Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens: Les féministes peuvent-elles avoir une femme de ménage ?

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Et être à l’aise avec leur conscience, elles qui délèguent alors leurs basses besognes domestiques à d’autres femmes moins bien payées, moins nanties et, souvent, moins blanches ?

La politologue américaine Joan Tronto surnomme ça « le cauchemar féministe« . Ça commence comme dans un rêve: les femmes, à force de faire des études, ont fini par devenir médecins, avocates, ingénieures (un peu)… Il y en a même quelques-unes qui dirigent des pays! Mais ça se termine par un réveil en sursaut et des sueurs froides: merde, si elles deviennent toutes des « travailleuses ordinaires » et non plus des mères au foyer, qui frottera, récurera, nourrira, lessivera, repassera?

Car la logique émancipatrice aurait voulu que ce boulot bénévole – le ménage, les gosses, tout ça – se retrouve désormais mieux réparti entre les genres. C’était sans compter sur la ténacité du patriarcat, qui permet encore à trop d’hommes d’aller au foot ou de se mater une série pendant que Madame pèle les patates ou passe l’aspirateur (ces messieurs disposent, en moyenne, de cinq heures de plus de loisirs par semaine, pour rappel). Donc, tout ce travail du « care » (prendre soin, en anglais) s’est retrouvé déchargé sur d’autres femmes. Moins blanches, moins éduquées, moins nanties, généralement. Bonjour l' »irresponsabilité des privilèges« , pour reprendre l’expression de Joan Tronto, qui détaillait récemment dans Le Soir : « Ceux qui sont riches ont un personnel qui nettoie après eux, qui s’occupe de leurs enfants et de leurs parents âgés. Et nos valeurs culturelles nous disent que c’est acceptable et bon. En ignorant nos responsabilités de « care », on approfondit les structures d’inégalité et d’oppression. » Il y a de quoi mal dormir.

Une féministe peut-elle avoir une femme de ménage? S’en aller l’esprit léger au bureau pendant qu’une autre récure ses chiottes pour une rémunération de misère (12,06 euros le salaire horaire moyen – dixit la CSC – + 90% de l’emploi dans ce secteur à temps partiel = seuls 10% des aide-ménagères peuvent se permettre de partir en vacances à l’étranger une fois par an). « Pourquoi accepte-t-on de payer un homme à tout faire 50 dollars de l’heure quand on a besoin d’un coup de main manuel, alors qu’on paie une femme de ménage environ 20 dollars de l’heure? », soulignait récemment Camille Robert, auteure (canadienne) de Toutes les femmes sont d’abord ménagères (1), dans le journal La Presse. Couper du bois, par exemple, est considéré comme socialement plus important et, donc, financièrement mieux valorisé que prendre les poussières. Il en irait évidemment différemment si les bûcheronnes étaient majoritaires…

Lors d’une conversation entre copines sur le sujet, l’une d’entre elles a eu ces mots: « Oui, mais en embauchant une femme de ménage, tu donnes du boulot à quelqu’un qui en a besoin! » C’est vrai, bien sûr. Puis ça allège la conscience. Ça éteint la petite voix qui murmure: « Quel travail? Celui que les hommes n’ont jamais daigné faire et dont les plus fortunées s’estiment désormais exemptes? »

Le vrai problème, indubitablement, est cette dévalorisation sociale des métiers du « care », qu’ils soient ménagers ou non. De tous ceux (et surtout celles) qui ont fait tourner le monde en temps de confinement pandémique, et dont ce même monde a déjà oublié le rôle majeur. Les infirmières qu’on applaudissait, vous vous souvenez? Il en irait autrement, si s’ occuper des autres était une profession hautement reconnue et donc correctement rémunérée. Sans doute quelques mecs auraient-ils envie de s’y essayer. Un beau rêve. Sinon, l’autre solution, ce serait de vivre dans la crasse et le bordel. Au choix.

@unesacreepaire

(1) Toutes les femmes sont d’abord ménagères, par Camille Robert, éd. Somme toute, 2017, 180 p.

L’expo

« Mettre à l’honneur des contemporaines qui, par la force de leurs engagements, marquent les changements de notre société »: voilà le programme de l’exposition Légitimes, mise en place par l’asbl Women We Share, et visible jusqu’en février prochain chez Amazone, le Carrefour de l’égalité de genre, à Bruxelles. Une expo photo, signée par Nafi Yao, doublée d’un livre regroupant tous ces portraits de femmes. Fortes, forcément.

10 000

euros de « dédommagement moral » ont été versés à une mère par les autorités espagnoles. Cette maman qui, en 2005, s’était séparée de son compagnon alors qu’elle était enceinte, avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Elle estimait discriminatoire que le nom de famille du père soit donné en premier lieu à l’enfant, en cas de désaccord. La Cour lui a donné raison, estimant que cette différence de traitement constituait une violation de la convention des droits de l’homme, et que l’impossibilité de déroger à cette règle était « discriminatoire envers les femmes ».

Lesbiennes transphobes?

« Quelqu’un m’a dit qu’elle préférerait me tuer plutôt qu’Hitler. » Jennie, 24 ans, a raconté à la BBC les pressions subies après avoir refusé des relations sexuelles avec des femmes trans, parce qu’elle ne se sentait pas attirée par un corps « masculin ». Quitte à se faire traiter de transphobe. Stonewall, la principale organisation LGBT au Royaume-Uni, a réagi en affirmant que personne ne devrait jamais être forcé à un rendez-vous amoureux, mais que refuser de rencontrer quelqu’un sous prétexte de son orientation de genre méritait d’être questionné, comme le fait de ne pas vouloir de rencard avec des personnes racisées, en surpoids ou handicapées.

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