La taxe kilométrique enterrée en Flandre: ce qui bloque

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La taxe kilométrique « intelligente » qui est censée résoudre les problèmes de congestion au nord du pays est pour le moment mise au placard. Explications.

Alors que pendant toute la législature, le ministre de la Mobilité flamand Ben Weyts (N-VA) n’a juré que par l’instauration de cette nouvelle taxe imposée aux particuliers, il vient de l’enterrer au journal télévisé de VTM, ce mardi soir. Ce week-end déjà, le président de son parti, Bart De Wever, avait annoncé la couleur en se disant « absolument pas convaincu » par le projet à l’étude.

Le système, qui figure dans le programme de politique climatique du gouvernement flamand, est présenté comme une redevance au prorata des kilomètres parcourus. L’idée est de développer une taxe dite « intelligente » dont le montant variera en fonction de la distance entre domicile et lieu de travail ou de l’heure de la journée par exemple. Il sera donc en toute logique plus cher d’emprunter le ring de Bruxelles à 8 heures du matin que d’emprunter une petite route de Flandre-Occidentale en pleine nuit, prend comme exemple De Morgen.

D’après les deux scénarios proposés dans une version récente du Plan de mobilité flamand (Mobiliteitsplan Vlaanderen), que le quotidien L’Echo a pu consulter, l’idée est que les usagers des routes flamandes s’acquittent à l’avenir d’une taxe de 2 cents/km, ou d’une taxe de 5 cents/km, avec un minimum de 25 cents. Les experts en mobilité estiment en effet que la taxe doit être suffisamment dissuasive pour modifier le comportement des automobilistes. Sur les autoroutes à péage françaises, le tarif se monte en moyenne à 13 cents/km. Le Plan de mobilité flamand de 2013 – qui n’a jamais été approuvé – proposait une taxe de 4,5 cents/km, relaie L’Echo.

L’étude sur la taxe a déjà été approuvée par les cabinets ministériels, mais la présentation du rapport final a été reportée au mois de juin, après les élections donc. Plusieurs fuites de cette étude approfondie qui devait rendre le dossier de son successeur « prêt à être avalisé », ont indiqué que la mesure sera plus coûteuse pour certains automobilistes. Une conclusion mortelle pour un ministre d’un parti qui est horrifié par les hausses d’impôt, souligne Het Nieuwsblad.

La fuite a aussi déclenché une levée de boucliers de l’Open VLD, opposé à cette redevance. Le Vlaams Belang a lancé, de son côté, une grande campagne contre la taxe, sous le quolibet « Ben tax », suivant l’exemple de la « Turteltaks », le prélèvement énergétique flamand qui a fait chuter la ministre Annemie Turtelboom. L’idée a aussi généré une contestation croissante ces dernières semaines de la part du PTB. Le sujet est devenu de la dynamite politique en Flandre, avance un éditorialiste du Morgen qui déplore que « la redevance kilométrique souligne une fois de plus à quel point les considérations électorales à court terme bloquent les besoins sociaux à long terme ».

Un investissement en mobilité de 10 à 15 milliards d’euros

Pour l’heure, son instauration est donc au point mort. Des enquêtes révèlent que les avis sont très partagés au sein de la population flamande. « Je vois qu’il n’y a plus de soutien« , a déclaré Weyts. « Le débat a été complètement empoisonné par des partisans et des opposants qui inventent les choses les plus absurdes. Nous n’allons pas enfoncer ça dans la gorge des Flamands« , ajoute le ministre flamand. Aux dires des experts, cette taxe est pourtant l’unique moyen de désencombrer nos routes. Les files ont doublé en Flandre ces cinq dernières années. Et de 288.000 voitures de société en 2007, on est passé à 465.000 en 2017.

La taxe kilométrique enterrée en Flandre: ce qui bloque
© Belga

Pour Ben Weyts, la solution sous la prochaine législature, serait plutôt un investissement en mobilité de 10 à 15 milliards d’euros non seulement sur les routes, mais aussi dans le transport public et le vélo, afin de décongestionner la région. « Le prochain gouvernement devra débloquer 15 milliards d’euros dans un avenir proche », avance Weyts. « Par exemple, pour construire des voies supplémentaires aux heures de pointe, mais aussi pour l’infrastructure cyclable et les transports publics nécessaires. »

Il vante aussi l’injection au cours de la précédente législature de dix milliards d’euros dans les infrastructures. « Nous avons observé pour la première fois l’an dernier une légère diminution des embouteillages. Pas de quoi être euphoriques, mais cette diminution est surtout visible là où nous avons investi dans les infrastructures« , a commenté Ben Weyts.

Si Bart De Wever a déclaré récemment qu’il était inévitable que la tarification routière soit introduite, il devient clair que juste avant les élections, aucun parti ne fera campagne à ce sujet, car cette mesure est trop impopulaire auprès de la population. Le ministre renvoie donc la balle au prochain gouvernement qui devra trancher.

Taxer l’heure de pointe

Le débat est compliqué par la régionalisation du pays. Chaque région propose en effet des solutions différentes pour décongestionner ses routes sans arriver à se mettre d’accord. La Région wallonne veut un système de vignette forfaitaire, comme en Suisse par exemple. Une solution qualifiée de « stupide‘ par Ben Weyts.

La vignette walonne serait neutre financièrement pour l’utilisateur car elle serait compensée par la suppression partielle ou totale de la taxe de roulage. Elle coûterait entre 40 et 50 euros par an. Pour le ministre wallon de la mobilité Carlo Di Antonio (cdH), l’introduction de deux systèmes différents dans un même pays est « difficile à imaginer ». À ce stade, il se dit « opposé » à un tel projet de taxe kilométrique pour la Wallonie. D’après lui, le paiement proportionnel au nombre de kilomètres parcourus existe déjà via les accises et donne le droit de polluer davantage aux automobilistes qui ont les moyens de payer. Di Antonio juge la taxe de circulation non seulement plus égalitaire, mais elle a en outre fait ses preuves ailleurs, en Suisse par exemple.

À Bruxelles, les priorités sont les mêmes qu’au nord du pays : diminuer les files et lutter contre la pollution de l’air. Dans la capitale, un péage urbain est souvent évoqué. Un projet en ce sens est actuellement porté par le député bruxellois Emmanuel De Bock (DéFI). Son idée ne fait toutefois pas l’unanimité. Les entreprises craignent un exode de la capitale.

D’autres solutions sont mises tour à tour sur la table. Comme celles proposées l’année dernière par deux chercheurs de la KU Leuven. Ils avançaient dans une étude un certain nombre de pistes innovantes, et notamment celle de pénaliser les automobilistes qui roulent à l’heure de pointe.

L’idée d’une taxe kilométrique en Flandre ne date pas d’hier. Depuis quinze ans, les gouvernements flamands successifs tentent de faire passer une taxe routière alternative pour aider à résoudre les problèmes de mobilité. Le gouvernement Leterme (2004-2007) avait proposé une vignette routière pour que les automobilistes étrangers paient aussi l’utilisation des routes flamandes. En 2009, le gouvernement Peeters II (2009-2014) a déclaré qu’il étudierait comment introduire un péage routier. Cinq ans plus tard, la même proposition est réapparue dans l’accord de coalition du plus jeune gouvernement flamand. Jusqu’à ce jour, aucune de ces propositions n’a été avalisée.

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