Carte blanche

« La violence dans les hôpitaux psychiatriques n’est pas celle que l’on croit » (carte blanche)

Lea Labaki, membre du European Network of (ex)users and survivors of psychiatry (ENUSP), réagit à la carte blanche parue le 30 juillet dernier « Hospitalisations psychiatriques sous contrainte : la situation devient incontrôlable ».

En réponse à la Carte blanche parue ici le 30 juillet sur l’augmentation des mises en observation suite à la crise sanitaire, permettez-moi de briser un mythe : l’enfermement des fous n’a rien de romantique. Ce n’est pas l’histoire de dangereux aliénés isolés en hôpital psychiatrique pour protéger la société de leurs actes. Ce n’est non plus pas l’histoire de valeureux psychiatres qui s’appliquent à contrôler la folie et la violence de leurs patients, pour leur propre bien et celui du plus grand nombre. Loin de l’image proposée par les neuf signataires de ce texte aux accents sécuritaires, c’est plutôt une histoire comme celle-ci.

Un jour, j’avais quatorze ans, je me suis réveillée dans un endroit inconnu. J’étais couchée sur un lit et je réalisai que je ne pouvais pas me lever : j’étais attachée par plusieurs sangles à la taille, aux poignets et aux chevilles. J’avais l’impression que c’était la nuit, mais dans cette petite pièce dépourvue de fenêtres, rien ne pouvait le confirmer. J’ai crié jusqu’à ce qu’un homme – un infirmier, probablement – arrive. Je lui demandai où j’étais, il me répondit : « A Fond’Roy ».

Je ne savais pas encore ce qu’était Fond’Roy, mais j’allais bientôt le découvrir. J’avais été mise en observation – hospitalisée contre mon gré – dans cette institution psychiatrique du sud de Bruxelles, au sein d’un service dédié aux soins sous contrainte où étaient enfermés une majorité d’adultes. J’y passai plus d’une semaine terrée dans ma chambre, assommée par les médicaments qu’on m’obligeait à avaler, et paralysée par la peur. Ma détresse ne fit que redoubler et j’en sortis traumatisée.

La hausse alarmante du nombre de mises en observation est l’une des nombreuses conséquences dramatiques de la crise du Covid-19 en Belgique. Comme l’indique la Carte blanche du 30 juillet, le secteur de la santé mentale a été bouleversé par les mesures sanitaires. Du fait du confinement et de la fermeture de certains services, bien des personnes en souffrance ont été coupées de leur système de soutien habituel alors que le contexte anxiogène ne pouvait qu’aggraver leur détresse.

Il est pourtant paradoxal de présenter les soignants comme victimes du nombre croissant de mises en observation urgentes ordonnées par le procureur du Roi. Je peux vous l’assurer : avant une mise en observation, c’est bien un psychiatre, et non le procureur du Roi, qui juge de votre état et qu’il faut supplier de vous laisser rentrer chez vous. Si toujours plus de patients sont soumis à des mises en observation, c’est parce que toujours plus de psychiatres en font la demande. L’enfermement est prescrit pas les médecins, les magistrats lui donnent force légale.

Ne nous trompons donc pas : la victime, ici, c’est bien le patient qui se verra confiné contre sa volonté dans un service surchargé, traité comme un criminel pour avoir osé aller mal en pleine crise du coronavirus.

Car la violence dans les hôpitaux psychiatriques n’est pas celle que l’on croit. C’est celle de soignants tout-puissants que la loi autorise à vous priver de votre liberté, à vous déshabiller et à vous retirer vos effets personnels avant de vous enfermer dans une chambre d’isolement de quelque deux mètres sur trois, à vous injecter par la force des médicaments psychotropes qui vous font ne plus vous rappeler qui vous êtes.

La solution à la crise actuelle n’est pas, comme le suggèrent les signataires de cette Carte blanche, d’accorder plus de moyens aux unités d’hospitalisation sous contrainte pour leur permettre d’enfermer plus de gens, plus longtemps. La solution est, au contraire, de renforcer l’ensemble des dispositifs de soins volontaires, à commencer par les services de santé mentale de proximité, l’ambulatoire et les équipes mobiles, afin d’éviter que des hospitalisations deviennent nécessaires. La solution, c’est d’écouter ceux qui sont en souffrance et leur offrir le soutien dont ils ont besoin dans le respect de leurs préférences. C’est de mettre la personne et ses droits humains au centre de toute intervention en santé mentale.

C’est de donner, enfin, la parole aux premiers concernés.

Lea Labaki, membre du European Network of (ex)users and survivors of psychiatry (ENUSP)

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