fixer des objectifs pour une période à venir et à évaluer la réalisation de ceux de la période passée. Il donne habituellement lieu à une cotation sur 5, entre ceux qui récoltent 1 sur 5, soit les low performers, les personnes qui posent problème, et ceux qui obtiennent 5 sur 5, c’est-à-dire les high performers, les employés exceptionnels. L’idée est que ce processus soit le début de quelque chose, une opportunité de développement pour le salarié. Ce n’est pas toujours le cas. En outre, il y a un caractère subjectif à une notation. Un 3 sur 5 dans une équipe peut correspondre à un 4 sur 5 dans une autre, pour le même travail et les mêmes aptitudes, parce que le niveau d’appréciation peut varier d’un manager à l’autre. Evaluer les personnes est un métier qui ne s’improvise pas. Mais, par manque de temps ou de compétences, l’entretien et l’évaluation ne sont pas toujours pratiqués dans les bonnes conditions. Dans un tel schéma, cela peut donner lieu à énormément de frustration et à un déni de reconnaissance.

u003cstrongu003eIl n’y a pas de directeur des ressources humaines dans les entreprises de la nouvelle économie. u003c/strongu003e

La pratique de la cotation sans entretien d’évaluation mais sur la base de la consultation des collègues existe-t-elle ?

Une des réflexions qui s’est développée depuis un certain temps est de multiplier les sources de feedback pour que l’évaluation ne se réduise pas à un jugement interpersonnel, entre le salarié et son manager. Dans sa version la plus aboutie, c’est ce que l’on appelle le feedback à 360 degrés. Il s’agit de recueillir un avis chez le supérieur hiérarchique du salarié mais aussi auprès de ses collègues et des membres des équipes qu’il gère voire auprès des clients. L’avantage de cette formule est de pouvoir évaluer des choses différentes. En tant que collègue, on n’attend pas spécialement les mêmes attentes que comme subordonné ou manager. Cependant, ces feedback à 360 degrés doivent être réalisés de manière confidentielle et être accompagnés. Souvent, ils sont confiés à un prestataire externe. Cela requiert le traitement de beaucoup plus d’informations et représente dès lors un coût plus important pour l’entreprise. Mais celles qui le mettent en place envoient un signal à leurs employés : nous sommes soucieux que vous vous développiez au sein de la société.

A l’image des pratiques en vigueur chez Uber ou d’autres plateformes de la nouvelle économie, la sollicitation du client a-t-elle tendance à prendre de plus en plus d’importance ?

La pratique a toujours existé dans certaines fonctions. Si vous êtes consultant ou opérateur d’un call center par exemple, vous avez un feedback direct que les clients sont invités à donner après un appel ou un contact. Pour que ce soit intéressant, il faut que le feedback soit donné sur des critères précis. S’il s’agit d’attribuer des étoiles comme on le fait sur Tripadvisor, on ne sait pas ce que cela recouvre. Une information précise doit être demandée pour qu’elle puisse être donnée. Dans l’économie de plateforme comme Uber ou Deliveroo, les emplois sont totalement précaires. Les travailleurs sont utilisés comme des ressources et sont payés à la tâche. Il n’y a pas de directeur des ressources humaines dans ces entreprises. Et ces systèmes de notations des salariés relèvent sans doute plus de l’évaluation du marché que des compétences. Les entreprises s’en servent cependant pour être  » plus efficaces  » en matière de coûts et donc pour sélectionner leur personnel. Il n’y aucune relation managériale. Or, l’évaluation doit toujours s’inscrire dans une relation managériale pour vous faire grandir dans l’entreprise ou vous inviter à vous réorienter dans ou à l’extérieur de celle-ci.

Ces pratiques ne risquent-elles pas d’être copiées par les sociétés plus traditionnelles ?

Je ne le pense pas. Cette méthode est typique de secteurs particuliers qui ont recours à une certaine forme d’emplois : des salariés peu ou moyennement qualifiés, un travail à la tâche, une non- gestion des ressources humaines et un respect très limite des lois sociales. Dans la plupart des entreprises, si on recrute quelqu’un de façon professionnelle, on a envie qu’il reste et, dès lors, on va se donner les moyens de son développement pour que les deux parties soient gagnantes. Les travailleurs sont, en outre, de plus en plus sensibles au sens de leur job et à la reconnaissance de leur travail.

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